Tel était le programme préparé pour une cinquantaine de professionnels de la filière bois venus de Belgique, d’Allemagne et du Luxembourg pour ce voyage d’études au Vorarlberg, land autrichien exemplaire au travers de son usage raisonné du bois local, sa gestion forestière rigoureuse et l’engagement fort de tous ses acteurs tant privés que publics.
Ce déplacement s’inscrivait dans le cadre du projet européen Interreg VI W.A.V.E. (Wood Added Value Enabler) et de l’IIS (pour Initiative d’Innovation Stratégique) Valbowal, deux programmes visant à développer et reconsolider une chaîne de valeur locale, durable et circulaire en faveur du matériau bois. Cette mission était portée par les partenaires de W.A.V.E : Ligne Bois, asbl regroupant de plus de 140 entreprises wallonnes et bruxelloises issues de la construction bois et biosourcée, WFG, l’Organe de promotion économique pour l’Est de la Belgique, IZES, l’Institut allemand de recherche sur l’énergie et les flux de matériaux, DLG Bau Saar, l’association patronale du bâtiment en Sarre ainsi que l’ULiège, coordinatrice de l’IIS Valbowal. L’objectif était multiple : s’inspirer du modèle développé au Vorarlberg pour redonner accès à la ressource forestière locale, stimuler de nouveaux débouchés, démontrer la viabilité économique d’une filière bois intégrée et encourager une dynamique collective entre acteurs transfrontaliers autour d’une approche concertée et cohérente.
Le Vorarlberg, région aux multiples facettes historiques…
Aux 17è et 18è siècles, des artisans - parmi lesquels des maçons, charpentiers, tailleurs de pierres ou stucateurs, et des maîtres d’œuvres (Barockbaumeister) particulièrement sachants et habiles issus du Bregenzerwald - la région montagneuse du land Vorarlberg, inondèrent le sud de l’Allemagne, la Suisse mais aussi l’Alsace pour y dispenser leurs savoir-faire et y construire plusieurs centaines d’édifices remarquables parmi lesquelles des demeures, palais, monastères ou encore des églises ; la plupart de ces bâtisseurs provenaient de l’ « Auer Zunft » (la guilde d’Au, Au étant un village du Bregenzerwald), apparentés et regroupés en grandes familles d’artisans sur plusieurs générations. Le principe unique de transmission et de partage des savoirs ainsi que le perfectionnement des techniques selon le principe du compagnonnage firent les beaux jours de cette guilde qui compta jusqu’à près de 900 artisans et qui fut dissoute en 1868.
Cet éclat artistique et intellectuel contraste avec l’extrême pauvreté de certaines régions alpines, comme le furent jadis une partie de l’Autriche ou de la Suisse, « affublées » de terres agricoles à très faibles rendements, obligeant les familles paysannes pour subvenir à leurs besoins, à envoyer leurs enfants vers des lieux plus prospères – notamment le Wurtemberg, pour y accomplir des travaux saisonniers.
… en profonde réaction face à ses institutions
Si des passionnés du monde entier se rendent aujourd’hui volontiers dans le plus petit des Länder autrichiens pour y découvrir et y admirer une synthèse unique faite de durabilité, de tradition, de pragmatisme, d’innovation et de créativité architecturale, enveloppée dans des panoramas façon « carte postale », ce n’est pas par hasard. Dès les années 60 et 70, de nombreux concepteurs dont plusieurs autodidactes et militants s’emparent de la question relevant de la construction (écologique) et créent une architecture simple, raisonnée, faisant usage de bois local et bénéficiant d’une technicité constructive séculaire. Il s’agit de préserver le bâti existant sans sacrifier aux sirènes de la modernité « à tous crins » et à l’urbanisation débridée, tout en développant une nouvelle architecture, sensible et empreinte du lieu, sans pasticher le passé ; ils sont appuyés dans leur démarche par une législation dispensant les candidats-bâtisseurs de l’obligation de contracter auprès d’un architecte pour la construction d’une habitation individuelle… ce qui secouera rudement certaines instances, dont la Chambre nationale de l’Ordre des Architectes. Les années suivantes et le début des années 80 verront se regrouper ces concepteurs sous l’appellation « Baukünstler » (artistes du bâtiment), bien décidés à défendre leur vision face à plusieurs contrepoids institutionnels qu’ils estiment trop conservateurs. C’est en quelque sorte et en très condensé le démarrage de ce que l’on nomme aujourd’hui « l’école du Vorarlberg », un modèle de victoire régionaliste, portée par une cohésion culturelle et sociale forte ; des citoyens volontaristes, déterminés à imposer une vision pragmatique et réaliste sur des sujets de société – dont celui de la construction.
