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Focus sur une thématique pointue à travers le regard aiguisé d’experts en la matière

Publié le 3 novembre 2025
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La transition numérique, moteur du Luxembourg
La transition numérique, moteur du Luxembourg

Au ministère de l’Économie, la transition numérique n’est pas perçue comme une simple possibilité, mais comme une condition essentielle à la compétitivité, à la résilience face aux crises et à la souveraineté du pays.

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Interview de Lex Delles, ministre de l’Économie

La transition numérique irrigue tous les secteurs, en particulier la construction où elle redéfinit la manière de construire et de planifier le territoire, et elle s’appuie sur des stratégies ambitieuses concernant les données et l’intelligence artificielle.

Quelle est la place de la transition numérique dans la stratégie économique nationale ?

Elle est au cœur de la stratégie économique du pays. Elle n’est pas une option, mais le fondement d’une croissance robuste, durable et compétitive. D’ailleurs, accélérer la souveraineté numérique du Luxembourg d’ici 2030 est une ambition ancrée dans l’accord de coalition du gouvernement.

C’est notamment le cas des trois stratégies en matière de données, d’intelligence artificielle et de technologies quantiques, élaborées conjointement, par le ministère de l’Économie, avec le ministère d’État, le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, ainsi que le ministère de la Digitalisation. Grâce à ces stratégies, une série de mesures concrètes a d’ores et déjà été identifiée afin de garantir une mise en œuvre rapide et efficace. Réussir la transition numérique est en effet un enjeu vital pour le pays, tant pour la compétitivité de l’industrie et des services que pour la résilience en matière d’énergie et de ressources, ainsi que pour la cohésion sociale, notamment intergénérationnelle.

Dans le secteur de la construction, par exemple, où la pénurie croissante de main-d’œuvre est un défi majeur, la digitalisation permet de mettre en œuvre de nouvelles techniques de construction préfabriquées qui offrent de meilleures conditions de travail et une plus grande productivité.

Comment le MECO accompagne-t-il cette transformation ?

Pour le MECO, la déclinaison de ces stratégies au niveau des entreprises est une priorité, pour les grandes entreprises, comme pour les PME, qui n’ont souvent pas les ressources et les moyens de suivre les développements. C’est la raison pour laquelle nous accompagnons cette transformation à plusieurs niveaux : depuis 2019 les SME Packages apportent un soutien concret au développement de services numériques, de projets d’intelligence artificielle (IA) et de cybersécurité. Les entreprises qui bénéficient de ces packages peuvent obtenir jusqu’à 70 % du coût de leurs projets, avec des budgets allant de 3 000 à 25 000 euros. Il existe aussi des programmes de soutien à la transition numérique, tels que Fit4Digital et Fit4AI, mis en œuvre avec le GIE Luxinnovation.

Conscients des défis auxquels les entreprises sont confrontées et dans l’esprit du « once only », nous travaillons également sur des projets d’IA pour faciliter la collecte et l’utilisation de données existantes, par exemple de bordereaux de soumission, afin d’alimenter les maquettes numériques. L’établissement de maquettes numériques de bâtiments est un sujet clé dans le secteur de la construction. L’approche BIM permet d’optimiser le processus de construction et offre également d’autres possibilités de valorisation des informations collectées pour répondre à des exigences réglementaires futures, comme le calcul de l’empreinte carbone du bâtiment sur l’ensemble de son cycle de vie. Le recensement numérique des matériaux de construction utilisés est également à la base de stratégies d’économie circulaire pour un meilleur réemploi et recyclage de ces produits et matériaux. La solution Product Circularity Data Sheet (PCDS) du GIE TerraMatters est de plus en plus utilisée pour faciliter l’échange d’informations sur les produits et matériaux utilisés, et pour en simplifier le réemploi futur, notamment dans le secteur de la construction.

Quelles technologies vous semblent prometteuses pour améliorer la résilience des villes face aux crises ?

Au Luxembourg, la résilience urbaine face aux crises climatiques, énergétiques et de mobilité repose sur l’adoption de technologies innovantes adaptées au contexte territorial et démographique du pays. Un exemple récent est l’appel Smart City, qui vise les communes et les syndicats de communes et permet de cofinancer des solutions intelligentes dans les domaines des ressources, de l’énergie et de la mobilité.

Diverses technologies peuvent améliorer la résilience de nos communes, comme les jumeaux numériques qui permettent de cartographier les différents réseaux et de simuler l’impact d’événements extrêmes (inondations, vagues de chaleur), afin d’optimiser leur planification.
Les réseaux intelligents facilitent l’intégration des énergies renouvelables et la gestion décentralisée de l’énergie, notamment via des communautés énergétiques locales. Je pense notamment au Living Lab de Creos qui relie 14 maisons d’un même quartier à Cruchten.

En matière de mobilité, le Luxembourg, pionnier de la gratuité des transports publics, peut aller plus loin en mettant en place des véhicules autonomes et des plateformes de gestion multimodale afin de fluidifier les déplacements transfrontaliers.

Enfin, les technologies de gestion circulaire des ressources (eau, déchets, matériaux de construction) sont essentielles pour renforcer l’autonomie et la durabilité des villes luxembourgeoises.

Pourriez-vous citer un ou deux projets luxembourgeois qui illustrent déjà bien l’utilisation du digital et de l’IA ?

L’IA impacte tous les secteurs de l’économie, certains dans une moindre mesure que d’autres. Dans la construction, par exemple, elle permet d’optimiser la conception et la planification des bâtiments, de faciliter la détection automatique des erreurs et la gestion des données complexes, d’anticiper les besoins, de réduire les coûts, d’augmenter la performance énergétique et de rendre la construction plus durable, en facilitant notamment l’analyse prédictive et la prise de décision.

Pour renforcer la résilience urbaine, le jumeau numérique régional du changement climatique permet par exemple de modéliser les impacts climatiques à l’échelle du territoire. Il offre aux décideurs publics des outils prédictifs pour anticiper les risques (inondations, vagues de chaleur) et adapter les politiques d’aménagement (voir p. 59 de la stratégie).

Un autre exemple phare est le Digital Twin Innovation Centre (DTIC), porté par le LIST, qui développe des plateformes de jumeaux numériques pour des domaines stratégiques tels que la mobilité, l’énergie ou l’environnement. Ce centre soutient notamment le projet CitCom.ai, une infrastructure européenne de test pour l’IA appliquée aux villes intelligentes, qui vient compléter le soutien nécessaire pour accompagner les communes et les syndicats de communes dans leurs projets Smart City.

La digitalisation soulève également des enjeux de cybersécurité, de protection des données ou de dépendance technologique. Comment le Luxembourg aborde-t-il ces défis ?

Le Luxembourg n’est malheureusement pas à l’abri des cyberattaques, et le secteur de la construction n’y échappe pas. La perte d’un accès à des données sensibles peut entraîner des conséquences néfastes pour une entreprise. Le secteur de la construction étant étroitement lié aux marchés des pays voisins, nous veillons à adopter des solutions open source et à laisser une certaine flexibilité aux entreprises dans le choix de leurs outils, afin d’éviter une trop grande dépendance technologique.

Un autre risque important concernant les données est la perte de souveraineté et l’exposition à des législations étrangères. Le gouvernement a donné la priorité au développement de solutions souveraines luxembourgeoises, comme les clouds souverains, ou comme le partenariat récemment signé entre le gouvernement luxembourgeois et l’entreprise française Mistral AI pour des solutions d’IA utilisées par le service public. Ces solutions permettent de stocker et de traiter les données tout en étant certain qu’elles restent au Luxembourg. Une bonne interopérabilité informatique est d’une importance particulière pour le Luxembourg, et nous y travaillons avec le Conseil national pour la construction durable (CNCD), le CRTI-B et l’ILNAS.

Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

Digitalisation et durabilité : les deux piliers de la construction de demain
Digitalisation et durabilité : les deux piliers de la construction de demain

Derrière chaque bâtiment, se cache une somme de données. En permettant de structurer et d’exploiter ces données correctement, le BIM, le jumeaux numériques et l’intelligence artificielle ouvrent la voie à une approche plus efficiente, plus durable et plus collaborative de la construction.

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Au Luxembourg, acteurs publics, chercheurs et professionnels s’unissent pour faire de cette mutation une opportunité collective, au service de villes plus résilientes et d’un cadre de vie mieux maîtrisé.

Paul Schosseler

Président de Neobuild, co-président du CNCD et directeur construction durable au ministère de l’Économie

« Chez Neobuild, nous nous intéressons activement aux bâtiments intelligents, en tant qu’éléments-clés de la transition énergétique. Grâce à des systèmes intégrés qui combinent panneaux photovoltaïques, pompes à chaleur, batteries et mobilité électrique, gérés par des Building Operation Systems (BOS), la gestion des flux d’énergie - et donc l’efficacité énergétique - y sont optimisées. Nous travaillons également sur une meilleure intégration de la géothermie dans ces systèmes.

Pour pouvoir activer des économies d’échelle, le bâtiment doit être connecté à son environnement, au sein de villes intelligentes. C’est pourquoi Neobuild fait partie de la Smart Building Alliance for Smart Cities (SBA Luxembourg) qui déploie des projets pilotes, comme la mise en place de réseaux en courant continu pour limiter les pertes énergétiques.

Avec la refonte de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB), une vue plus holistique de l’impact du bâtiment sur l’environnement et l’humain s’impose. Le calcul de l’empreinte carbone sur l’ensemble du cycle de vie d’un nouveau bâtiment considère non seulement les flux d’énergie pour faire fonctionner le bâtiment, mais aussi les stocks immobilisés sous forme d’énergie grise dans les matériaux. La maquette numérique devient indispensable car elle rassemble les données nécessaires, notamment dans l’inventaire des matériaux, pour évaluer cette énergie grise et donc l’empreinte carbone globale du bâtiment, une thématique sur laquelle le Ministère collabore étroitement avec tous les membres du CNCD, mais aussi avec le LIST.

L’intelligence artificielle ouvre la voie à la collecte automatique de données issues des bordereaux de soumission et d’autres sources pour alimenter ces inventaires, allégeant ainsi la charge des entreprises, en particulier des PME.

Enfin, des projets de Neobuild et du Ministère en lien avec la directive sur la performance énergétique des bâtiments portent aussi sur la qualité de l’environnement intérieur, où la digitalisation est essentielle pour pouvoir opérer un monitoring en temps réel ainsi qu’un contrôle de la qualité de l’air, par exemple à travers une aération adaptée ».


Lucien Hoffmann

Science Director au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST)

« La construction est aujourd’hui au cœur des transitions environnementales et sociétales. Concevoir des environnements bâtis durables, résilients et inclusifs implique donc de repenser nos pratiques, de la conception à l’exploitation des projets.

Dans cette perspective, deux leviers se révèlent essentiels : la digitalisation et la durabilité. Des outils comme le BIM ou le digital twin offrent une vision intégrée et dynamique des bâtiments et des infrastructures, ce qui facilite la planification, optimise la gestion et renforce la collaboration entre acteurs des chaînes de valeur. Combinés à des approches circulaires, de performance énergétique et à l’usage de matériaux à faible empreinte carbone, ils ouvrent la voie à un secteur plus responsable et innovant.

Le Luxembourg, par sa taille et son dynamisme, constitue un terrain privilégié pour expérimenter et mettre en œuvre ces solutions. En renforçant les synergies entre recherche, institutions publiques et secteur privé, il est possible d’accélérer l’innovation pour la transformation vers des villes réellement durables, inclusives et résilientes et de répondre aux grandes transformations de la société ».


Daniel Zignale

Consultant OAI au sujet du BIM

« Avec les nouvelles approches numériques, le BIM et les intelligences artificielles s’imposent aujourd’hui comme des leviers majeurs de transformation. Le secteur de la construction est en constante mutation, et au Luxembourg, l’OAI a toujours accompagné ses membres dans ces évolutions. L’Ordre place désormais la digitalisation au cœur d’une démarche globale tournée vers l’efficience des projets et la durabilité des bâtiments qui composent nos villes.

Le BIM est avant tout un processus collaboratif qui réunit l’ensemble des informations d’un projet, de la conception à l’exploitation, dans un environnement numérique commun. Il alimente la chaîne de décision des différents acteurs, favorisant la création de bâtiments mieux pensés, plus performants et plus respectueux de l’environnement.

Mais l’horizon s’élargit encore avec l’essor de l’intelligence artificielle. En croisant les données issues des projets avec celles du territoire – géologiques, démographiques ou climatiques – les jumeaux numériques de nos villes deviennent une réalité. Ces analyses croisées ouvrent la voie à de nouveaux usages fondés sur la prédiction et l’optimisation qui permettront par exemple d’anticiper les besoins énergétiques, de planifier les chantiers, ou encore d’améliorer la gestion des bâtiments dans leur contexte urbain.

À travers ses propres initiatives et sa participation aux démarches nationales, notamment avec le CRTI-B, l’OAI souhaite donc vivement promouvoir le BIM, l’IA et les technologies innovantes comme des outils destinés à amplifier le savoir-faire des concepteurs et à bâtir des villes plus intelligentes et plus durables ».


Thierry Hirtz

Président du CRTI-B et architecte chef de division de la gestion du patrimoine à l’Administration des bâtiments publics

« Sur de nombreux projets, des divergences entre études et exécution apparaissent toujours, nourries notamment par des informations incomplètes ou mal synchronisées. Les versions se croisent, les décisions se décalent, et les interfaces entre lots deviennent des points de fragilité du processus qui génèrent reprises et réclamations. En fin de chantier, des livrables hétérogènes compliquent l’exploitation et la gestion des bâtiments : un manque de consolidation des données du DAO prolonge les aléas au-delà de la réception. Ces situations entraînent retards, surcoûts et qualité inégale, surtout sur des projets complexes.

La digitalisation, en utilisant les modes de communication adaptés aux nouveaux supports de l’information, permet de rendre les processus plus transparents, de synchroniser les décisions, d’améliorer durablement la performance des projets publics et d’optimiser la gestion du patrimoine bâti. L’Administration des bâtiments publics est pleinement consciente de cette dynamique : soutenir l’adoption du numérique dans le secteur de la construction au Luxembourg est essentiel pour garantir la qualité et la pérennité des constructions tout en augmentant l’efficience des processus indispensable à la compétitivité du pays ».


Tom Wirion

Directeur de la Chambre des Métiers

« Le BIM et l’intelligence artificielle suscitent beaucoup d’espoirs dans le monde de la construction durable. Ils promettent une meilleure planification, moins de gaspillage et des bâtiments plus performants. Mais au-delà de la technologie, le véritable enjeu est ailleurs : il est humain et organisationnel.

