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Focus sur une thématique pointue à travers le regard aiguisé d’experts en la matière

Publié le 10 juin 2025
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juin 2025

Matériaux de construction

Matériaux de construction
Quand l'éphémère devient durable
Quand l’éphémère devient durable

Au-delà de présenter les traditions, modes de vie et paysages du Grand-Duché, le pavillon luxembourgeois de l’Exposition universelle d’Osaka porte un manifeste de sobriété et d’économie circulaire.

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« En travaillant sur ce projet, nous devions faire face à une certaine absurdité : dépenser des matières et de l’énergie pour créer un bâtiment qui aura une durée de vie de quelques mois. Le projet se serait fait, de toutes façons, avec ou sans nous. Dès lors, l’enjeu était de proposer un projet au moindre coût écologique et le plus vertueux possible pour la planète, dans une vision globale », explique l’architecte Arnaud De Meyer.

La maîtrise d’œuvre a donc établi une stratégie d’économie circulaire articulée autour de trois axes : refuser tout ce qui est inutile, réduire les besoins à leur strict minimum et réutiliser un maximum de matériaux - soit utiliser des matériaux de réemploi pour la construction, soit faire en sorte que les matériaux utilisés puissent être réemployés à leur valeur initiale lorsque le bâtiment sera déconstruit. « Le recyclage est le dernier recours et nous avons essayé de le limiter, dans la mesure où recycler signifie réutiliser à une valeur moindre par rapport à la valeur initiale du matériau », souligne-t-il.

Pour générer un minimum de déchets et permettre la réutilisation d’un maximum de composants, il fallait baser la conception architecturale sur des matériaux fabriqués et utilisés localement. Ce sont les matériaux disponibles qui ont dicté la forme du pavillon, et non l’inverse. « Nous avons sélectionné des éléments de construction couramment utilisés dans la construction au Japon car, premièrement, les fournitures standards sont faciles à trouver et, deuxièmement, il est potentiellement plus facile de trouver des repreneurs intéressées à les récupérer ».

Pour favoriser le réemploi, il fallait aussi éviter de transformer/détériorer les éléments. Par exemple, des panneaux de coffrage ont été utilisés « sans les découper, donc sans les dévaloriser » pour réaliser le bardage des façades du pavillon. Le même exercice a été fait avec des profilés métalliques très légers employés aussi souvent que possible dans leurs dimensions standards pour structurer les volumes.

« Nous avons tout modulé sur des trames standards japonaises afin de limiter les chutes. Pour les planchers, toitures et façades, nous avons travaillé en écailles, en faisant glisser les éléments les uns devant les autres plutôt que de les découper. Au lieu de les visser, clouer ou coller, nous avons imaginé des systèmes de pinces, de crochets ou de sangles qui permettent d’éviter les détériorations au moment du démontage et de préserver ainsi l’intégrité d’une majorité d’éléments. Nous avons volontairement tenu compte des dimensions et portées maximales imposées par les dimensions standards des profilés métalliques. Cela a limité les portées, c’est pourquoi nous avons opté pour une architecture faite d’une succession de petits volumes et des espaces de maximum 10 à 12 m de côté ».

Le choix de structures métalliques n’est pas anodin. « Au-delà de la récupération directe des profilés standards conservés, les petites pièces et chites d’acier sont à 100 % recyclables à leur valeur nominale, même si on a consommé de l’énergie au passage ». Cette structure métallique principale est doublée à l’intérieur d’une sous-construction légère qui forme une sorte de « colombage en métal » à laquelle des panneaux d’isolation thermique ont été intégrés. Le travail en couches juxtaposées permet d’utiliser un maximum de profils de longueurs standards sans devoir les recouper. Les finitions intérieures des salles sont constituées de simples tissus noirs ou de panneaux de bois standards, toujours en cohérence avec le principe de légèreté de la construction ».

Les toitures sont composées de bacs en acier nervurés, encastrés les uns dans les autres, juxtaposés pour éviter les découpes et, encore une fois, favoriser la récupération. L’ensemble des modules et des espaces extérieurs qui forment le pavillon est couvert par une membrane en PVC de plus de 1000 m2. « Dans le cadre de notre approche circulaire, nous avons essayé de consommer un minimum de matière. Même si le PVC est une matière issue de la pétrochimie, elle est extrêmement performante. Avec seulement une tonne et demie de matière, la membrane remplit à elle seule plusieurs fonctions qui auraient été accomplies par différents autres matériaux en les combinant : elle protège le pavillon du soleil, assure son étanchéité et permet de récolter les eaux pluviales pour une utilisation dans les sanitaires et l’arrosage des plantations. Elle fait partie d’un programme de recyclage mis en place par le fabricant : elle peut-être entièrement récupérée pour fabriquer de la nouvelle membrane. Mais nous avons peut-être d’autres idées pour elle, qui se concrétiseront d’ici la fin de l’Expo ».

Une des innovations importantes du pavillon est invisible. Il s’agit de la conception des fondations, 100 % préfabriquées, 100 % démontables et récupérables, composées de mégablocs en béton intégrés dans des cadres en acier rigides. Ces derniers intègreront de nouveaux aménagements du domaine Nesta de Kobe, après avoir été enlevés et nettoyés. En fin de compte, les matériaux correspondant à 80 % du poids du pavillon seront réutilisés après nettoyage et reconditionnement. Les 20 % restants seront recyclés.

La conception des structures, des fondations et de la membrane a été réalisée par le bureau d’ingénieur Ney & partners T6.

Le projet a été réalisé par une équipe internationale. « Nous ne pouvions pas nous lancer dans cet appel à projet sans avoir de partenaires japonais capables d’évaluer chacune de nos propositions selon la perception que le public japonais pourrait en avoir. Nous ne voulions pas projeter uniquement un point de vue occidental, mais nous assurer de toucher un public japonais et asiatique, sans surenchère d’effets ou de moyens. Nous voulions que chaque chose soit juste. Nous voulions aussi que des acteurs locaux puissent mener les démarches et le suivi du chantier de façon fluide, selon les usages. Du point de vue du bilan carbone, la seule chose qui est venue du Luxembourg, c’est la matière grise (et le jeu de quilles, dont une partie est de seconde main). Tout est purement basé sur des produits, des matériaux et des savoir-faire japonais. Nous nous sommes déplacés le moins souvent possible et de la façon la plus efficace possible. Nous nous sommes organisés pour que les bonnes personnes soient rassemblées, que des décisions clés soient prises et que des avancées concrètes soient réalisées à chaque déplacement », conclut Arnaud De Meyer.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #71 - juin 2025

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