Première journée – fin d’après-midi du mardi 22 avril 2025
Pour cette première visite consécutive au voyage, Sebastian Rodemeier (ingénieur bois chez Merz Kley Partner GmbH) nous accueille et nous fait découvrir l’immeuble de bureaux « S6 » en plein cœur de Dornbirn ; réalisé en 2019 et conçu par le célèbre architecte Johannes Kaufmann – véritable promoteur local de la construction biosourcée, il est entièrement conçu en bois. La superstructure s’organise sur 5 étages (extensible à 7) autour d’une grille constructive rigoureuse dans laquelle s’organisent des poteaux et des poutres en lamibois de hêtre (Pollmeier baubuche en GL75) et des parois et planchers en CLT. Fait exceptionnel, l’entièreté des cages d’escaliers se compose également de bois, hormis les volées et paliers préfabriqués qui demeurent en béton. Les façades extérieures sont réalisées en ossature bois classique, hautement isolées et encapsulées à l’aide de panneaux résistant au feu. Un équilibrage thermique (inertie) est réalisé à l’aide de chapes semi-lourdes et de revêtements de sols en terrazzo. Le bâtiment est équipé d’une ventilation naturelle qui opère via les menuiseries extérieures.
Seconde journée – mercredi 23 avril 2025
Cette seconde journée et les suivantes marquent le début de visites intensives, exclusivement concentrées dans un rayon d’une cinquantaine de kilomètres.
Halle de production de l’entreprise I+R Holzbau GmbH à Lauterach
L’entreprise fondée en 1904 intervient sur l’ensemble des spécialités du bois et pratiquement l’entièreté des opérations de construction, indépendamment de l’ampleur du programme. I+R collabore par ailleurs déjà avec des entreprises luxembourgeoises sur des projets importants. Grâce au taux élevé d’automatisation et de préfabrication, elle est en mesure de répondre à des commandes importantes en volume et courtes en délais. Elle entend employer et conserver une main d’œuvre hautement qualifiée au sein de ses équipes malgré ce taux élevé d’industrialisation. Cette visite fut notamment l’occasion d’admirer les belles charpentes réalisées pour couvrir les halles complémentaires, bâties pour répondre aux commandes croissantes de l’entreprise.
Complexe scolaire à Hittisau
À la conception pour cet ensemble intégrant un bâtiment administratif, une école polytechnique et une école élémentaire, l’architecte Matthias Bär et les ingénieurs de Merz Kley Partner précédemment cités pour le premier projet de Dornbirn. La commune souhaitait favoriser l’architecture en bois ainsi qu’une collaboration étroite avec des artisans locaux. Les espaces n’étant pas occupés tout au long de l’année, ceux-ci sont mutualisés et se transforment au besoin en lieux partagés au profit des habitants, pour toutes sortes d’activités. Dans les faits, ce sont pratiquement 1 500 m³ de bois - sapins et épicéas en provenance de forêts locales (circuit très court d’une quinzaine de kilomètres), qui ont été utilisés pour la structure et les parachèvements, bien que le bourgmestre insiste sur la difficulté à mener ce type d’opération face à la concurrence (notamment internationale) sur les prix du bois ; il est même souvent nécessaire que les instances locales mettent le bois d’œuvre à disposition gratuite des transformateurs. Pour des questions de qualités sanitaire et environnementale, les bois mis en œuvre tant à l’extérieur qu’à l’intérieur demeurent non traités – en témoignent les parquets en frêne « savonnés » !