Ces outils peuvent transformer la manière de concevoir et de gérer les chantiers, à condition qu’ils soient accessibles à tous, y compris aux PME artisanales. Car c’est bien sur le terrain, au contact des réalités du chantier, que se joue la réussite de la transition numérique et durable du secteur. Pour que le BIM et l’IA tiennent leurs promesses, il faut accompagner les entreprises, simplifier les interfaces, former les équipes et favoriser la coopération entre acteurs.

L’innovation ne doit pas creuser les écarts, mais au contraire renforcer la cohésion du tissu artisanal et de construction. La technologie n’a de sens que si elle soutient les savoir-faire humains. C’est cette alliance entre expertise, pragmatisme et innovation qui fera la force d’une construction vraiment durable — et d’un artisanat capable de relever les défis des villes résilientes de demain ».

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

Transition digitale et environnementale : l'union fait la force
Transition digitale et environnementale : l’union fait la force

Le LIST, le CRTI-B et Neobuild conjuguent à nouveau leurs forces pour fédérer un écosystème élargi d’acteurs publics et privés autour du rendez-vous phare annuel dédié à l’innovation, au service d’une construction plus intelligente, durable et collaborative.

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Table ronde avec Sylvain Kubicki, Research Group Leader Sustainable Urban and Built Environment au LIST, Gilles Christnach, directeur du CRTI-B, et Luc Meyer, directeur de Neobuild

La fusion, cette année, de deux évènements – Construction durable pour des villes résilientes et BIMLux – souligne le lien indéfectible entre transitions numérique et écologique.

Comment le BIM a-t-il fait son entrée au Luxembourg ?

Sylvain Kubicki : Si on remonte aux prémisses, la première conférence professionnelle organisée sur le sujet remonte à 2005, à l’initiative du CRP Henri Tudor et de son ex-département « construction », le CRTI-B. Cela fait donc une vingtaine d’années maintenant que des séances d’information à destination des professionnels du secteur de la construction se tiennent. La collaboration des acteurs de la construction était la question centrale. Alors que les technologies émergeaient (échanges électroniques, plateformes, modélisation BIM) on se posait la question de mieux concevoir, construire, plus efficacement et qualitativement.

Où en est-on aujourd’hui ?

Gilles Christnach : Le BIM commence à être appliqué, mais on observe différentes vitesses d’intégration et d’utilisation, avec une réelle différence entre les grandes et les petites structures.
La vraie question est surtout : comment utiliser cette méthodologie et la combiner à tous les besoins du secteur pour en faire quelque chose de convergent ? En effet, toutes les approches se rejoignent à un certain moment, nous devons tous échanger des données et des documents, et tout cela passe par cette méthodologie.

Luc Meyer : Dans l’acronyme BIM, le « I » est essentiel car l’information est la variable qui va pouvoir être exploitée, monitorée et mise en commun pour créer une plus-value en termes de construction durable. Placée au centre de cette démarche, la collaboration vise à aller au-delà de la simple production d’informations, pour assurer la diffusion de données pertinentes et impactantes.

SK : Avant même de parler de performances énergétiques ou de circularité, c’est la collaboration qui était au cœur du sujet quand on a commencé à évoquer le BIM il y a 20 ans. Dans la sphère de la recherche, nous développions alors une plateforme de collaboration électronique, car le problème du secteur de la construction - qui était clairement identifié comme responsable d’une baisse de productivité – résidait dans la difficulté à collaborer et le fait de devoir ressaisir l’information tout au long des processus de conception et de construction. C’est ce besoin que nous avons d’abord adressé et qui, petit à petit, a été supporté par le BIM. Aujourd’hui, on voit qu’il est possible d’aller beaucoup plus loin. C’est la raison pour laquelle le BIM devient incontournable : non pas parce qu’on l’impose mais parce que ses usages le nécessitent et que chaque acteur impliqué peut en tirer des profits.

GC : C’est aussi pourquoi, nous insistons sur le fait que le BIM n’est pas un simple outil qui concentre les données nécessaires à l’ensemble de la chaîne de valeur d’un projet de construction, mais bien une méthodologie de collaboration sur laquelle se greffent énormément d’applications.

LM : On parle beaucoup d’intelligence artificielle ces derniers temps. Mais qui dit « artificielle » dit avant tout « données ». Et si nous ne sommes pas capables, nous-mêmes, de collaborer avec intelligence, nous ne pourrons pas créer une intelligence artificielle véritablement efficace… Car l’IA ne peut fonctionner sans données issues de l’humain : c’est à partir de celles-ci qu’elle nourrit ses algorithmes et apprend à trouver le meilleur chemin à suivre.

Pourquoi le LIST, le CRTI-B et Neobuild ont-ils décidé de collaborer en organisant des évènements communs autour du BIM et de ses applications pour une construction et des villes plus durables ?

LM : Jusqu’à présent, nous dispersions nos forces en organisant des conférences chacun de notre côté, parfois en collaboration avec l’un ou l’autre. Nous voulons désormais collaborer sur différentes thématiques, fédérer autour de l’innovation à travers un événement qui diffuse la bonne information. La bonne information est une information scientifique - le volet recherche est ici représenté par le LIST -, qui peut-être qui harmonisée par de bonnes pratiques et conduire à des standards - d’où la présence du CRTI-B – et qui s’ancre dans les besoins concrets du secteur – un rôle que Neobuild assume en articulant la recherche appliquée, la structuration et la mise en œuvre sur le terrain.

GC : J’ajouterais que l’information n’est utile que si elle est complète. Alors, plutôt que d’organiser des séminaires chacun dans son coin, avec nos limites respectives qui nous forcent à être incomplets, mieux vaut se réunir pour pouvoir proposer une approche holistique et faire le transfert d’une thématique à l’autre.

LM : Le but est d’adresser un message à tous les acteurs, de manière globale. Un entrepreneur n’a pas les mêmes besoins qu’un architecte et un architecte n’a pas les mêmes besoins qu’un ingénieur, mais il faut réunir tout cet écosystème pour dégager différentes collaborations autour d’une approche logicielle, thématique, de recherche de bien commun autour de l’innovation.

SK : Nos conférences par le passé - BIMLux et Construction durable pour des villes résilientes (CDVR) - ont toujours joué sur deux niveaux : la vision stratégique d’une part avec les processus innovants, le volet opérationnel d’autre part. Ce sera encore le cas dans nos événements à venir : nous continuerons à proposer un programme qui abordera ces deux axes à destination d’un public large dans les bureaux et entreprises.

Justement, à quoi ce nouvel événement ressemblera-t-il concrètement ?

GC : Nous souhaitons créer une sorte de « foire » qui permettra aux visiteurs de trouver la panoplie d’informations la plus complète possible et de découvrir des choses qui ne les auraient pas forcément intéressés a priori, mais qui leur permettront éventuellement de développer leurs prestations, leurs compétences, leurs implications, etc.

Le programme de l’événement actuel se compose de 36 sessions qui vont de l’information initiale jusqu’au workshop technique. Il sera intensifié, en fonction des retours d’expérience que chacun aura de ses membres.

Au niveau de la fréquence de l’événement, nous nous alignerons également sur les besoins de nos secteurs respectifs. On peut très bien s’imaginer, outre un événement annuel, mettre en place des workshops ou des conférences complémentaires, en fonction de l’actualité, pour pouvoir diffuser les informations utiles le plus rapidement possible et au plus grand nombre de personnes.

Quelles seront les nouveautés par rapport aux conférences BIMLux et CDVR ?

SK : Nous avons élargi la chaîne de valeur des acteurs que nous voulons attirer car les problématiques d’innovation touchent un spectre beaucoup plus large que ce qu’on entend communément par « secteur de la construction ». Je pense en particulier au secteur bancaire, aux assurances, aux consultants RSE, etc.

LM : L’idée de départ est d’adresser de nouvelles thématiques et de rassembler de nouveaux acteurs. Au-delà des acteurs déjà cités par Sylvain, nous envisageons aussi d’intégrer la Chambre Immobilière, la FEDIL, la Fédération des Artisans, la Klima Agence, le CGDIS ou l’ITM, pour n’en citer que quelques-uns. L’idée étant que chacun ait son mot à dire et puisse s’impliquer dans une organisation que nous souhaitons très participative, à travers des retours sectoriels très ciblés. Nous sommes en train de définir un cadre ouvert, évolutif, afin d’instaurer une vision d’ensemble, un dialogue commun, au lieu de rester sectoriellement bloqués. Nous voulons que chacun apporte sa pierre à l’édifice, là où il est compétent, pour avancer, de manière conjointe, dans la même direction et arriver à une finalité commune. Le but, c’est que chaque innovation puisse « se matérialiser » et créer une plus-value pour l’entreprise qui va l’appliquer.

SK : Quand nous avons construit le programme de l’évènement de cette année, nous avons essayé de faire en sorte qu’il y en ait pour chaque profil. En associant BIMLux et CDVR, nous offrons un tout : le BIM et le digital peuvent être appliqués à des problématiques comme le passeport des matériaux, la circularité, l’efficacité énergétique, les smart buildings, et plus encore. Nous avons besoin de données pour prendre des décisions qui nous amèneront à construire de nouveaux quartiers durables. Dans la plupart des sessions, nous nous appuyons sur des retours d’expérience de projets luxembourgeois, mais aussi des retours sur la recherche appliquée qui préfigurent les prochaines manières de concevoir, de construire ou d’utiliser les outils. Il y a aussi des restitutions d’expériences de projets de recherche qui sont conduits à l’échelle européenne - Interreg, Horizon, par exemple -. Cela nous permet de mettre en avant les initiatives des acteurs luxembourgeois, mais aussi d’enrichir l’écosystème national avec les expériences faites ailleurs. Nous pourrions étendre encore davantage cette ouverture vers des initiatives d’innovation européennes non commerciales.

GC : Cela va dans les deux directions : nous voulons montrer comment les initiatives menées au-delà de notre pays peuvent nous inspirer, comment ces expertises et approches différentes peuvent être traduite au Luxembourg, mais aussi ce que le Luxembourg – parce qu’il est un petit pays agile et dynamique - peut apporter comme innovation.

LM : L’enjeu est aussi de clarifier les rôles de chacun au sein de cet écosystème - chercheurs, industriels, institutions - pour créer un cadre de collaboration lisible et efficace. Cette approche, propre au Luxembourg, favorise des innovations « à la carte », co-construites et applicables, où chaque acteur du secteur, de l’ingénieur à l’artisan, trouve les outils pour mieux bâtir ensemble.

SK : Le LIST, le CRTI-B et Neobuild sont complémentaires, nous avons donc toutes les cartes en main. Il s’agit désormais de bien identifier les rôles de chacun pour suivre notre vision partagée. Avec nos partenaires, nous sommes convaincus de réaliser un pas majeur dans cette direction en 2025.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

Digitalisation de la construction : quels leviers au Luxembourg ?
Digitalisation de la construction : quels leviers au Luxembourg ?

La transformation numérique de la construction avance au Luxembourg grâce à une dynamique collective structurée autour du CRTI-B. En qualité de GIE, il agit comme chef d’orchestre neutre : il aligne les acteurs, cadre les échanges d’information et accompagne la montée en compétences.

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Interview de l’équipe du CRTI-B (Centre de Ressources des Technologies et de l’Innovation pour le Bâtiment)

Le BIM étant un élément majeur de la transformation numérique, son action se matérialise par des référentiels partagés (le Guide d’application BIM Luxembourg et ses annexes), des parcours de formation BIM certifiants au niveau national (Digital Building Luxembourg), des outils métiers (ex. simulateur public REVPRIX pour la révision des prix), ainsi qu’une participation active à des cadres d’interopérabilité comme BIMIDS au niveau belge et luxembourgeois. Cette combinaison « standards + compétences + outils » permet aux projets de s’appuyer sur une base commune, interopérable et évolutive — condition indispensable pour digitaliser à grande échelle sans exclure les plus petites structures.

Y a-t-il des freins qui persistent — et comment peut-on les dépasser ?

Malgré les avancées, plusieurs obstacles freinent l’avancement du numérique. La fragmentation de la chaîne de valeur (lots, contrats, silos) interrompt les flux de données en continu. L’exigence inégale des maîtres d’ouvrage en matière de livrables et de formats conduit les équipes de concepteurs à minimiser l’effort digital si la valeur ajoutée n’est pas explicitement demandée. Le ROI perçu reste incertain pour de nombreuses PME, en raison de coûts initiaux (licences logicielles, équipements, accompagnement) et de bénéfices différés. S’ajoutent des problèmes d’interopérabilité (versions d’outils, échanges par fichiers, ressaisies), un déficit de compétences hybrides (terrain - numérique) et une conduite du changement souvent insuffisante. Trop de processus papier sont simplement numérisés à l’identique sans revoir rôles, délais de validation et décisions. Les zones grises contractuelles (statut du modèle, propriété et responsabilité de la donnée) ralentissent la collaboration. La gouvernance de l’information reste perfectible (noms, droits d’accès, versions, traçabilité, cybersécurité), tout comme les conditions terrain (connectivité de chantier, équipement durci, intégration des sous-traitants). Enfin, le pilotage par indicateurs demeure insuffisant et la prolifération d’expérimentations qui restent au stade du pilote, sans passage à l’échelle, disperse les efforts et réduit l’impact.

Pour franchir ce cap, la feuille de route gagnante combine : exigences MOA proportionnées, standards partagés, CDE opérationnelles, réingénierie des processus (et pas seulement leur numérisation) y compris les procédures administratives, schémas contractuels clarifiés et pilotage par KPIs centrés valeur (qualité, délais de décision, non-qualité, reworks). L’idée-clé : partir de quelques cas d’usage à fort retour (production des livrables, revue de clashs, suivi des réserves, DAO ou DOE structuré, contrôle de conformité pour n’en citer que quelques-uns) et les standardiser plutôt que multiplier les projets pilotes et tests isolés.

Les CCG et CTG du CRTI-B peuvent-elles, elles aussi, devenir des leviers de digitalisation concrète du secteur ?

Les clauses contractuelles générales (CCG) et les clauses techniques générales (CTG), éditées par le CRTI-B, constituent une composante essentielle de la transformation numérique : elles offrent un langage commun, stabilisent les responsabilités et structurent les livrables, de la conception à la réception. Intégrés dans une démarche digitale, ces documents ne sont plus de simples PDF : ils deviennent des référentiels vivants, interrogeables et réutilisables dans les outils de la filière (CDE, plateformes d’appels d’offres, gestion de contrats, BIM/IFC pour les exigences d’information). En standardisant définitions, clauses et annexes techniques, CCG et CTG facilitent l’interopérabilité et la traçabilité : même nommage, mêmes exigences, mêmes jalons — donc moins d’ambiguïtés, moins de ressaisies, moins de litiges.

