
Décarbonation, circularité, réemploi : autant de mots qui constituent le nouveau champ lexical de la construction. Le mouvement est en marche avec ses défis et ses apprentissages.
Jeanne Pernot
Responsable du domaine Développement durable et Normalisation à l’ILNAS
« Le secteur de la construction est en pleine transformation, notamment en raison des exigences rigoureuses en matière d’efficacité énergétique prescrites par la directive européenne EPBD (Energy Performance of Buildings Directive). La normalisation devient un levier majeur pour accélérer la décarbonation et intégrer l’économie circulaire dans les procédures du secteur de la construction. Les normes techniques offrent un langage commun, des méthodes partagées et des exigences mesurables permettant ainsi aux différents acteurs de travailler sur une base fiable et comparable à l’échelle nationale, européenne et mondiale.
Un ensemble conséquent de normes opérationnelles sont déjà disponibles. à titre d’illustration, en ce qui concerne la performance carbone, les normes européennes EN 15978 (nouvelles versions en cours de ratification) ou encore EN 15804 encadrent l’analyse du cycle de vie et les déclarations environnementales des produits. Elles permettent une évaluation de l’empreinte carbone des bâtiments, depuis les matériaux jusqu’à l’exploitation. Du côté de l’économie circulaire, l’ISO 20887 apporte un cadre pour analyser la démontabilité, la réversibilité et le potentiel de réemploi.
Ces normes sont développées au sein de comités techniques, comme le CEN/TC 350, respectivement l’ISO/TC 59/SC 17. Toutes parties prenantes luxembourgeoises intéressées peuvent participer, à travers l’ILNAS, garantissant ainsi une représentation des intérêts nationaux sur la scène internationale. Contribuer à ces groupes de travail, c’est aider à façonner les pratiques de demain et veiller à ce que les réalités du terrain soient intégrées aux futures normes techniques.
La normalisation devient un véritable catalyseur : elle donne au secteur les outils nécessaires pour construire des bâtiments décarbonés, circulaires et pleinement alignés avec les objectifs européens ».
Jeannot Schroeder
Managing Director de +ImpaKT, part of SWECO
« La circularité est un mot qu’on utilise trop ! Tellement, qu’à force, tout devient circulaire : les matériaux, les produits, les territoires, les circuits d’approvisionnement… Le mot a fini par en perdre sa force car, quand tout est circulaire, plus rien ne l’est vraiment !
Il est temps de faire évoluer notre langage. Derrière la circularité, il y a des réalités concrètes : des objets qu’on peut mieux utiliser, réparer, démonter, transformer. Des matériaux qu’on réutilise vraiment. Des ressources qu’on préserve au lieu de les extraire, encore et encore.
Peut-être faut-il inventer une « circularité 2.0 ». Une approche plus honnête, plus ancrée dans le réel. Moins de discours, plus de précision. Parler de réparabilité, de durée de vie, d’impact sur les ressources. Parce qu’à trop vouloir tout englober sous un grand mot, on vide ce mot de son sens.
Changer le langage, c’est déjà changer la manière d’agir. Et au Luxembourg nous avons développé le PCDS (Product Circularity Data Sheet) qui permet cette précision nécessaire pour générer le changement systémique ».
Régis Bigot
Architecte et Innovation Project Manager chez Neobuild GIE
« Circularité et décarbonation, entre autres vocables censés représenter une volonté forte de la maîtrise d’ouvrage, de la maîtrise d’œuvre (ou mieux, des deux) à diminuer l’impact environnemental des projets de construction, sont aujourd’hui quelque peu dévoyés.
En quelques temps, nos activités et métiers respectifs semblent avoir généré, comme par miracle, des infrastructures et des bâtiments toujours plus circulaires, durables, frugaux… alors que, soyons de bon compte, l’ampleur du chemin à parcourir semble chaque jour plus colossale et complexe. Chaque matin peut révéler une contre-vérité qui nous fait douter du bien-fondé de ce que nous croyions comme certitude immuable la veille.
La collaboration entre nous toutes et tous est plus que jamais cruciale afin de garantir au secteur, non pas son équilibre, mais une réforme (profonde) qui puisse le réinventer, le réenchanter et lui permettre de s’adapter aux fluctuations croissantes de notre environnement.
Pour parler « vrai », bien construire ne devrait être ni une mode, ni un luxe, ni un argument commercial, ni un faire-valoir qui tendrait à s’établir comme une performance, mais plutôt un contrat de société qui profite au plus grand nombre et qui s’inscrit en complément à une thématique autrement plus urgente, l’accès au logement ».
Ariane Bouvy
Gestionnaire du Circular Innovation HUB de Wiltz
« L’économie circulaire vise à préserver la valeur des ressources en les maintenant le plus longtemps possible dans le circuit. En alliant réemploi des matériaux et écoconception – c’est-à-dire en pensant les bâtiments pour qu’ils puissent être réparés, transformés et démontés -, on utilise les ressources au mieux, on limite les extractions, les déchets et la pollution, on diminue les impacts environnementaux et on s’approche ainsi du sommet de la « montagne de valeur » de l’économie circulaire.
Nous travaillons activement sur le réemploi des matériaux, le challenge étant actuellement d’intervenir sur des bâtiments qui n’ont pas été conçus pour être démontés. Chaque fois que nous faisons l’exercice de démonter un bâtiment existant pour réutiliser ses matériaux dans un autre, notre input nourrit la conception des projets futurs. Le partage d’expérience est fondamental dans une démarche d’économie circulaire.
La décarbonation est indissociable de la circularité. Si l’on se limite au seul prisme du carbone, on risque d’oublier la fin de vie des matériaux. Or, un matériau à faible empreinte carbone, s’il finit en déchet, perd tout son sens. Il faut donc adopter une vision holistique, qui intègre le réemploi, la transformation et la prolongation de la durée d’usage des matériaux ».
Patrick de Cartier d’Yves
Head of Engineering chez Seco Luxembourg
« En tant que garant de la qualité technique des projets de construction, Seco apporte une contribution précieuse à la décarbonation du secteur. En effet, augmenter la durée de vie des bâtiments et maintenir les constructions existantes sont les leviers les plus efficaces en matière de décarbonation. Si une déconstruction/reconstruction s’avère inévitable, nous mettons à profit notre connaissance pointue des matériaux pour émettre des avis quant à leur aptitude au réemploi. Ce service, complémentaire au contrôle technique, permet de prendre les bonnes décisions, tant techniques qu’environnementales.
Pour s’adapter aux nouveaux modes de construction, nos compétences évoluent également, avec une expertise interne accrue pour la construction bois. Ce mode constructif, bien que puits de carbone, permettant une décarbonation rapide, se heurte à la limite des ressources disponibles.
Notre expertise technique est également très appréciée de l’industrie dans le domaine des matériaux innovants, tels que les briques en terre crue, mais aussi les bétons avec des liants alternatifs au ciment, tels que les pouzzolanes ou encore les cendres issues des incinérateurs d’ordures ménagères (https://www.ashcycle.eu/).
C’est bien la combinaison entre la sobriété dans l’utilisation des ressources, l’innovation vers les matériaux biosourcés ou alternatifs, et la décarbonation de l’industrie des matériaux de construction qui permettra de construire les bâtiments zéro carbone de demain ».
Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #75 - décembre 2025