Menuiserie Markus Faißt à Hittisau
Écouter Markus raconter son métier, c’est écouter un poème, et il admet lui-même que construire en bois massif dans le respect des assemblages traditionnels n’est pas chose aisée ; chez lui, on discute fusion entre artisanat et architecture, coupe saisonnière et cycles lunaires. Les grumes de sapins blancs, d’épicéas, de hêtres ou d’essences fruitières pour la réalisation de meubles sur mesure et de placages précieux proviennent des forêts proches du Bregenzerwald, véritables espaces de biodiversité dans lesquels les arbres ont toute liberté à pouvoir se régénérer, à l’opposé de certaines monocultures productivistes frontalières ; une fois débitées, les grumes sèchent naturellement et lentement (1 cm d’épaisseur par an) dans un séchoir à ventelles ; pour l’anecdote, l’une des façades de l’atelier tout proche du séchoir rappelle le « fameux » KUB – Kunsthaus Bregenz de Peter Zumthor – et pour cause, la réalisation de ces deux derniers n’est distante que de 4 années. Mais qui donc s’est inspiré de l’autre ?
Atelier de réflexion de l’architecte Georg Bechter à Hittisau
Nous avions présenté un projet phare de l’architecte dans une édition précédente, un projet d’habitation en paille porteuse (Neomag #040 de juillet 2021). Dans son atelier de réflexion, Georg Bechter conçoit des projets mais également des luminaires minimalistes, son autre activité professionnelle. Le projet visité récupère les murs primitifs d’une ancienne grange ainsi que certaines des anciennes structures en bois tandis que les nouveaux espaces et volumes sont organisés autour de nouveaux ouvrages en bois remplis d’une isolation en paille. L’argile est omniprésente à l’intérieur, non seulement sous forme d’enduit pour le parachèvement des murs, mais également au sol sous forme de terrazzo. Une feutrine en laine de mouton disposée sur certains plafonds améliore l’acoustique des espaces de travail. Une attention particulière est portée aux apports en lumière naturelle et aux cadrages vers les paysages extérieurs, sensibles et subtils. Nous remarquons la souplesse statique prononcée du plancher en bois de la salle d’exposition, l’architecte nous expliquant avoir privilégié l’économie des matériaux au détriment de la raideur de cette structure. Nous notons enfin le traitement des façades extérieures assez intéressant et du plus bel effet, composé d’une résille de bois sobre et chatoyante.
Ensemble de logements « temporaires » en bois à Wolfurt
Au Vorarlberg comme au Grand-Duché, la question de l’abordabilité (financière) et de la disponibilité du foncier est prégnante. Jadis, les terrains demeuraient dans les familles, devenues grands propriétaires fonciers, et ne changeaient que rarement de main. Aujourd’hui c’est moins le cas, mais les prix ont graduellement augmenté pour atteindre des sommets, compliquant l’accès à la propriété des primo-acquéreurs. Pour ce projet, le propriétaire du terrain a choisi de faire construire à son compte un ensemble de logements compacts temporaires et démontables (remontables) conçus pour une durée de fonctionnement estimée à 25 années et mis en location à coût modéré ; au-delà du terme, les constructions seront en théorie démontées car une option de conservation et de revente aux occupants semble cependant envisageable. Les espaces intérieurs sont rationalisés, les fonctions partagées et mutualisables étant regroupées au sein de l’ancien bâtiment qui comprend également une unité de chauffage communautaire fonctionnant aux pellets. Les constructions sont réalisées en ossatures bois classiques, les planchers étant massifs ; en guise de fondations, nous observons des longrines préfabriquées en béton, facilement démontables et récupérables lors du démantèlement, qui ne grèvent pas le terrain.