Prochaine étape logique et prévue par le CRTI-B : un chatbot spécialisé, connecté à la version structurée des CCG/CTG. Il permettrait de répondre de façon ciblée aux questions des maîtres d’ouvrage, concepteurs et entreprises (« Quelle clause s’applique à… ? », « Quel livrable est exigé en phase exécution ? », « Quel code de mesurage pour cet élément de construction ? »), avec liens directs vers les articles concernés et suggestions de gabarits. Couplé à des métadonnées (thème, phase, lot, niveau d’exigence), le chatbot accélère la compréhension, harmonise les pratiques et alimente automatiquement les check-lists, EIR/BEP et modèles contractuels. Ainsi, les CCG et CTG deviennent des actifs numériques au service d’une mise en œuvre cohérente, mesurable et réellement opérationnelle.

Digitalisation : mêmes objectifs, moyens différents — comment éviter le décrochage entre grands et petits ?

La digitalisation n’est pas vécue de la même manière par tous. Les grandes entreprises disposent de ressources (équipes BIM/data/IT), de budgets de formation et d’un parc logiciel plus homogène, ce qui facilite la standardisation et l’industrialisation — au prix parfois d’une inertie décisionnelle. Les PME, bureaux agiles et artisans sont proches du terrain, réactifs, mais contraints par le temps, le coût et la disponibilité de compétences.

La réponse efficace passe par une graduation des exigences : un socle commun simple et utile pour tous (formats ouverts, métadonnées essentielles, gabarits, nomenclatures), puis des exigences avancées pour les projets/lots à risques plus élevés. À cela s’ajoutent des outils compatibles « light → pro » (CDE web/mobile, fonctions avancées activables), une formation modulaire (micro-sessions pour PME, parcours métiers pour grands comptes), des contrats incitatifs (qualité des données, formats ouverts) et un accompagnement mutualisé (mentorat grand–petit, office hours, audits flash). Ainsi, les grands peuvent accélérer sans être freinés, et les petits monter en maturité sans surcharge.

Concrètement, quels outils sont en service et quelles étapes figurent sur votre feuille de route ?

Le secteur bénéficie déjà d’un socle opérationnel : le Guide d’application BIM Luxembourg (et annexes EIR/BEP) pour cadrer rôles, processus et échanges ; le parcours de formations BIM national sur Digital Building Luxembourg pour structurer les compétences ; et une articulation régionale grâce à BIMIDS, qui vise à standardiser et fiabiliser les données échangées à l’échelle Benelux. La prochaine vague de projets se concentre sur des services applicatifs qui réduisent la friction au quotidien : dématérialisation des autorisations (permis de construire numérique, contrôles automatiques ciblés), passeports de matériaux et d’actifs générés depuis la maquette pour soutenir l’économie circulaire, intégration d’analyses de cycle de vie et de bilans carbone dans le flux BIM, et consolidation d’un écosystème BIM prêt à l’emploi (gabarits, bibliothèques, processus). Objectif : passer de la règle à l’usage, du document à la donnée exploitable.

La dernière question que tout le monde attend : faut-il rendre le BIM obligatoire ?

La position de principe tient en quatre idées simples. Le CRTI-B privilégie un BIM « par la valeur », fondé sur standards, guides et compétences, plutôt qu’un couperet réglementaire uniforme. Les exigences doivent être progressives et proportionnées, initiées par les maîtres d’ouvrage et adoptées par les maîtrises d’œuvre en vue du développement des projets par des méthodes de coordination digitales. L’enjeu n’est pas d’imposer un logiciel ou une maquette à tout prix, mais de mettre en place les bases permettant d’assurer la qualité et la continuité des données (formats ouverts, CDE, livrables utiles à l’exploitation).

En résumé : oui à un BIM consensuel et à des engagements ciblés où la valeur est partagée par tous les acteurs ; non à une obligation non-différenciée qui pénaliserait surtout les plus petites structures.

Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

BIM et construction durable : la donnée comme clé de l'avenir
BIM et construction durable : la donnée comme clé de l’avenir

Souvent présenté comme un levier de compétitivité immédiat, le BIM au Luxembourg reste un programme ambitieux, à la fois stratégique, opérationnel et surtout financier, dont la mise en œuvre demeure complexe malgré des protocoles de déploiement et de formation adaptés.

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S’il propose une nouvelle manière de concevoir et de piloter la construction, il impose aussi des contraintes parfois superflues. L’enjeu est donc de recentrer l’approche afin que la « bonne donnée », « chaude ou froide »* soit transmise, exploitée ou collectée au bon moment — tout l’intérêt du « I » (information) de BIM.

Dans ce contexte, le CRTI-B pilote la stratégie nationale et adapte les référentiels internationaux aux besoins locaux, tandis que dans la continuité des travaux du CEN/TC 442, le pragmatisme revient au premier plan. La surabondance d’informations cède progressivement la place à une gestion plus réaliste, en phase avec les besoins réels et en cohérence avec les normes ISO 19650 (gestion de l’information) ou encore ISO 16739 (IFC).

La donnée et son lien avec la construction durable

Avant de tracer la moindre ligne ou de se lancer dans une modélisation complexe, il est indispensable de poser les bases d’une intelligence collective, avec des objectifs clairs, partagés et réalistes. Ce n’est qu’à cette condition que la structuration de l’information – et donc de la donnée – peut véritablement commencer, permettant à toutes les parties prenantes de s’impliquer de manière efficace et durable.

Nous considérons que le BIM n’a pas encore révélé tout son potentiel, en particulier lorsqu’il est associé à une véritable démarche de construction durable. Placer la donnée au cœur du processus est essentiel. Bien exploitée, et pourquoi pas combinée à des modules d’intelligence artificielle, elle cesse d’être un simple attribut rattaché à un objet numérique et devient un véritable vecteur stratégique, conditionnant la réussite d’un projet et ouvrant la voie à de multiples possibilités : adaptations en temps réel, optimisation de processus encore inexplorés ou encore réalisation de calculs complexes en quelques secondes…

BIM et circularité

La transition vers une économie circulaire repose en partie sur la capacité à tracer les matériaux : connaître leur origine, leurs caractéristiques, leur innocuité, et anticiper leur démontage, réemploi ou réutilisation future. Enrichi de données fiables, un modèle devient un véritable passeport numérique du bâtiment qui permet de constituer un inventaire précis des composants, un carnet de matériaux géolocalisé et mis à jour en temps réel. Intégrant les données des Profils Environnementaux Produits (PEP) et de l’Analyse de Cycle de Vie (ACV), il ouvre la voie à des filières de réemploi plus fluides. Le jour où un bâtiment sera déconstruit, la base BIM permettra d’évaluer le potentiel de réutilisation, réduisant drastiquement la production de déchets. Outil de pilotage environnemental, le BIM, associé à des critères de démontabilité et de réemploi, favorise la conception de bâtiments pensés dès l’origine pour être démontés et reconstruits. Il s’inscrit ainsi pleinement dans la dynamique de l’urban mining.

BIM, DfMA et smart building : vers des bâtiments évolutifs

La digitalisation du bâtiment ne s’arrête pas à sa livraison. Dans une logique smart building, les données peuvent être exploitées par des moteurs de calcul en temps réel. Couplées à des protocoles d’apprentissage automatique (deep learning), elles permettent d’anticiper des pannes, d’optimiser la consommation énergétique, de surveiller la qualité de l’air, de renforcer la sécurité, d’améliorer le confort des usagers et même de gérer l’occupation des espaces.

Associée aux principes du DfMA (Design for Manufacture and Assembly) et à la modélisation paramétrique, cette approche ouvre la voie à des modules constructifs optimisés : préfabrication, assemblage rapide, démontabilité et réemploi. Le bâtiment n’est plus une structure figée, mais une ressource évolutive, réversible et adaptable aux besoins futurs, qu’ils soient de résilience climatique ou de flexibilité accrue.

Comment se traduisent ces éléments chez Neobuild ?

Notre rôle consiste à transformer des ambitions théoriques en données, protocoles et solutions concrètement exploitables. Il ne s’agit pas seulement de promouvoir, mais surtout de créer, qualifier et diffuser la « bonne donnée » : celle qui possède une réelle valeur opérationnelle pour le secteur, issue de sources scientifiques et de protocoles complets, en particulier à travers des projets pilotes.
Prenons l’exemple de la qualité de l’air intérieur : comment une donnée de concentration de polluants, associée au capteur adéquat, peut-elle permettre d’adapter de façon raisonnée le débit de ventilation ? Le CO₂ est-il réellement un indicateur fiable ou est-il dérisoire par rapport à d’autres polluants révélateurs d’une toxicité potentielle ? Ce type de question, nous l’explorons par la mesure, la confrontation au terrain et l’expérimentation.

Autre axe majeur : la démontabilité, les nouveaux matériaux et le réemploi. Comment quantifier en unités mesurables la capacité d’un bâtiment à être démonté et reconstruit ? Quel est le meilleur isolant pour une situation donnée ? Ici encore nos démonstrateurs pilotes permettent d’intégrer des scénarios concrets.

Nous explorons aussi les systèmes techniques émergents : à petite échelle, il s’agit d’analyser le comportement d’un réseau électrique alimenté directement en courant continu (DC) ; à plus grande échelle, d’évaluer la capacité d’un bâtiment low-tech, conçu avec très peu de techniques spéciales, à évoluer tout en restant performant face aux enjeux climatiques. Ces expérimentations produisent des données qualifiées qui deviennent exploitables et qui peuvent permettre d’alimenter des réflexions ou des solutions concrètes pour aller encore plus loin…

Une des vocations de Neobuild est ainsi de générer une multitude de scénarios appliqués, exploités depuis nos projets pilotes, chaque expérimentation permettant de traduire un cas d’usage.

L’équipe de Neobuild GIE
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

Photo : Immeuble Dellizotti, Bettembourg


* Manière de classer simplement une collecte de donnée : si elle est froide, elle est collectée mais non exploitée ; elle devient chaude quand elle entre dans un process d’analyse et d’exploitation.

Metabuilding Labs fédère l'innovation européenne dans la construction
Metabuilding Labs fédère l’innovation européenne dans la construction

Réseau européen d’innovation et vitrine du digital appliqué au bâti, Metabuilding Labs ouvre la voie à une construction plus durable et connectée. Sylvain Kubicki, du Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST), nous en dévoile les ambitions.

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Innover dans la construction n’a jamais été une mission aisée. Entre la complexité des réglementations, le coût des essais et le manque de moyens internes, les petites et moyennes entreprises du secteur (PME) se heurtent souvent à un mur. Le projet Metabuilding Labs, financé par le programme Horizon 2020 de la Commission européenne, entend justement briser ces barrières en créant un vaste réseau d’experts, de plateformes d’essai et de services dédiés à l’innovation.

« Les PME du secteur font souvent face à des obstacles pour innover », constate Sylvain Kubicki, Group Leader Sustainable Urban and Built Environment au LIST. « Elles ont peu de ressources dédiées à la R&D, et les démarches de test ou de certification sont lourdes et coûteuses ».

L’ambition du projet est claire : rassembler laboratoires, instituts de recherche, entreprises et clusters d’innovation pour mutualiser les moyens et accélérer la mise sur le marché de produits plus performants. Concrètement, Metabuilding donne accès à plus de cent plateformes d’essai réparties dans douze pays européens.

« L’objectif est de créer un véritable réseau d’innovation », poursuit le chercheur. « Chaque acteur, qu’il s’agisse d’un centre de recherche, d’une entreprise ou d’un organisme de soutien, apporte son expertise. Cette mise en commun permet de lever les freins à l’innovation et d’accompagner les PME dans leurs développements ».

Des bancs d’essai à l’échelle européenne

À l’intérieur de ce dispositif se trouvent les testbeds, des bâtiments expérimentaux permettant de tester des composants de construction grandeur nature comme les façades, les isolants, les menuiseries ou encore les bardages. Ces infrastructures reproduisent des conditions réelles ou simulées, et offrent un environnement contrôlé pour mesurer les performances énergétiques et mécaniques des matériaux.

« L’un des résultats les plus concrets du projet, ce sont ces bâtiments modulaires que nos partenaires techniques ont conçu et construit pour le test », détaille Sylvain Kubicki. « Ils nous permettent d’évaluer les composants dans des situations proches du réel, de suivre leur comportement sur plusieurs semaines et d’apporter aux industriels des données tangibles sur la performance de leurs produits ».

Les deux premiers sites sont installés en Espagne et en Italie, avant un déploiement plus large prévu à travers l’Europe. Le Luxembourg, pour sa part, s’appuie sur la synergie de ses acteurs locaux – notamment Neobuild, Luxinnovation, l’OAI et le LIST – pour développer un contexte propice à l’innovation.

« Au Luxembourg, nous avons déjà tous les maillons nécessaires. Je pense, entre autres, à la recherche, aux living labs, à la formation, au soutien financier et à la diffusion des résultats. Metabuilding peut nous aider à fédérer ces compétences pour leur donner une portée européenne ».
L’enjeu est d’accélérer les cycles d’innovation et de réduire les coûts de développement, tout en garantissant la qualité et la conformité des nouveaux produits.

Le digital au service de la construction durable

Si les testbeds forment un composant essentiel du réseau, les services numériques sont également considérés. Au LIST, les équipes de Sylvain Kubicki développent des outils digitaux combinant Building Information Modeling (BIM), capteurs connectés (IoT) et digital twins, ou jumeaux numériques, pour suivre en temps réel le comportement des composants testés.

« Nous avons modélisé les bâtiments d’essai en BIM et intégré les données des capteurs utiles pour mesurer la performance énergétique des façades », explique-t-il. « Les données collectées sont ensuite exploitées dans un jumeau numérique qui permet d’analyser en continu le comportement du système et de calibrer le modèle énergétique ».

L’approche change radicalement la manière d’évaluer les produits. Plutôt que d’attendre la fin d’une longue campagne d’essais, le monitoring en temps réel permet d’obtenir des retours rapides et d’adapter les prototypes en cours de test.

« Nos outils, comme le digital twin, permettront de simuler et orienter les choix de rénovation, et ainsi supporter les orientations des politiques publiques ».

Le système développé au LIST, baptisé BuildSemantiX, relie le modèle BIM du bâtiment aux données collectées sur le terrain. Ce dispositif permet de calibrer les modèles énergétiques et d’affiner les simulations pour mieux prédire les performances réelles.

Au-delà du test, MetaBuilding et ses outils numériques servent un objectif plus large : accélérer la rénovation énergétique des bâtiments européens. « Nous voulons relier les données issues des tests à des typologies de bâtiments existants », indique Sylvain Kubicki. « Cela permettra de simuler et d’orienter les choix de rénovation, en tenant compte non seulement de l’isolation hivernale, mais aussi de la ventilation et du confort estival ».

Vers un écosystème européen d’innovation ouverte

Alors que le projet arrive à son terme, Metabuilding Labs prépare la suite. Une association européenne a été créée pour assurer la pérennité du réseau de testbeds et offrir ses services à long terme : Metabuilding asbl. Cette structure permettra aux entreprises de bénéficier d’un point d’accès unique à un ensemble de laboratoires, d’expertises techniques et de soutiens financiers.

En parallèle, la plateforme metabuilding.com centralise l’écosystème autour d’un point d’accès unique. Elle met en relation les acteurs de la filière, diffuse les appels à projets européens, favorise les partenariats et accroît la visibilité des solutions innovantes.

Ce modèle d’innovation ouverte, fondé sur la collaboration et le partage, marque un tournant pour le secteur. En connectant les compétences locales à l’échelle européenne, Metabuilding pose les bases d’une construction plus durable, plus numérique et plus compétitive.

Sébastien Yernaux
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

BIM et IA, des outils pour parvenir à des villes durables
BIM et IA, des outils pour parvenir à des villes durables

Luxinnovation agit comme facilitateur de l’innovation, accélérateur des projets collaboratifs et catalyseur de financement pour que nous puissions évoluer vers des modèles plus durables, circulaires et numériques, contribuant ainsi, indirectement, à des villes plus résilientes.

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Interview du Prof. Matthias Sulzer, membre du comité de direction, responsable du département Sciences de l’ingénierie et co-responsable du domaine prioritaire de recherche Environnement bâti de l’EMPA (Suisse), et de Daniela Cattolico, Head of National Business Relationship chez Luxinnovation.

Prof. Sulzer, quel est l’état de développement du BIM ?

Prof. Matthias Sulzer : Il ne fait pas encore partie intégrante du processus de construction. Cela est lié à la fragmentation du secteur, à l’écart entre les niveaux de maturité des acteurs d’un projet, mais aussi à un manque de connaissance sur la manière de transformer les données du BIM en informations exploitables, puis en connaissances permettant d’améliorer la prise de décision. C’est l’axe de développement nécessaire pour que le BIM ait un avenir prometteur.

Quelle est la place de l’IA dans cette évolution ?

MS : Elle est déjà présente partout, et son utilisation ne cesse de s’élargir. Le BIM est la condition préalable pour l’appliquer efficacement. Si nous parvenons à transformer les données en informations, l’IA pourra exploiter ces informations pour générer davantage de connaissances, qui sont la clé pour améliorer la prise de décision, notamment dans des situations complexes.

Daniela Cattolico, que manque-t-il au Luxembourg pour franchir ce cap ?

Daniela Cattolico : Le Luxembourg dispose d’un écosystème très dynamique. Cependant, plusieurs leviers doivent être activés pour rendre l’adoption du BIM suffisante. Le premier est le renforcement des compétences, surtout dans les PME. Cela passe par la formation pour comprendre l’utilisation du BIM, mais surtout sa valeur stratégique. Le deuxième est l’interopérabilité entre les acteurs car le BIM impose une culture de collaboration, qui n’est pas nécessairement naturelle dans une filière aussi fragmentée que la construction.

Luxinnovation soutient les organisations dans cette transition en leur proposant différents programmes – Fit 4 Sustainability, Fit 4 Digital, Fit 4 Innovation, Fit 4 AI – permettant d’évaluer leur degré de maturité et de bénéficier d’un accompagnement personnalisé. Nous jouons aussi le rôle de facilitateur au sein de l’écosystème, par exemple en soutenant des événements comme BIMLux et la conférence Construction durable pour des villes résilientes. Et naturellement, sur le plan opérationnel, l’une de nos missions consiste à accompagner les entreprises dans la soumission de projets et la préparation de dossiers leur permettant d’accéder à des aides nationales ou européennes.

Qu’est-ce qui freine l’innovation ?

MS : La collaboration entre la recherche, le monde académique et l’industrie manque dans la construction. Cela empêche les entreprises d’être innovantes et de s’adapter aux changements. C’est la raison pour laquelle il lui faut parfois beaucoup de temps pour intégrer de nouveaux enjeux, comme la durabilité.

Ce constat sur le manque de culture R&D dans la construction est-il valable aussi au Luxembourg ?

DC : Oui, et c’est pourquoi notre mission de faire remonter les besoins du terrain vers les centres de recherche et l’université est essentielle. Nous soutenons pour cela la collaboration transfrontalière entre entreprises et centres de recherche, à l’échelle nationale et internationale, à travers des projets comme Greater Green / Greater Green +. Nous sommes aussi partenaire d’initiatives comme l’AI Factory, qui offre aux entreprises la possibilité d’expérimenter des outils basés sur l’intelligence artificielle s’appuyant sur les données issues du BIM, par exemple pour améliorer la gestion du cycle de vie des bâtiments (maintenance prédictive, optimisation énergétique, surveillance de la santé des bâtiments), pour traiter les flux de données issus de capteurs et d’appareils IoT dans des bâtiments intelligents ou pour soutenir la planification de la déconstruction, la réutilisation des matériaux et l’extension du cycle de vie des bâtiments. Un autre aspect est la diffusion de la culture d’innovation. Elle passe par la cartographie des acteurs de l’écosystème national des différentes chaînes de valeur, par des études de prospection pour savoir ce qui va venir et ce qui se passe au-delà de nos frontières, ou encore par l’organisation d’ateliers de co-création et d’innovation.

Dans quelle direction la R&D doit-elle se diriger ?

MS : Les villes ne doivent plus fonctionner avec des combustibles fossiles. Il faudra aussi plus de circularité pour faire face au manque de ressources : nos travaux ont montré qu’environ 90 % des ressources d’une ville sont liées à la construction. Enfin, l’industrie du bâtiment ne doit pas seulement devenir neutre, mais négative en carbone donc capable de le capter pour assainir l’atmosphère. Ces défis sont immenses, et nous ne pourrons pas les relever avec les mêmes processus que ceux utilisés depuis des siècles. Le BIM ou l’IA ne sont pas des solutions, mais des outils pour parvenir à la solution : des villes durables.

Existe-t-il déjà des avancées concrètes en Europe ou est-ce encore seulement un objectif ?

MS : Concernant les énergies renouvelables, c’est l’état de l’art : il existe déjà de nombreux projets de villes qui fonctionnent sans énergie fossile. Nous travaillons sur la circularité à travers des projets pilotes de bâtiments construits à partir de matériaux de déconstruction. La recherche se penche aussi sur les matériaux eux-mêmes, sur la manière dont ils peuvent être réutilisés, recyclés ou valorisés pour être ensuite réinjectés comme matières premières dans le processus de construction. Enfin, nous pouvons aujourd’hui produire du béton négatif en carbone. En tant que matériau artificiel le plus utilisé au monde, il offre un potentiel énorme de stockage, faisant de la ville elle-même un gigantesque réservoir capable de retenir l’excédent de CO2 présent dans l’atmosphère.

Au-delà des projets-pilotes, comment accélérer la diffusion de ces pratiques ?

DC : On a besoin d’incitations concrètes - financières, réglementaires, techniques - mais aussi de renforcer les chaînes de valeur locales autour du réemploi et du recyclage des matériaux.
Luxinnovation accompagne cette dynamique à travers la structuration de projets collaboratifs visant l’accès aux aides nécessaires à la matérialisation des projets de R&D. L’enjeu est de déployer les solutions testées dans les projets-pilotes, comme ce fut le cas, par exemple, pour le projet sur le béton recyclé, repris ensuite par d’autres acteurs de l’écosystème. Il s’agit donc d’assurer une continuité entre idéation, expérimentation, réalisation et mise en œuvre opérationnelle. Enfin, il faut favoriser les synergies intersectorielles, notamment entre les acteurs de la construction et ceux des technologies environnementales, créer des espaces d’échange entre des mondes qui ne sont pas naturellement interconnectés pour faire émerger des réponses aux besoins identifiés. Cela passe aussi par le développement de filières locales capables d’accompagner les enjeux de digitalisation, de déconstruction, d’économie circulaire et de décarbonation.

Comment intégrer ces enjeux dans la chaîne de valeur de la construction ?

MS : Si nous voulons vraiment avancer, nous devons considérer la nature comme un actif. Et cela doit avoir un prix. Les États doivent instaurer ces prix pour que l’industrie ait un business case. Alors, je suis convaincu que les investissements arriveront et que les choses évolueront rapidement.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

Entre objectifs politiques et réalité du terrain
Entre objectifs politiques et réalité du terrain

Après une décennie de pratique du BIM, les concepteurs dressent un bilan nuancé : cette méthodologie améliore la qualité de conception, mais son coût, sa complexité et son manque d’adaptation aux petites structures freinent encore son adoption à grande échelle.

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Interview de Corinne Stephany, architecte, Eric Hansen, ingénieur, et Andreas Finken, ingénieur, tous trois membres de l’OAI.

Quelle est la situation en matière de BIM au Luxembourg ?

Eric Hansen : Quand on a commencé à parler du BIM, il y a une dizaine d’années, nous n’étions que quelques-uns à nous y intéresser et à essayer de comprendre ce que cette approche pouvait réellement apporter. Puis, lorsque les pays voisins l’ont adopté, tout le monde a voulu « faire du BIM » au Luxembourg aussi. Cette euphorie a débouché sur de nombreux projets qui se sont mal passés parce que personne n’était prêt et tout le monde avançait comme il pouvait. S’en est suivie une phase de refroidissement. Depuis quelques années, la dynamique repart, portée notamment par les maîtres d’ouvrage qui en imposent désormais l’utilisation sous différentes formes, principalement dans le cadre des grands projets.

Andreas Finken : Une planification BIM ne peut réussir que si le maître d’ouvrage reçoit à la fin un projet BIM complet, ce qui inclut également un modèle IFC as-built. Les entreprises doivent donc reprendre le modèle IFC issu de la phase de planification, l’adapter et le détailler davantage. Il est donc peu judicieux de viser un niveau de détail très élevé dès la phase de planification si celui-ci ne peut pas être maintenu ou poursuivi lors de l’exécution. Ce problème est d’autant plus présent que les petites entreprises disposent souvent de moyens limités pour retravailler un modèle IFC en conséquence.

Quels sont les freins qui subsistent ?

Corinne Stephany : Ce qui nous ralentit encore, c’est que le BIM, pour apporter de réels bénéfices au maître d’ouvrage, doit être appliqué dans toute la chaîne de production. Et pour cela, il faut que tous les acteurs soient au même niveau de maturité. Les appréhensions que pouvaient avoir les concepteurs au début ont considérablement diminué. Ils se sentent désormais aptes à travailler avec le BIM, encore faut-il déterminer quel BIM est efficient pour eux : le BIM est, en effet, encore souvent fait pour faire du BIM, et non pour profiter de la plus-value qu’il peut apporter au niveau des processus de production et, plus tard, d’exploitation. Le BIM n’est pas non plus adapté à tous les projets : dans les petits projets, il a très peu de retombées économiques. Un petit projet en BIM avec des entreprises artisanales qui ne l’appliquent pas et un maître d’ouvrage qui n’en tire aucun profit, c’est un problème qui persiste.

AF : Un obstacle majeur dans les projets BIM réside dans les coûts supplémentaires et la manière dont ils sont répercutés dans les contrats. Les efforts à fournir, en particulier pour la modélisation lors des fréquentes modifications pendant la phase de conception, sont nettement supérieurs à ceux d’une planification classique. Cela s’explique en partie par le fait que les priorités sont souvent mal définies. On considère fréquemment qu’un modèle sans erreurs, très détaillé et sans collisions constitue l’objectif principal d’une planification BIM. Pourtant, l’aspect réellement décisif, à savoir la collaboration intégrée et l’ingénierie impliquant tous les intervenants du projet, passe alors au second plan. Cette problématique résulte principalement d’un manque de connaissances et d’expérience des parties prenantes. Un autre obstacle important est la limitation des logiciels disponibles pour les techniques du bâtiment. Surtout dans le cas de projets plus vastes et complexes, ces programmes atteignent rapidement leurs limites et ralentissent considérablement le processus de planification.

Dans la pratique, qu’est-ce qui fonctionne et qu’est-ce qui ne fonctionne pas ?

CS : Ce qui fonctionne, c’est lorsque le BIM permet d’augmenter l’efficience dans les bureaux en établissant les livrables plus facilement ou en automatisent certains process, par exemple. Là, le BIM est complètement logique, il est implémenté, il ne coûte pas plus et il permet d’augmenter la rentabilité. Mais il ne faut pas perdre de vue que le BIM augmente le temps consacré à la planification. Autrement dit, les apports positifs qu’il peut avoir dans les phases qui suivent (augmentation de la qualité, diminution des erreurs, etc.) sont reportés sur les phases en amont. Si les retombées ne sont pas au rendez-vous, alors c’est un problème.

EH : Sur les deux grands projets que mon bureau a réalisés en BIM jusqu’à la réception, il y a eu un gain en fluidité pendant la phase de chantier du gros-oeuvre, ce qui présentait un avantage aussi pour nous puisque nous avons consacré moins de temps au suivi de chantier que d’habitude, mais ce gain n’équivaut pas au temps et à l’énergie que nous avons dû investir en phase de planification. Il reste un gap, et c’est sur ce gap que nous, concepteurs, aimerions être rémunérés.

Le BIM a-t-il apporté les bénéfices attendus ?

EH : Cela dépend où on place le curseur. Si l’objectif est d’améliorer la qualité de la conception alors, oui, l’objectif est atteint. Mais le BIM n’est pas la solution pour tout.

CS : Il faut faire la différence entre le « BIM utile » qui structure les bureaux et le « BIM marketing » ou « procédural » des maîtres d’ouvrages qui imposent des procédures extrêmement lourdes. Bien sûr, pour implémenter le « BIM utile », il faut aussi faire du « BIM marketing », même s’il n’augmente pas l’efficience. L’efficience augmentera avec la mise en place d’outils comme le cadastre national des matériaux ou la dématérialisation de l’autorisation de bâtir. Il y a sûrement aussi des enjeux politiques dans le BIM, mais ces enjeux ne peuvent pas reposer uniquement sur les épaules des concepteurs. On ne peut pas leur demander de tout faire pour le même prix alors que les intérêts dépassent ceux des bureaux eux-mêmes de gagner en efficience.

AF : Je pense que, malheureusement, on ne peut le confirmer. Il a été communiqué il y a quelques années que, dans un projet BIM, la charge de travail de conception se déplaçait principalement vers les phases initiales, dans l’espoir que l’effort supplémentaire en avant-projet serait en grande partie compensé plus tard lors de la phase d’exécution. Malheureusement, il s’avère que ce n’est pas le cas : l’effort global pour un projet BIM est nettement plus élevé, sans que la qualité de l’exécution n’augmente dans la même mesure.