Nous clôturons cette journée en prenant un peu de hauteur sur la ville de Dornbirn et le lac de Constance en empruntant le téléphérique menant au restaurant panoramique Karren. L’extension de ce restaurant consiste en une structure en acier préfabriquée composée de plusieurs modules, soutenue par de minces colonnes arrimées à la roche. Nous profitons du panorama en empruntant une structure en porte-à-faux aux planchers faits de caillebottis d’acier et aux garde-corps totalement vitrés. Certains décident de ne pas faire confiance aux ingénieurs !
Troisième journée – jeudi 24 avril 2025
Immeuble collectif Wertvollhaus Hof 30 à Schwarzenberg
C’est le maître-charpentier Harald Berchtold qui mène la visite de ce projet presque entièrement conçu en bois. Nous nous interrogeons sur la petitesse des bardeaux de sapin blanc qui ornent la façade (environ 5 cm de largeur), au sujet desquels Harald nous explique que jadis, ils étaient corrélés à la richesse de la famille : petit bardeau, famille aisée ! Le climat local favorise une croissance plus lente des arbres, augmentant leurs qualités mécaniques et leur durabilité, ce qui explique qu’un « simple » sapin blanc puisse durer 45 à 50 ans en façade, sans le moindre traitement ; aussi, des hivers rigoureux et des étés chauds empêchent le développement de champignons xylophages. Une fois à l’intérieur, nous sommes surpris par l’unique escalier de circulation, en bois massif, et sa conformité incendie : simple surdimensionnement et discussions constructives avec le service incendie nous répond Harald. Quant à la structure, elle se résume presqu’à un empilage de madriers non rabotés de section carrée (300 x 300 mm), assemblés traditionnellement et sans moyens mécaniques ni colles. Ces madriers proviennent de troncs entiers dont les « déchets » de coupes sont récupérés pour d’autres éléments du bâtiment, notamment la fabrication de planches. Nous terminons la visite par les combles où nous contemplons une sublime charpente assez atypique - faite selon les habitudes de construction locales, composée de jambes de force et d’un double entrait peu commun.
Hôtel de Ville de Hohenems
Afin d’encourager la construction vertueuse et récompenser les projets les plus méritants au travers de l’obtention de subsides, le Vorarlberg a établi un système à points (sur un total de 1 000) qui évalue les aspects durables et circulaires d’une construction. Avec un score établi à 960, la nouvelle mairie est très proche du maximum établi. Hormis le béton employé pour la cage d’escalier et les colonnes du rez-de-chaussée, préférées en cas de collision accidentelle d’un véhicule (voirie proche), la quasi-entièreté du bâtiment est faite de bois : lamellé-collé d’épicéa pour la superstructure, planchers massifs structurels à profil spécifique intégrant une laine de bois phonique (type Sohm Holzbau), parquets et cloisons de séparation en frêne, bardages extérieurs en épicéa non traité, menuiseries extérieures en sapin blanc, … tandis que les autres matériaux répondent aux préceptes du Cradle to Cradle. Ce qui surprend le plus est sans doute la minutie extrême avec laquelle les éléments sont assemblés et ajustés. Les bureaux sont disposés en périphérie afin de privilégier une lumière naturelle. Le directeur du chantier Marc Inama nous informe enfin de la rapidité d’exécution de la superstructure, soit 2 étages montés par semaine, et un dernier chiffre saisissant : le cubage total du bois nécessaire au projet correspond à 10 minutes de croissance de la forêt autrichienne, qui couvre 50 % du territoire.