Les objectifs politiques et la réalité du terrain ne sont donc pas toujours alignés…

CS : Il ne faut pas faire l’amalgame entre les différents contextes de développement du BIM : le BIM de conception-réalisation qui est un outil de collaboration pour concevoir et construire plus efficacement, le BIM d’exploitation que le maître d’ouvrage utilise pour la maintenance et le BIM politique qui est au service de la digitalisation du secteur et de l’économie nationale. Nous reconnaissons que l’objectif politique doit être ambitieux pour aboutir à quelque chose. Dans les bureaux d’architectes, qui sont souvent de petites structures, nous utilisons des outils 3D qui nous servent à gagner en efficacité dans notre travail quotidien, plutôt qu’une procédure BIM à proprement parler. Le problème, c’est quand le maître d’ouvrage veut un BIM complet qui reprend tous les cas d’usage sans être prêts à payer pour l’investissement supplémentaire que cela implique, et sans avoir une vision claire de ce qu’il va en faire, auquel cas la maquette ne sera au final exploitée que pour des tâches simples.

Faut-il sensibiliser les maîtres d’ouvrage à ce qui est pertinent ou pas ?

EH : Oui, et c’est le rôle de l’OAI d’exprimer ce qui fait sens pour les concepteurs. Nous devons avancer par étapes : une fois que le premier palier sera franchi avec les concepteurs, nous pourrons embarquer les entreprises qui seront d’autant plus motivées qu’elles verront que ça fonctionne. Le BIM doit être réduit à son essentiel dans un premier temps pour ne pas se disperser dans des exigences inimaginables, qui font perdre de l’énergie et génèrent de la frustration.

AF : Oui, je pense qu’il est indispensable que les maîtres d’ouvrage soient sensibilisés dès le début à ce qu’un modèle BIM permet réellement de faire et à ce qu’il ne permet pas de réaliser. Souvent, les maîtres d’ouvrage ne savent pas ce que signifient les différentes qualités BIM, comme par exemple les niveaux LOD (Level of Development / Detail), qui définissent le degré de précision et de fiabilité qu’un modèle doit avoir à un moment donné. Si un maître d’ouvrage demande ultérieurement un niveau très élevé sans savoir ce que cela implique (coûts et efforts supplémentaires), cela crée de fausses attentes. C’est pourquoi cette sensibilisation doit intervenir dès le début du projet, idéalement avant même la signature du contrat.

De quel soutien les petits bureaux auraient-ils besoin ?

CS : Les architectes auraient besoin de solutions prêtes à l’emploi (plug-ins, templates préconfigurés, outils développés collectivement) qu’ils pourraient acheter et intégrer facilement. Comme le marché luxembourgeois a ses spécificités, ces outils devraient être adaptés au contexte national.

EH : Pour les ingénieurs, la situation est similaire. Même s’il existe de grandes sociétés bien structurées, beaucoup de petits bureaux manquent de moyens. Souvent, le BIM est porté par un patron passionné qui fait du BIM le soir au lieu d’encoder ses factures. Là aussi, une aide collective ou des outils mutualisés seraient précieux.

Les maîtres d’ouvrage imposent parfois leurs propres logiciels. Qu’est-ce que cela implique pour les bureaux ?

CS : Cela entraîne de lourdes conséquences économiques et organisationnelles : nous ne pouvons pas changer de logiciel du jour au lendemain, ni maîtriser plusieurs programmes de modélisation, compte tenu de leur complexité. Imposer un logiciel revient à exclure certains acteurs, ce qui va à l’encontre de la loi sur les marchés publics. C’est pourquoi nous prônons l’openBIM, qui permet d’éviter la discrimination entre bureaux.

EH : Même les grands bureaux ont du mal à gérer deux logiciels en parallèle : cela divise les équipes et complique l’organisation interne, donc cela réduit l’efficience. L’openBIM, malgré ses limites techniques, est une bonne solution pour éviter les erreurs et les pertes d’efficacité. Il faut veiller aussi à la dépendance vis-à-vis des grands éditeurs de logiciels si le secteur public venait à imposer un acteur unique. Il est donc essentiel de préserver la liberté de choix et la diversité du marché.

AF : En tant que planificateurs, nous devons nous limiter à un ou deux logiciels, car ceux-ci sont utilisés non seulement pour la conception des plans, mais aussi pour les calculs techniques. Cela implique une charge de formation et un temps d’adaptation considérables pour nos collaborateurs. Il faut également tenir compte du fait qu’il existe très peu de solutions logicielles réellement adaptées à la fois aux ingénieurs et aux architectes. Lorsqu’un maître d’ouvrage impose un logiciel spécifique, cela présente l’inconvénient de limiter le cercle des planificateurs potentiels. Les bureaux qui travaillent avec d’autres programmes ne peuvent soit pas participer du tout, soit doivent procéder à des changements importants, ce qui peut entraîner des coûts supplémentaires.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

BEST, retour sur 10 ans d'expérience du BIM au Luxembourg
BEST, retour sur 10 ans d’expérience du BIM au Luxembourg

BEST fait partie des bureaux d’ingénieurs qui ont ouvert la voie du BIM* au Luxembourg. Depuis ses premiers essais jusqu’à la mise en place d’un standard collaboratif, ses équipes partagent un retour d’expérience concret sur les défis, les bénéfices et les enseignements d’une transformation menée pas à pas.

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Interview de Eric Hansen, directeur et associé-gérant, Daniel Collignon, associé et chef de service au service Assainissement des eaux, et Sacha Vuckovic, expert BIM, chez BEST Ingénieurs-Conseils.

Quel a été le point de départ de l’utilisation du BIM chez BEST ?

Eric Hansen : En 2014, je me suis rendu en Angleterre, où j’ai découvert le concept. Nous avons d’abord réalisé notre premier travail en BIM dans le cadre d’un concours sans construire de bâtiment, simplement pour expérimenter la méthode. Puis nous avons voulu l’appliquer à de vrais projets. Notre bureau disposait déjà en interne de toutes les compétences nécessaires : conception d’ensemble, ingénierie structurelle et techniques spéciales, notamment dans l’assainissement, mais à l’époque, le marché n’était pas encore mûr : ni les clients ni l’équipe n’étaient prêts. Il a donc fallu attendre encore quelques années avant de relancer la démarche, ce que nous avons fait il y a 3 ans. Dans le domaine du bâtiment, la pratique a entretemps progressé, elle est devenue courante, même si elle n’est pas encore standardisée. En revanche, dans les autres services, le déploiement reste plus lent.

Comment cela s’est-il passé au niveau opérationnel ?

EH : Quand Daniel est arrivé, il a commencé à concevoir directement en 3D. Mais comme les autres équipes travaillaient encore en 2D, le processus restait « hybride » : il modélisait la structure du bâtiment en 3D, y intégrait les éléments techniques, puis le projet était traduit en plans 2D. De notre côté, nous utilisions déjà la 3D pour produire les plans de coffrage et de ferraillage. Mais, à chaque modification, trois dessinateurs devaient reprendre les plans manuellement. C’est là que nous avons décidé d’évoluer vers une maquette unique, partagée entre l’équipe de conception en assainissement, la statique et l’électromécanique, ce qui permet à chacun de bénéficier du travail des autres. Nous avons d’abord travaillé avec ALLPLAN, puis avec REVIT. Nous avons rapidement constaté qu’ALLPLAN était très performant pour l’usage en structure, tandis que REVIT s’imposait comme l’outil le plus adapté pour le travail collaboratif autour d’une maquette commune. C’est à ce moment-là que Sacha a rejoint le bureau pour mettre en place les standards.

Sacha Vuckovic : Cette orientation BIM impliquait des choix spécifiques en matière de logiciels et d’environnement de travail. Il existe plusieurs outils compatibles entre eux, mais qui fonctionnent différemment. Pour ma part, j’avais déjà utilisé REVIT à une époque où il manquait encore de maturité et de fonctionnalités. L’essai avait donc été un peu prématuré. Depuis, le logiciel a évolué : il intègre désormais de nombreuses fonctionnalités permettant de modéliser, dans une même maquette, différentes disciplines comme la construction métallique, le béton armé ou les techniques spéciales, ce qui rend son utilisation efficace au sein d’un bureau d’études pluridisciplinaire tel que BEST. Le BIM repose avant tout sur un processus collaboratif. Cela exige de développer des standards et procédures propres à l’outil. C’est précisément mon rôle : définir et structurer les standards, ainsi que les processus associés à ses différents usages. Depuis trois ans, nous faisons évoluer en continu ces standards et leurs gabarits, en les adaptant aux besoins et au développement interne du bureau.

Quel a été l’investissement initial nécessaire ?

EH : L’investissement principal, au-delà de l’achat des logiciels, a été le recrutement d’une personne entièrement dédiée au BIM, en l’occurrence Sacha. Son rôle, au départ, a été de développer un standard commun à tous les services, afin de garantir une méthode de travail cohérente pour tous et de favoriser une coordination fluide et efficace. C’est d’ailleurs, selon moi, l’un des principaux obstacles à l’adoption du BIM sur le marché : les petites structures n’ont pas toujours la capacité d’embaucher une ressource dédiée, dont les premiers mois de travail sont essentiellement consacrés à la réflexion, à la structuration et à la création des familles avant d’atteindre un rythme productif.

Quelle est la place de l’humain dans cette évolution ?

EH : Le BIM valorise le métier de dessinateur, nécessitant une montée en compétences, donc de la formation. Les réactions peuvent être variées face au changement, mais globalement, il suscite un regain d’intérêt et d’engagement des équipes. Travailler autour d’une maquette commune renforce la communication, la compréhension interdisciplinaire et la cohésion d’équipe.

En quoi la mise en place de processus et de gabarits a-t-elle permis d’améliorer vos projets ?

Daniel Collignon : Nous avons constaté une optimisation de la qualité et une plus grande rigueur dans l’exécution des tâches. Grâce à la maquette numérique, le service assainissement peut modéliser son projet, l’intégrer dans la structure, puis la mettre à la disposition des autres services collaborant au projet. Le service Bâtiments et Constructions Industrielles peut alors reprendre directement la maquette sans devoir tout remodéliser, simplement en l’adaptant pour le coffrage et le ferraillage. Cela permet un gain de temps significatif et une collaboration plus fluide entre les services, contribuant directement à la qualité finale. La maquette permet aussi aux clients de mieux visualiser et s’assurer du respect du cahier des charges, tout au long de la conception. Le BIM apporte donc des avantages à la fois en interne et en externe.

SV : Une nouvelle norme ISO 19650 spécifique aux projets BIM vient de paraître. Pour un bureau d’études comme le nôtre, la standardisation constitue un levier essentiel : elle facilite l’intégration des nouveaux collaborateurs, garantit la cohérence des échanges et l’intégrité des informations transmises. Nous ne modélisons pas uniquement pour nos besoins internes, mais aussi pour permettre une collaboration fluide avec nos partenaires extérieurs. Sans standardisation, la gestion et l’échange d’informations serait pratiquement impossible et nous ne pourrions pas exploiter pleinement tout le potentiel du BIM.

Pouvez-vous nous parler des premiers projets mis en place avec le BIM ?

SV : L’un des premiers projets emblématiques a consisté à modéliser un ouvrage existant pour planifier des travaux de réaménagement technique et créer un nouveau local. L’objectif était de livrer au client un jumeau numérique de l’ouvrage complet accompagné d’un DOE (Dossier des Ouvrages Exécutés) numérique, assurant la traçabilité complète des interventions.

Nous avons importé le scan 3D de l’existant et, à partir de ce relevé et des plans disponibles, nous avons obtenu un modèle de l’ouvrage que nous avons transmis à Daniel pour qu’il y intègre les installations techniques demandées par le client.

DC : Le fait de pouvoir m’appuyer sur une maquette existante m’a permis d’éviter de tout redessiner et de me focaliser pleinement sur les aspects techniques, tout en réalisant un gain de temps considérable. Cette maquette a également servi de base à la conception du gros œuvre pour les entreprises intervenant sur le projet.

Nous avons également exploité le nuage de points pour réaliser le DOE numérique et concevoir l’aménagement extérieur. Un autre avantage, c’est que, comme plusieurs personnes peuvent intervenir simultanément sur la même maquette tout en visualisant les modifications en temps réel, on évite ainsi des allers-retours entre les services.

SV : Lorsqu’on intervient sur des ouvrages existants, il est souvent difficile de retrouver les informations nécessaires : certaines sont incomplètes, d’autres introuvables. Dans ce projet, nous avons couvert toute la chaîne du BIM : du relevé de l’existant jusqu’à la remise du DOE numérique. Le fait de tout centraliser dans une maquette numérique permet à chaque intervenant de disposer de l’ensemble des données et d’avoir une vision complète de l’ouvrage.

Sur un autre projet, plusieurs services ont collaboré sur la base d’une maquette commune. L’objectif est de parvenir à centraliser les différentes données sur une maquette unique et de minimiser progressivement l’utilisation d’autres logiciels et l’échange de données entre ces derniers. Pour cela, nous travaillons à la standardisation des processus et à la définition de gabarits pour assurer une interopérabilité optimum avec d’autres outils.

Ces évolutions portent déjà leurs fruits : des modélisations plus précises, une meilleure coordination interdisciplinaire et la possibilité d’utiliser la maquette numérique pour intégrer de nouveaux usages comme la planification des systèmes de mise à la terre ou l’automatisation des métrés.

Nous explorons aussi l’exploitation du modèle pour les contrôles de volumes et les comparaisons entre les plans et les travaux réalisés.

Aujourd’hui, le BIM connaît également un essor en dehors des bureaux d’études et des chantiers. Par exemple, de plus en plus de fournisseurs modélisent leurs produits et les mettent à disposition dans des bibliothèques. Les concepteurs peuvent ainsi directement les intégrer dans leurs maquettes, sans devoir les recréer. Le marché connaît donc un fort développement, ouvrant de nouveaux usages et applications, inimaginables il y a encore dix ans.

Quel retour sur investissement attendez-vous du BIM ?

EH : Sur le plan financier, les bénéfices ne sont pas encore pleinement mesurables du fait que l’investissement initial était conséquent, mais nous entrevoyons un gain économique à moyen terme. Le retour sur investissement du BIM se traduit avant tout par une plus grande satisfaction des clients, qui reconnaissent la valeur ajoutée du travail et nous confient des prestations supplémentaires, ce qui renforce aussi l’implication et la motivation des équipes.

Quelles sont les prochaines étapes dans l’intégration du BIM et, plus largement, de l’Intelligence Artificielle (IA) dans vos pratiques ?

SV : L’IA est avant tout un outil qui peut nous aider à automatiser certaines tâches répétitives et nous soutenir dans nos réflexions et nos choix techniques en nous assistant dans les phases de conception et de planification. Elle n’est pas là pour nous donner la solution, mais pour nous permettre d’affiner nos réflexions et d’élargir nos champs de prospection, en nous proposant des approches sous des angles différents. L’architecte et l’ingénieur gardent la maîtrise technique et la responsabilité de leurs décisions. Cependant, je pense qu’après une première phase où le potentiel de l’IA a explosé grâce à l’intégration des connaissances accumulées à ce jour, elle a aujourd’hui atteint un palier et qu’il faudra attendre la prochaine génération d’IA pour envisager une plus grande utilisation dans nos métiers.

DC : Les LLM (Large Language Models) ne prennent pas de décisions : ils dépendent entièrement de la qualité des données fournies, selon le principe du « garbage in, garbage out ». L’humain reste donc indispensable pour interpréter et valider les résultats. Mais si l’IA se développe trop vite, elle risque de priver les jeunes professionnels d’expérience pratique, ce qui poserait un problème de transmission des compétences et de pensée critique.

Un autre risque est qu’en s’appuyant trop sur l’IA, on finisse par négliger la qualité des données d’origine, ce qui pourrait affaiblir la fiabilité des analyses et la pertinence des résultats.

Depuis ses premiers pas dans le BIM il y a une dizaine d’années, BEST Ingénieurs-Conseils poursuit la même ambition : avancer, innover et partager pour bâtir l’avenir ensemble.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025


* Le BIM (Building Information Modeling) est un processus collaboratif fondé sur la création, la gestion et le partage de données numériques cohérentes tout au long du cycle de vie d’un ouvrage. Reposant sur des modèles numériques intelligents, il favorise une conception, une construction et une exploitation coordonnées, transparentes et efficaces. maquette numérique devient ainsi un outil commun de communication et d’analyse pour l’ensemble des acteurs du projet, au service d’une collaboration intégrée et renforcée.

BIM, SIG & CIM : l'ingénierie à l'ère du numérique
BIM, SIG & CIM : l’ingénierie à l’ère du numérique

À l’heure où la construction et la gestion des infrastructures et bâtiments se transforment, la digitalisation ne se limite plus à la 3D. Grâce au BIM, au SIG et au CIM, l’ingénierie s’enrichit de nouveaux processus incluant des outils plus collaboratifs, plus territorialisés et permettant la mise en place de solutions plus durables.

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Chez Schroeder & Associés, pionnier au Luxembourg, cette transition repose sur une plateforme numérique intégrée qui centralise et exploite les données issues de ces processus, facilitant ainsi la conception, la modélisation et la gestion des projets, qu’il s’agisse d’un bâtiment ou d’une ville entière. Immersion dans une ingénierie augmentée. Rencontre avec Marco Da Chao, ingénieur-associé et Chef de Service Génie Technique et Digitalisation, et Kevin Soares, Chef d’Unité Géomatique et BIM chez Schroeder & Associés.

BIM : un levier clé de la transformation digitale, malgré ses défis

Le Building Information Modeling (BIM) est devenu un pilier incontournable de la transformation digitale dans la construction. En structurant et centralisant les données tout au long du cycle de vie d’un projet, il facilite la collaboration et optimise chaque étape. Pourtant, son implémentation reste un défi pour de nombreuses équipes, confrontées à des changements profonds dans leurs méthodes de travail, à la gestion de volumes importants de données, et à la nécessité d’une coordination accrue entre les différents intervenants dans les premières phases du projet notamment. La maturité générale reste à être atteinte à tous les niveaux, la maîtrise de la gestion de projet étant largement bousculée et challengée par ce processus de travail.

« Le BIM est un véritable processus de travail », explique Marco Da Chao, ingénieur-associé et Chef de Service Génie Technique et Digitalisation chez Schroeder & Associés. « Il demande de repenser en profondeur les processus internes, un défi majeur pour de nombreuses équipes, y compris la nôtre, notamment en termes de formation, d’adaptation aux nouveaux processus de gestion de projet et de coordination entre les différents acteurs. Pourtant, lorsqu’il est bien maîtrisé, il permet de réduire les erreurs, d’accélérer la production et de libérer du temps précieux pour la gestion de projet ». Plans, coupes, métrés et simulations s’appuient sur une maquette numérique partagée, mise à jour en temps réel de la conception à l’exploitation. Schroeder & Associés a adopté cette démarche dès ses débuts, obtenant en 2022 la certification ISO 19650, norme internationale encadrant la gestion des informations dans les projets BIM.

« Cette reconnaissance nous a encouragés à poursuivre l’innovation », souligne Kevin Soares, Chef d’Unité Géomatique et BIM. « Les attentes et connaissances de nos clients évoluent aussi rapidement que les technologies ».

SIG : élargir la vision à l’échelle du territoire

Si le processus BIM s’avère redoutablement efficace pour optimiser la conception et la réalisation d’un « objet », il montre ses limites lorsqu’il s’agit de gérer des ensembles plus vastes : zones industrielles, réseaux routiers, communes entières. C’est là qu’intervient le Système d’Information Géographique (SIG). « Le SIG permet d’analyser des données spatiales – mobilité, réseaux, environnement, cadastre… – en les croisant avec des données descriptives », explique Kevin Soares. « Il offre une vision globale du territoire. Couplé au BIM, le SIG ouvre la voie au City Information Modeling (CIM), une approche innovante pour modéliser les villes dans leur complexité. » Grâce à ces processus et outils combinés, il est désormais possible de créer un jumeau numérique urbain, intégrant à la fois données géospatiales et informations de projet. Il est désormais important de considérer le BIM, le SIG et le CIM comme un tout.

Schroeder-SIG : la plateforme au service de l’ingénierie territoriale

C’est pour cette raison que les équipes Digitalisation et IT de Schroeder & Associés ont développé en interne un Schroeder-SIG, une plateforme collaborative et évolutive qui intègre le processus BIM tout en apportant une réponse au CIM. Elle centralise les données issues de 65 ans d’expertise, collectées sur des centaines de projets et est compatible avec les projets réalisés suivant le processus BIM. « Grâce à cette plateforme, nous pouvons tester des hypothèses avant même de les présenter au client », explique Marco Da Chao. « Le Schroeder-SIG devient un véritable outil d’aide à la décision et apporte une vue simplifiée et centralisée de la situation existante, un vrai plus pour nous et pour eux. Par exemple, elle permet de centraliser des données environnementales sur une grande échelle de territoire, mais aussi de simuler des rénovations énergétiques ou encore des projets photovoltaïques, en cartographiant le potentiel solaire. La plateforme sert aussi à optimiser la mobilité en zones urbaines et à analyser le potentiel de circularité des matériaux ». Elle s’enrichit également en continu des données collectées grâce à une vingtaine d’appareils de mesure (scanners 3D, drones, GPS, utilisés pour centraliser les données issues des chantiers), et aux as-built (un ensemble de documents et de relevés qui décrivent précisément un projet de construction tel qu’il a été réalisé à la fin des travaux). Ce processus, développé chez Schroeder & Associés, est appliqué sur un grand nombre de chantiers au quotidien.

Des données comme levier d’innovation

Mais cette richesse de données impose aussi des contraintes. « La multiplication des données est une chance, mais leur structuration est essentielle », admet Kevin Soares. « Sans rigueur, elles deviennent vite inexploitables ».

Pour répondre à ces enjeux, Schroeder & Associés mise sur la transversalité de ses compétences internes : topographie, génie civil, géomatique, BIM, cadastre... C’est en ce sens que le Service Digitalisation, créé il y a trois ans, comprend plusieurs experts de chacun de ces domaines. « Notre force vient de notre histoire », souligne Marco Da Chao. « Les données accumulées depuis près de 65 ans sont un patrimoine unique qui alimente nos innovations. À nous alors de les interpréter et de les mettre à disposition de nos clients de sorte à faciliter leur prise de décision et le déroulement de leur projet ».

Vers une ingénierie ouverte et évolutive

L’objectif de Schroeder & Associés pour les prochaines années est d’offrir à ses clients une visualisation claire, dynamique et partagée de leurs projets. « Le BIM a permis de démocratiser le SIG en le rendant plus accessible », observe Kevin Soares. « À présent, nous voulons que ces outils deviennent de véritables leviers de décision ».

À travers l’intégration du BIM, du SIG mais aussi du CIM, Schroeder & Associés illustre parfaitement comment la digitalisation réinvente l’ingénierie au Luxembourg. Loin d’être de simples outils, ces approches deviennent des catalyseurs de transformation, capables de rendre les infrastructures plus efficaces, plus durables et plus intelligentes. « Nous voulons apporter notre pierre à l’édifice », conclut Marco Da Chao, « en restant fidèles à nos trois socles : l’environnement, le social et le sociétal ».

Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

Réinventer nos métiers avec l'IA, aux digital twins et à la photogrammétrie
Réinventer nos métiers avec l’IA, aux digital twins et à la photogrammétrie

La construction vit une véritable révolution silencieuse. Les chantiers se complexifient, les normes s’accumulent, les attentes en matière de durabilité s’intensifient. Dans ce contexte, la donnée devient l’ossature des bâtiments.

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Les ingénieurs, maîtres d’ouvrage et exploitants n’attendent plus seulement des plans : ils veulent une vision vivante, continue et fiable de leurs ouvrages. Chez SECO Group, notre réponse est claire : mettre l’IA au service des clients pour simplifier la gestion et transformer le suivi des bâtiments.

Quand la photogrammétrie rencontre l’IA

L’un des apports les plus prometteurs est l’intégration de la photogrammétrie avec l’IA. Concrètement, une façade est photographiée par drone ou par caméra, puis reconstruite en 3D. L’IA analyse ces images pour détecter les fissures, repérer les zones fragiles, mesurer leur évolution dans le temps.

Là où l’œil humain verrait une simple micro-fissure, l’IA mesure sa largeur, suit son évolution et alerte avant qu’elle ne devienne critique. Pour l’ingénieur, c’est un changement majeur : la technologie devient un outil de prévention, pas seulement de constat. Cette approche reflète la mission du groupe SECO et s’inscrit parfaitement dans nos valeurs : qualité, innovation et durabilité au service des acteurs du secteur. Nous plaçons la donnée et l’IA au service de nos clients pour bâtir des ouvrages plus sûrs et plus performants.

Un digital twin, plus qu’une maquette

Un digital twin est bien plus qu’un modèle BIM joliment texturé. C’est une réplique numérique vivante, qui évolue au même rythme que le bâtiment réel. Elle s’alimente en continu :

  • d’une base de données initiale (maquette BIM, relevés, DOE),
  • d’inspections régulières et automatismes de surveillance,
  • de capteurs IoT qui suivent température, humidité, vibrations ou consommation,
  • et de l’intelligence artificielle, capable de croiser toutes ces informations.

Résultat : une image fidèle et constamment à jour du bâtiment ou de l’infrastructure, qui permet d’anticiper les problèmes au lieu de les subir.

Le rôle élargi du géomètre et de l’ingénieur

Traditionnellement cantonné aux levés et implantations, le géomètre devient aujourd’hui le garant de la donnée. Il ne livre plus seulement un plan ou une mesure ; il accompagne le projet tout au long en structurant les informations, en déployant les capteurs, en analysant les relevés et en nourrissant le digital twin.

De la même manière, notre ingénieur voit son rôle s’élargir. Il n’est plus uniquement un contrôleur ou un prescripteur de normes :

  • il croise la donnée issue du terrain,
  • il transforme cette masse d’informations en indicateurs clairs et exploitables,
  • il devient un acteur de prévention en anticipant les risques techniques ou structurels avant qu’ils ne surviennent.
  • Ensemble, SECO et GEOLUX forment un binôme clé : le premier garantit la fiabilité des données, le second leur donne sens et valeur opérationnelle. C’est cette synergie qui permet de passer d’un simple constat technique à une ingénierie proactive, durable et orientée client.

Simplifier la vie des clients

Derrière cette technologie et initiative, l’objectif reste simple : faciliter le quotidien des acteurs du bâtiment.

  • Pendant la construction, le digital twin assure un suivi précis de l’avancement, détecte les écarts et réduit les reprises coûteuses,
  • En exploitation, il devient un outil de monitoring continu, qui alerte au bon moment et aide à planifier les interventions in situ et en temps réel,
  • Avec la photogrammétrie, il offre une mémoire visuelle et métrique du bâtiment, utile pour les assurances, les contrôles et la gestion patrimoniale.

Et surtout, il transforme la donnée brute en informations directement exploitables : pas de surcharge de tableaux complexes, mais des alertes claires, des rapports lisibles et des recommandations concrètes.

Un modèle de suivi adapté

GEOLUX, société de SECO Group, est le partenaire de confiance pour tout ce qui touche au métier du géomètre. Au-delà du rôle classique de géomètre, il structure et fiabilise la donnée pour qu’elle devienne un véritable levier de performance et de durabilité.

GEOLUX propose des formules d’accompagnement continues :

  • Chantier : rapports automatisés réguliers, comparant le réel au prévu,
  • Exploitation : monitoring en temps réel avec alertes intelligentes et analyses prédictives.

Cette continuité évite les « trous de données » et garantit une traçabilité totale, du premier coup de pioche jusqu’aux décennies d’exploitation.

Vers une ingénierie plus durable

En combinant IA et expertise terrain, SECO Group participe à une nouvelle génération de gestion immobilière : plus rationnelle, plus durable, plus simple.

Ce qui était autrefois perçu comme un futur lointain est déjà une réalité. Avec l’IA et les digital twins, l’ingénieur ne se contente plus de réagir : il anticipe, prévient et accompagne. C’est ainsi que SECO réinvente ses métiers, au service de bâtiments plus sûrs, plus performants et mieux gérés.

Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

BIM, IA & IoT : un trio au service de villes plus intelligentes et durables
BIM, IA & IoT : un trio au service de villes plus intelligentes et durables

La construction traverse une transformation profonde. Après avoir digitalisé la conception et la gestion grâce au BIM, un nouvel écosystème s’impose : l’intelligence artificielle (IA) et l’Internet des Objets (IoT). Ensemble, ces technologies redéfinissent la façon de concevoir, construire et exploiter nos bâtiments.

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Leur objectif est clair : réduire l’empreinte carbone, améliorer la résilience urbaine et créer des environnements plus intelligents et plus humains.

Le BIM, socle de la donnée

Le Building Information Modeling est aujourd’hui la colonne vertébrale de tout projet : il structure l’information (plans, matériaux, coûts, performances), il favorise la collaboration entre acteurs et il permet de passer d’une logique de projet à une logique de cycle de vie du bâtiment. Sans ce socle commun, IA et IoT resteraient des outils isolés. Avec le BIM, ils trouvent un langage partagé.