Jardin d’enfants à Kreuzfeld, Altach
Les espaces extérieurs sont conçus sans voiture et nous déambulons au travers d’aménagements très qualitatifs. L’école maternelle accueille deux groupes d’âges, de 1 à 3 ans et de 3 à 6 ans, pour un total d’une centaine d’enfants. Le projet s’organise autour d’un rez-de-chaussée lumineux comprenant les bureaux, la cuisine, les espaces collectifs, les espaces de repos et de psychomotricité ; l’étage comprend les classes, chacune munie d’un accès vers une coursive extérieure couverte, et la cuisine des plus petits pour éviter les déplacements de ceux-ci entre étages. Encore une fois, le bois est roi, tant en structure qu’en parachèvement, et une attention particulière est portée aux traitements afin de garantir le plus haut degré sanitaire pour la qualité de vie des enfants et des personnels enseignants et accompagnants. Les espaces dégagent une atmosphère de sérénité et de bien-être, éléments ayant sans doute collaboré à l’obtention du Prix de construction en bois du Vorarlberg 2023 – catégorie « bâtiment public ».
École primaire Unterdorf, Höchst
Avec une conception de plain-pied, très étalée donc thermiquement déperditive, le parti architectural ne fut pas simple à défendre auprès du client nous explique Patrick Stremler du bureau Dietrich Untertrifaller Architekten. En définitive, ce choix (et l’organisation des espaces internes) fonctionne admirablement avec l’approche pédagogique Montessori qui regroupe les enfants en « clusters » ; les architectes ont veillé à ouvrir les espaces, à baigner ces derniers de lumière et à supprimer une majorité des portes. Pour ne pas allonger indéfiniment les réseaux, les espaces bénéficient de systèmes de ventilation décentralisés. L’école fait un usage extensif de CLT collé pour la structure, laissé apparent. Certains sols sont réalisés en terrazzo, choix largement rencontré tout au long des projets visités, d’autres en linoleum de teinte rouge vif, teinte choisie pour son effet stimulant et son adéquation avec les tons chauds du bois laissé exposé.
Domaine Peterhof, Zwischenwasser
Nous terminons cette riche journée en altitude, à la découverte d’un complexe hôtelier conçu par Baumschlager Eberle, accueillis par le propriétaire des lieux, Patrick Schmid. Le bâtiment principal, surmonté d’une impressionnante toiture couverte avec pas moins de 7 tonnes de cuivre exécuté à joints debouts, regroupe les cuisines, un bar et le restaurant. Nous sommes impressionnés par l’architecture sobre, élégante et finement parachevée ; tout au long des sentiers discrets, l’éblouissement se poursuit à la découverte des chalets, très justement intégrés à la topographie accidentée des lieux, recouverts de bardeaux en mélèze typiques de la région. L’architecture regorge de détails truculents, les espaces sont harmonieux et très chaleureux ; le bois est toujours omniprésent, jamais ostentatoire. Nous ajoutons ce lieu à la longue liste de ceux où il nous faudra revenir.
Quatrième et dernière journée – vendredi 25 avril 2025
Entreprise Lehm Ton Erde, Schlins
Nous quittons pour une matinée le bois ; les passionnés d’architecture en terre (et les autres) connaissent le travail pertinent et passionné de Martin Rauch - principalement au travers du pisé, bien qu’il soit céramiste de formation. Avec Sina Grasmück, nous démarrons la visite de son atelier originel d’où il démarrera ses expérimentations, pour constater que ses premiers prototypes et ouvrages en terre sont toujours bien en place, certains ragréés ou réparés, mais bien conservés. L’atelier jouxte la maison de terre construite plus tard pour sa fille, dont la modénature est assez caractéristique. Nous nous dirigeons ensuite vers la propre habitation de Martin Rauch - conçue avec la terre d’excavation du site et en collaboration avec l’architecte suisse Roger Boltshauser, que nous n’aborderons que de l’extérieur mais qui nous laisse néanmoins admirer la plastique des murs en pisé dont les lits de terre compactée sont interrompus à intervalles réguliers par des lits de tuileaux en terre cuite afin de limiter et ralentir l’érosion des façades. Depuis le garage, nous découvrons la structure du plancher du premier étage, réalisée à l’aide d’un système original et simple à poutrains et claveaux de terre cuite.