« C’est une fois les phases de conception et de construction terminées, quand le bâtiment passe entre les mains de l’exploitant, que l’IA et l’IoT prennent tout leur sens. Mais ces technologies ne se suffisent pas à elles seules, il faut aussi une maquette numérique pour visualiser et comprendre les données », explique Mehdi Halal, gérant de BIM Consult.

L’IA, catalyseur de valeur

L’intelligence artificielle agit comme un moteur d’interprétation et de décision. Elle permet d’optimiser la conception en générant des variantes plus durables, en proposant des solutions techniques et en réduisant les erreurs. Grâce à des simulations énergétiques, elle peut évaluer les consommations potentielles et proposer les meilleures configurations. Couplée à des capteurs, elle est capable d’anticiper les pannes et permet de mettre en place une maintenance prédictive. Enfin, elle peut transformer des archives papier ou PDF en données BIM structurées, donc exploitables.

« L’IA envisage des réglages qu’un humain n’aurait pas forcément imaginés, car elle a la capacité de traiter une quantité massive de données issues de multiples sources. Elle peut aussi analyser ces informations et identifier ainsi les solutions les plus adaptées », souligne-t-il.

En clair, elle libère du temps pour l’humain qui se concentre sur la créativité, la stratégie et la prise de décision.

L’IoT, le lien avec le réel

Si le BIM est la carte et l’IA le moteur, l’IoT est le capteur du monde réel. Il permet de faire remonter des milliers de données en temps réel : température, humidité, consommation, fréquentation.

« Ces flux enrichissent le modèle BIM, qui devient un jumeau numérique vivant. Le gestionnaire ou le promoteur peut alors piloter ses actifs comme un tableau de bord intelligent. C’est cette boucle vertueuse BIM–IA–IoT qui ouvre la voie à des bâtiments proactifs », précise-t-il.

Le futur : des agents intelligents multimétiers

Aujourd’hui, le BIM centralise la donnée, mais demain il sera enrichi par une nouvelle génération d’agents intelligents. Ces assistants numériques, dopés à l’IA, seront capables d’interagir directement avec le jumeau numérique d’un bâtiment ou d’une ville.

Pour l’architecte, ces agents proposeront en temps réel des variantes de conception plus durables, compareront l’impact carbone de différents matériaux, signaleront les contraintes réglementaires. Pour l’ingénieur, ils vérifieront les calculs de structure, simuleront les performances énergétiques, anticiperont les conflits techniques. Enfin, pour l’exploitant, connectés aux capteurs IoT, ils prédiront les pannes, optimiseront la consommation d’énergie et prolongeront la durée de vie des équipements.

Là où aujourd’hui ces analyses demandent plusieurs réunions et beaucoup de temps, demain les réponses seront instantanées et contextualisées.

« Mais il est important de rassurer : ces agents ne remplaceront pas les métiers. Au contraire, ils viendront en soutien. L’architecte reste le créateur de la vision, l’ingénieur conserve la maîtrise technique, l’exploitant garde le contrôle opérationnel. Les agents intelligents suppriment les tâches répétitives, accélèrent les calculs, et laissent aux humains ce qui fait leur force : la créativité, la décision et la responsabilité », tempère Mehdi Halal. « Au niveau de la ville, cette approche devient encore plus puissante : les agents échangeront entre eux pour équilibrer les flux d’énergie, réagir aux crises (canicules, inondations, pics de consommation) et construire une ville résiliente, capable de s’adapter en temps réel. En somme, on ne parle pas de substitution, mais de coopération homme–machine : un futur où les professionnels gardent les commandes, épaulés par des outils qui augmentent leur impact ».

La vision de BIM Consult

« Chez BIM Consult, nous croyons que la valeur n’est pas dans la technologie brute, mais dans la façon de l’intégrer et de la rendre exploitable ».

Leur rôle est clair : structurer les données BIM, accompagner ses clients dans la transformation digitale de leurs projets et préparer le terrain pour connecter demain ces données avec l’IA et l’IoT.

Ils avancent avec pragmatisme : « Plutôt que de promettre l’impossible, nous bâtissons pas à pas des solutions solides et évolutives. Cela permet à nos clients de capitaliser dès aujourd’hui sur la donnée BIM, et d’être prêts à intégrer progressivement les briques d’IA et d’IoT au fur et à mesure de leur maturité et de l’évolution du marché ».

Une nouvelle ère

BIM, IA et IoT ne sont pas de simples concepts à la mode. Ensemble, ils dessinent la ville de demain : plus sobre, plus résiliente et profondément connectée à ses habitants.

« Le BIM organise la donnée, l’IA lui donne du sens et l’IoT la relie au monde réel ». C’est cette alliance qui transforme chaque bâtiment en une brique d’intelligence collective au service de la société et des générations futures.

Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

« L'humain doit rester au cœur du projet »
« L’humain doit rester au cœur du projet »

Entre assistance à maîtrise d’ouvrage, BIM Management, accompagnement stratégique et modélisation 3D, Lët’z BIM défend une approche humaine et pragmatique du BIM.

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Interview de Jo Kieffer, fondateur de Lëtz BIM

Quand avez-vous créé Lët’z BIM et qu’est-ce qui vous a poussé à vous lancer ?

La motivation ! J’ai toujours eu l’envie de créer quelque chose, depuis mon plus jeune âge. Même si je ne savais pas encore dans quelle direction aller, cette motivation ne m’a jamais quitté. J’ai passé un bac en électrotechnique, j’ai poursuivi avec un BTS en génie technique, puis j’ai travaillé plusieurs années dans un bureau d’études techniques. C’est là que j’ai eu mes premières expériences avec le BIM sur différents projets, et que j’ai compris que cela rejoignait mon envie de construire.

C’est ainsi qu’est née Lët’z BIM, fin 2022. Je ne voulais pas me cantonner à proposer des formations, mais offrir un accompagnement global, m’impliquer directement dans les projets et rester présent tout au long de leur développement. L’idée, c’est d’être un moteur, de faire avancer les choses, d’apporter des solutions, tout en continuant moi-même à apprendre.

Concrètement, quels services proposez-vous ?

Nous intervenons à différents niveaux. Tout d’abord, nous proposons une assistance à maîtrise d’ouvrage, ou AMO BIM : nous aidons les maîtres d’ouvrage à définir la stratégie BIM la plus adaptée à leurs besoins.

Nous avons également une activité de BIM Management, qui consiste à déployer la stratégie BIM en collaboration avec l’ensemble des intervenants. Cela passe par la mise en place de processus. La collaboration est fondamentale dans ce contexte et l’humain doit rester au cœur du projet. J’apprécie particulièrement les échanges avec les différents acteurs : on apprend beaucoup, on constate notamment qu’entre la théorie et la pratique du BIM, il y a une réelle différence.

Nous accompagnons aussi les entreprises qui souhaitent répondre à des appels d’offres nécessitant d’être BIM ready. Nous les aidons à se préparer, à définir ce qui est pertinent et réaliste pour elles.

Enfin, depuis un an et demi, nous proposons également un service de modélisation 3D. Qu’est-ce qui vous différencie ?

Notre force est d’avoir réussi à constituer une équipe qui couvre l’ensemble du spectre du BIM, avec une réelle présence au sein des projets et une approche orientée solutions. Nous misons sur des compétences locales, diverses et complémentaires, mais aussi sur une ouverture d’esprit et une motivation qui nous poussent à nous former à de nouveaux domaines pour garder une vision globale.

Qui sont vos clients ?

Cela peut être des maîtres d’ouvrage aussi bien privés que publics, mais aussi tout type d’entreprises : installateurs, bureaux d’études, architectes, syndics … et même des particuliers qui souhaitent, dans le cadre d’une rénovation ou d’une construction, disposer de la maquette numérique de leur maison pour faciliter toute utilisation ultérieure.

Sur quels types de projets travaillez-vous ?

Nous intervenons sur des grands bâtiments comme sur des plus petits projets - par exemple des bâtiments mixtes (bureaux, logements, commerces), hôpitaux - jusqu’à la modélisation de tout type de projet.

Un projet dont nous sommes particulièrement fiers est celui mené avec Landimmo : un bâtiment mixte de 15 600 m2, pour lequel nous assurons le BIM Management. C’est une belle reconnaissance pour un petit bureau comme le nôtre d’avoir été choisi pour une mission de cette envergure. La collaboration entre l’architecte, les bureaux d’études techniques et stabilité et l’AMO BIM se passe très bien, chacun fait preuve de beaucoup de bonne volonté, et cela rend le projet vraiment intéressant.

En ce moment, nous travaillons aussi sur des projets publics de grande envergure, au Luxembourg comme à l’étranger. En parallèle, nous modélisons des plans pour un bureau d’installateurs situé dans le nord du pays.

Le BIM peut-il contribuer à rendre les bâtiments plus durables ?

Je suis convaincu que d’ici vingt ans, on ne parlera plus de BIM : il fera partie de tout projet de construction et jouera un rôle clé sur la question des risques écologiques et de la durabilité. Par exemple, avec le passeport des matériaux, nous pouvons savoir comment, quand et pourquoi les matériaux sont utilisés, et surtout comment les réemployer ou les réutiliser avant même d’envisager le recyclage ou l’élimination. Dans le cadre du monitoring, la maquette BIM, associée à l’IA, permet exploiter les données collectées pour intervenir concrètement et optimiser l’exploitation des bâtiments.

Mais tout cela ne pourra fonctionner que s’il y a une véritable volonté de faire bouger les choses. Le digital est une partie de la solution, certes, mais il doit s’inscrire dans un ensemble plus large, qui inclut aussi la dimension réglementaire.

Quelles perspectives voyez-vous avec l’IA ?

Je pense qu’on peut l’intégrer de manière stratégique, si on ne perd pas de vue le côté humain. L’humain doit adopter une approche constructive et garder son sens critique pour obtenir le résultat espéré.

Quels sont les défis auxquels vous vous heurtez parfois ?

2022 n’était sans doute pas la meilleure année pour lancer une entreprise, mais venant du sport, j’ai toujours aimé les défis, même les plus costauds. Ce que j’apprécie surtout, c’est être au cœur des projets, confronter la réalité avec le terrain et résoudre des problèmes.

Quand on démarre en tant que toute petite structure, décrocher des missions, même les plus modestes, n’est pas toujours évident. Mais je crois qu’avec de la bonne volonté, en étant conscient de ses failles et en travaillant dessus, on finit toujours par avancer. Et c’est ce qui compte.

Avez-vous un message à faire passer ?

Je suis souvent en contact avec des jeunes car je donne des cours dans le cadre du BTS BIM, au lycée à Mamer et, moi-même, je suis en dernière année de Bachelor en efficience énergétique. Je voudrais leur dire que peu importe d’où on vient, ce qu’on a vécu et les défis qui se présentent à nous, on peut toujours créer quelque chose de positif en ayant envie de travailler, d’aller de l’avant et en se donnant le droit à l’erreur. Cela ne veut pas dire faire n’importe quoi, mais plutôt se donner la liberté d’expérimenter, de tester de nouvelles approches et de se tromper, à condition, bien sûr, de se relever.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

BuildingOne, le point sur le « I » de BIM
BuildingOne, le point sur le « I » de BIM

Plans, listes, maquettes BIM, fichiers divers et bases de données internes… l’information relative à un bâtiment est souvent dispersée, générant des doublons, des erreurs, une perte de temps et une mauvaise exploitation de ces données.

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BuildingOne, en centralisant l’information et en facilitant son exploitation, est une solution qui permet de gagner en fiabilité et en efficacité.

Rencontre avec Bob Banzer, Managing Partner de OneTools Project

Une solution centrée sur le « I » du BIM

BuildingOne se concentre sur les informations. Dans la pratique, cette solution permet syncroniser bidirectionnellement, de centraliser et d’organiser toutes les données issues d’une maquette 3D conçue avec Revit, Archicad ou Vectorworks. Les données issues de fichiers tels que des documents Excel, des plans en PDF ou en DWG, ou simplement des listes peuvent également y être intégrées. Il n’est donc pas nécessaire de disposer d’un BIM complet : même pour les bâtiments existants, anciens et souvent sans maquette 3D, BuildingOne offre la possibilité de gérer les données de manière à ce qu’elles soient fiables et exploitables.

Pour qui ?

BuildingOne s’adresse aux architectes, qui peuvent exploiter les données BIM et les enrichir, aux Facility Managers, qui gagnent en efficacité pour le suivi et la maintenance, aux entreprises de maintenance, qui disposent d’informations précises pour intervenir plus vite et mieux, mais aussi à leurs clients et, plus généralement, à tous les acteurs impliqués dans la gestion et l’exploitation des bâtiments.

Des avantages concrets

Le plus grand atout de cette solution est de permettre aux utilisateurs de retrouver facilement les données dont ils ont besoin pour travailler, puisqu’elles sont toutes regroupées au même endroit et structurées. « Aujourd’hui, il arrive encore que l’information qu’on cherche se trouve sur le desktop d’un collègue qui, évidemment, n’est pas présent à ce moment-là. On gère alors les informations en double, en triple, dans différents fichiers. C’est un scénario classique. Et c’est là tout l’intérêt de notre application : tout le monde utilise le même logiciel, chacun dispose des mêmes informations, peut les exploiter et les mettre à jour, selon des droits définis, donc en toute sécurité », explique Bob Banzer, Managing Partner de OneTools Project. À la clé : un gain de temps et une réduction considérable du risque d’erreurs.

Une intégration simple et progressive

Au niveau opérationnel, OneTools Project accompagne la mise en place de BuildingOne. « Nous organisons un workshop avec les futurs utilisateurs pour définir les éléments et propriétés à gérer, et les former au logiciel. Une fois le système installé, il fonctionne la plupart du temps de manière autonome et nous n’intervenons que pour des besoins spécifiques ou des services complémentaires : inventaires, contrôles de plans ou relevés d’informations sur site », précise-t-il.

Les utilisateurs peuvent également enrichir eux-mêmes le système, en y ajoutant un nouveau type d’objet (par exemple, des extincteurs incendie) ou en le mettant à jour en fonction de l’évolution du bâtiment (cloisons retirées, mobilier déplacé). Ils peuvent même synchroniser les plans avec une maquette 3D.

De multiples applications concrètes

Parmi les nombreuses applications possibles de BuildingOne, certains utilisateurs s’en servent pour récupérer les données de consommation d’eau et d’électricité, réaliser des analyses et optimiser leurs performances énergétiques.

Il existe également un module dédié à la maintenance et à l’entretien qui a notamment permis à un client de se rendre compte, grâce au module dédié, qu’il payait encore un contrat pour une machine qui n’existait plus. L’économie a rapidement amorti le coût du logiciel.

En Allemagne, un gestionnaire de plusieurs bâtiments a automatisé la transmission des incidents aux bons interlocuteurs grâce au système, réduisant considérablement les erreurs et le temps de traitement.

Enfin, OneTools Project a récemment réalisé un inventaire dans un bâtiment de 1 800 m2 qui a permis de mettre à jour les plans, d’intégrer l’ensemble du mobilier et de livrer des listes en un temps record.

IA ou pas IA ?

BuildingOne utilise-t-il l’intelligence artificielle ? À cette question qui revient souvent, Bob Banzer répond : « Nous utilisons nous-mêmes l’IA pour diverses tâches internes, nous sommes donc favorables à cette nouvelle technologie. En ce qui concerne BuildingOne, nous nous sommes bien sûr aussi penchés sur la thématique et il est possible, grâce à l’API performante de BuildingOne, de connecter une IA aux données. À mon avis, il faut toutefois examiner attentivement à quoi doit servir l’IA. À l’aide de la matrice dans BuildingOne, les utilisateurs peuvent rechercher, regrouper et évaluer des données très rapidement et facilement. Ce n’est pas une IA à proprement parler, parce que la demande n’est pas posée par écrit, mais c’est un système bien pensé, bien développé, efficace, qui permet de retrouver les bonnes informations. Pour des requêtes plus complexes, je vois une utilité à l’IA, mais pour le moment, je crois que notre système est assez fort pour trouver toutes les informations nécessaires », conclut-il.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025


Retrouvez OneTools Project et sa solution BuildingOne :

  • Les 26 et 27 novembre 2025 à BIM World Munich (stand 11, rez-de-chaussée)
  • Le 5 février 2026 au BIM DAY GVA Genève (stand G13)
  • Les 1er et 2 avril 2026 à BIM World Paris
S-Built : des scanners, des hommes … et de la précision !
S-Built : des scanners, des hommes … et de la précision !

Fondée à Schieren en 2019, la société S-Built s’est imposée en quelques années comme un acteur incontournable dans la production de plans et de modèles 3D de bâtiments existants.

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Spécialisée dans le scanning 3D, elle s’appuie sur cette technologie de pointe pour offrir à ses clients architectes, promoteurs, entreprises et collectivités des solutions tant innovantes que fiables. Malgré un contexte toujours précaire dans le secteur de la construction, S-Built connaît une croissance continue, portée par la qualité de ses livrables et la confiance renouvelée de sa clientèle.

Rencontre avec Lionel Toumpsin, architecte-gérant de S-Built

Le succès de l’entreprise repose avant tout sur son équipe : chaque collaborateur met sa maîtrise logicielle et son souci du détail au service des missions confiées, garantissant un haut niveau de précision et de rigueur. Cet engagement de chacun, clé de voûte de l’entreprise, se traduit par des productions fiables, un savoir-faire reconnu sur le marché et une soif de repousser les limites et relever de nouveaux défis.

Depuis le changement de direction, S-Built a diversifié son offre et enrichi ses services. Parmi les innovations introduites figure le scanning de chantier, une nouveauté qui transforme la manière de suivre et gérer les projets. Son apport est considérable : « Le scanning permet de repérer les écarts entre le « projet » et le « construit » tout en vérifiant le respect des tolérances … en quelques minutes seulement ! Son utilisation permet en effet d’identifier directement les non-conformités et, par conséquent, d’anticiper leur impact sur le projet et la suite des travaux (réduction des éventuelles reprises coûteuses, des pertes de temps, …) donc de générer de réelles économies. Il garantit également un gain de temps significatif dans le quantity survey grâce à des relevés rapides et précis. Enfin … et surtout, il facilite la production des modèles 3D « as-built » des bâtiments construits (métier historique de S-Built), qui deviennent désormais les jumeaux numériques des bâtiments construits, outils incontournables pour la maintenance et l’exploitation des bâtiments », détaille Lionel Toumpsin, architecte-gérant.

Le scanning de chantier contribue aussi à tracer chaque étape, en constituant un archivage numérique complet et fiable. Cet atout s’avère précieux pour la maîtrise des délais, la qualité des travaux et la réduction des risques liés aux visites « physiques » en zones dangereuses. Il offre par ailleurs un levier de valorisation de l’image des entreprises utilisatrices, renforçant leur image novatrice, leur compétitivité et leur capacité à remporter de nouveaux marchés.

Avec cette impulsion, S-Built confirme sa dynamique de développement dans l’intégration de solutions technologiques au service du bâtiment. « Entreprise à taille humaine mais ambitieuse, nous poursuivons notre évolution en associant innovation, rigueur et proximité, et nous nous imposons comme un partenaire de choix pour accompagner les acteurs du secteur orientés optimisation, rigueur et précision », conclut-il.

Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

Communs numériques et transition urbaine néovernaculaire
Communs numériques et transition urbaine néovernaculaire

Depuis 2007, l’humanité a résolument pris le tournant d’une métropolisation généralisée. Si l’avenir de l’homme semble désormais être urbain, l’Afrique définira cette urbanité puisqu’elle abritera dans les décennies à venir, quelques-unes des plus grandes villes au monde.

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Les nouvelles technologies du digital aussi entrevoient la ville comme leur destin. L’homme et les technologies, poursuivant cet horizon urbain commun, devraient se confronter très logiquement sur le continent africain. Les tiers-lieux, fablabs, incubateurs, villa-numériques, etc., nouveaux espaces dédiés à l’émulation autour des nouvelles technologies, au regard d’une capacité à proposer de l’innovation sociale démocratisée pourraient arbitrer de cette confrontation.

Ces espaces peuvent-ils être des leviers de la conception des villes africaines de demain ? C’est la perspective qu’explorent depuis 2012 Sename Koffi Agbodjinou, l’association L’Africaine d’architecture, les WoeLab et leur communauté à travers l’expérimentation HubCity.

L’urbanisation, entre accélération et choc humain

La ville génère environ 80 % du Produit Intérieur Brut planétaire selon la Banque Mondiale. Cela témoigne de son importance pour les économies. Alors que deux individus sur trois seront citadins en 2050 - contre un sur deux actuellement - c’est 60 % de la population africaine qui résidera en métropole, contre 39 % aujourd’hui. Soit un urbain sur six sur le continent pour un humain sur quatre qui sera africain.

C’est dans ce contexte qu’émerge la Smart City, comme la piste privilégiée désormais pour permettre que la croissance urbaine serve le développement du continent. Or il s’agit là d’un concept promu par les Big Techs qui, ainsi que s’évertue à le démontrer Sename Koffi Agbodjinou, a le potentiel d’instituer une colonialité nouvelle. Ce bouleversement n’est pas seulement économique ou technologique : il est aussi physiologique et psychique. Les neurosciences montrent que la transition rapide de la vie villageoise - fondée sur la proximité, les rythmes collectifs et la régulation sociale - vers la densité urbaine et l’individualisme, crée un stress chronique. Isolement, bruit, perte de repères et manque d’espaces verts altèrent les réseaux cérébraux de la résilience et laissent des empreintes épigénétiques qui influencent santé et comportement. L’urbanisme n’est donc pas neutre pour le cerveau : il façonne la manière de penser, d’apprendre et de vivre ensemble.

HubCity, une urbanité à esprit villageois

Désireux de s’inscrire dans l’ère du temps, et sans plus de précautions, les pouvoirs publics africains placent le numérique officiellement au cœur de leurs stratégies avec un accent sur les villes intelligentes.

L’Africaine d’architecture avec les WoeLab a entrepris d’aller à rebours de cette tendance en lançant un ambitieux projet de civilisation de la Smart City en Afrique : une urbanité à esprit villageois, où la proximité et l’entraide structurent les services autant que la technologie. HubCity s’inspire des systèmes d’échange traditionnels et les augmente par des outils ouverts et frugaux, afin que l’innovation reste à hauteur de quartier.

En recréant des réseaux de proximité, HubCity agit comme un régulateur biologique : la vie communautaire et la coopération activent les circuits de récompense du cerveau, réduisent la réponse au stress et renforcent le sentiment d’appartenance. Les neurosciences sociales confirment ce que l’anthropologie savait déjà - appartenir, c’est se protéger. « Je suis parce que tu es », selon l’esprit d’Ubuntu, n’est pas qu’un principe moral : c’est une condition neurobiologique de l’équilibre humain, un principe et un esprit que Sename Koffi Agbodjinou a profondément intégrés dans HubCity.

Innover dans la cité digitale et durable

C’est donc depuis Lomé que s’élabore une des critiques les plus radicales du devenir technologique de la ville avec pour horizon la concrétisation de l’utopie urbaine africaine vernaculaire HubCity.

HubCity est issu d’une volonté de constituer en hubs des chantiers technologiques démocratisés permettant de tendre vers un modèle urbain aussi innovant que grassroots. Il s’agit à travers la réplication de laboratoires populaires et de proximité, incubateurs sociaux de multiplier des espaces d’élaboration de petits projets intégrés.

Ces laboratoires participatifs réinventent aussi les conditions de l’apprentissage. L’apprentissage collectif, le faire-ensemble et la narration culturelle renforcent les fonctions exécutives et la mémoire. Dans ces lieux d’expérimentation partagée, chacun apprend en agissant, en reliant le geste, la parole et le sens. Cette pédagogie vivante répond à la fois à un besoin éducatif et à un besoin biologique : redonner au cerveau des contextes d’apprentissage incarnés, coopératifs et sensoriels.

En pratique, ces WoeLab sont pourvoyeurs de programmes sociaux et startups du concret, adressant dans le rayon d’un à deux km autour du lieu, les problématiques urbaines saillantes selon une logique d’économie circulaire et de création d’un écosystème inclusif et durable : gestion des déchets (ex : SCoPE), sécurité alimentaire (ex : Urbanattic), système d’échange (ex : Syswoe), etc.

Une Smart City alternative et émancipatrice

L’ensemble des projets sont gérés et possédés collégialement, permettant de préfigurer un collectivisme digital pionnier dans la critique du capitalisme digital. Les Labs mis en réseau et l’addition des projets qui en sortent, prototypent ainsi une Smart City alternative, émancipatrice et non propriétaire. HubCity pose l’économie de la connaissance comme primordiale dans un contexte d’emballement démographique avec un attrait spécifique aux techniques permettant de garantir l’inclusivité sociale et la redistributivité de la richesse.

Ce faisant, HubCity œuvre à une véritable réparation neuro-sociale : le collectif, la proximité et la dignité matérielle y deviennent des antidotes au stress urbain et aux fractures sociales. Les matériaux locaux et les gestes vernaculaires, au-delà de leur valeur écologique, réactivent des ancrages sensoriels profonds - ce lien au sol, à la main, à la matière que Frantz Fanon décrivait déjà comme essentiel à la reconstruction du corps et de la conscience décolonisée.

HubCity défend une version profondément humaine de la ville intelligente : une urbanité qui place l’humain au centre de la technologie, qui relie au lieu de déconnecter, et qui refuse que le numérique devienne un nouvel instrument d’aliénation. En créant son propre modèle de Smart City enracinée, l’Afrique ne fait pas qu’innover : elle évite le risque d’une nouvelle colonisation technologique en décolonisant simultanément ses outils, ses matériaux et ses imaginaires.

L’imaginaire comme moteur de transformation

HubCity se projette comme une agence de développement de concepts intégrés pour la ville de demain, dont 50 % de l’activité est orientée vers le développement et l’implémentation de solutions éprouvées en s’appuyant sur les WoeLab. Le reste de l’effort tournerait autour de prestations auprès de partenaires ayant pour la réalisation de projets urbains à valeur ajoutée de communs numériques. Tout ceci devant concourir à un environnement propice à l’émergence de villes durables.

Pour Sename Koffi Agbodjinou, l’imaginaire n’est pas un luxe intellectuel : c’est une force biologique. Les neurosciences montrent que l’imagination et la visualisation activent en partie les mêmes réseaux cérébraux que l’expérience vécue. Imaginer une ville inclusive, coopérative et apaisée, c’est déjà en activer les circuits neuronaux ; c’est préparer le cerveau collectif à la possibilité du changement. Ainsi, l’utopie HubCity n’est pas une fiction, mais une anticipation vécue.

HubCity se positionne ainsi en alternative aux projections officielles de la Smart City, généralement élitistes et de dynamique top-down. Il entend fournir aux citadins mêmes, les moyens d’une reconquête de l’initiative urbaine grâce à la fréquentation d’open-lieux installés dans la proximité, dédiés à l’apprentissage et l’émulation autour des nouvelles technologies et de la culture startup.

Ces lieux d’innovation partagée, accessibles librement à tous et dédiés au travail collaboratif, véritables « Espaces de Démocratie Technologique », visent l’innovation par une appropriation responsable et éthique de la révolution digitale. Ils favorisent des usages à faible empreinte environnementale, les projets en source ouverte et la fabrication contributive au travers la culture fablab dont WoeLab est pionnier en Afrique. Trois premiers lieux (à la fois fablab, farmLab, centre de ressources numériques, coworking-space et incubateur) ont été installés à Lomé : WoeLab Zéro (2012), WoeLab Prime (2017) et WoeLab Second (2025). Ils sont rapidement devenus des espaces d’innovation partagée résolument inscrits dans leur territoire qui rendent possible la mutualisation des intelligences, le brassage de populations diverses. Il s’y explore dans une logique #LowHighTech, les subtilités de la révolution digitale : Impression 3D, IoT, BigData, IA, blockchain, web3, etc. La recherche d’une inventivité ancrée dont la mascotte est le projet Woebots-WAfate, première imprimante 3D made in Africa, conçue entièrement en déchets électroniques recyclés, saluée unanimement. Un dynamisme remarquable aussi local et international, avec l’inspiration et l’accompagnement de plusieurs projets de création de tech hubs dans la sous-région et au-delà.

WoeLab est depuis 2012, par sa présence systématique sur les plus grands événements, conférences et colloques (SXSW, Republica, World MakerFaire, VivaTech, etc.) à l’avant-garde du questionnement de ces bouleversements et leurs implications pour le continent. HubCity a ainsi développé une expertise reconnue et consacrée par les rassemblements internationaux majeurs, décrochant de nombreux awards.

En reconnectant ainsi innovation et lien social, HubCity démontre que la ville du futur ne se bâtit pas seulement avec des algorithmes et des matériaux - mais avec des émotions, des récits communs, une intelligence collective et des liens humains vivants.

Rédaction : Carine Oberweis & Sename Koffi Agbodjinou, 2025 ; illustrations : © L’Africaine d’architecture
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

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