Nous poursuivons avec la visite très attendue de l’unité de production des murs en pisé de terre. L’audace de Martin Rauch a consisté à préfabriquer cette technique ancestrale de manière à la systématiser/rationaliser, à réduire la fatigue et les aléas du travail artisanal sur site et, en quelque sorte, à la « techniciser » ; l’outil de production muni de fouloirs automatisés est impressionnant, il permet de fabriquer des parois d’épaisseur comprise entre 8 et 90 centimètres sur une longueur de 50 mètres, avant qu’elles ne soient divisées en éléments plus courts, transportables sur chantier. La visite est utile, très appréciée, et rappelle que la terre est un allié de choix pour tout qui construit en bois : en apportant sa capacité à réguler l’hygrométrie ainsi qu’une faculté à apporter de l’inertie thermique, la terre contribue à créer des espaces sains et confortables.
Centre communal de Ludesch
Au sein de ce superbe projet conçu par Hermann Kaufmann, cette fin de matinée sera l’occasion d’une rencontre avec Wolfgang Mair, responsable de la filière bois du Vorarlberg. Une occasion supplémentaire de découvrir comment, depuis une contrée jadis peu « considérée » par ses voisines plus développées, s’est construite une véritable culture de l’excellence autour de la filière du bois et autour d’une conscience « populaire » de l’écologie, largement validée. La dernière visite de la prévôté de Saint-Gerold n’est pas couverte par le présent article.
Que retenir ?
La clef de voûte de la réussite de l’École du Vorarlberg tient indubitablement à une conjonction unique ; une volonté politique et citoyenne forte, qui choisit d’unifier culture, nature, artisanat et exploitation des ressources au service de la société et de l’économie locale, dans le respect de l’environnement. C’est également une leçon de pragmatisme, de dialogue et de concertation, car l’architecture qui s’y est développée a su se défaire des conventions pour se réinterpréter et se réinventer, en beauté.
Vers l’autonomie énergétique d’une région entière
Ces succès écologiques, fruits de l’engagement de toute la population en faveur de la protection de l’environnement, sont aussi à mettre au crédit d’une politique publique volontariste poursuivie dans la durée. Herbert Sausgruber, ministre-président du Land entre 1997 et 2011, a fait de la protection du climat et de la limitation des gaz à effet de serre la pierre angulaire de sa politique. Son objectif ? Atteindre l’autonomie énergétique en 2050. A cette date, l’électricité, le chauffage et les carburants devront tous être issus de ressources renouvelables locales. Pour y parvenir, les autorités misent, comme l’association française NegaWatt, sur le trio sobriété, efficacité énergétique et énergies renouvelables, explique Dominique Gauzin-Müller. Aujourd’hui, l’énergie hydraulique couvre 97 % des besoins en électricité du Land. Une centaine de centrales de chauffage à bois avec réseau de chaleur - une par commune, ont été mises en services en quinze ans. Le nombre d’installations solaires photovoltaïques encouragées par un prix de rachat très attractif est, lui aussi, en forte hausse. En 2008, 160 000 m2 de capteurs solaires thermiques pour l’eau chaude sanitaire avaient déjà été installés dans le Vorarlberg, soit 0,45 m2 par habitant, vingt fois plus qu’en France. La même année, 20 % de l’énergie nécessaire au chauffage était fournie par la biomasse. (source : texte d’Éric Tariant pour le site www.utopiesdaujourdhui.fr, sous l’aimable proposition de M. Norbert Nelles, architecte, co-fondateur du groupe Artau, professeur et ex-doyen de la Faculté d’Architecture de l’ULiège).
Textes et illustrations : ©Régis Bigot, Arch. & Innovation Project Manager Neobuild GIE ; paragraphe d’introduction par Admon Wajnblum et Aurore Leblanc, Ligne Bois asbl.
Article paru dans Neomag #71 - juin 2025