
Une prouesse d’ingénierie, orchestrée au millimètre
Ouvert à la circulation depuis le 4 avril 2025, le nouveau pont Émile Hammerel qui enjambe la gare de Bettembourg a soulevé de nombreux défis tant en termes de complexité technique que systémique. Rencontre avec Fabien Dodeller, ingénieur-conseil associé gérant du bureau d’études LOA.
Construit en 1975, le pont Émile Hammerel enjambe la gare CFL de Bettembourg et assure le passage de la N31 qui relie les deux parties de la commune situées de part et d’autre de la voie ferrée. Long de 148 mètres, l’ouvrage initial, courbe en béton précontraint, reposait sur deux culées et cinq piles, dont trois directement implantées dans l’emprise de la gare. Malgré des réparations de plus en plus lourdes au fil des années, il continuait à se dégrader - appareils d’appui hors service, béton fragilisé, étanchéité défaillante… - et à voir son espérance de vie se réduire. Une solution pérenne devait donc être trouvée.
Le fait que le pont surplombe les sept voies électrifiées de la gare de Bettembourg en plein centre-ville rendait toute intervention complexe. La réhabilitation de l’ouvrage a d’abord été envisagée, mais de nombreux obstacles techniques et financiers – remplacement des appuis nécessitant de rehausser 3 500 tonnes de tablier, traitement lourd et manuel de plus de 1 000 m2 de béton en sous-face, impossibilité de déplacer certaines piles sans adapter l’ensemble de la structure - ont fait pencher la balance vers la construction d’un nouveau pont dont la durée de vie est estimée à 100 ans.
En effet, malgré les nombreuses mesures qui ont dû être mises en place pour maintenir la circulation pendant les travaux (déviations routières, substitution des trains par des bus, création d’un parking provisoire desservi par une navette en remplacement du parking de la gare mobilisé pour préfabriquer l’ouvrage, installation d’un poste de services de secours temporaire pour garantir la réactivité du CGDIS malgré la séparation physique de la commune, etc.) et les multiples interfaces avec l’état, la commune et la région à l’échelle transfrontalière qui ont été nécessaires, les études n’ont pris que trois ans et l’exécution un an.
« Nous avons choisi de démolir le tablier parce qu’il nécessitait de lourds travaux de réparation avec de nombreuses interventions qui auraient entraîné bien plus de désagréments qu’une fermeture de la gare pendant quatre semaines. Il se posait également la question de la suppression des piles en gare en vue du futur réaménagement de celle-ci. Ce n’était simplement pas possible avec l’ancienne structure du tablier. À cela s’ajoute une somme de coûts indirects liés aux multiples interventions de réparation. Ces coûts auraient monté le montant de la rénovation à un montant équivalent, voire supérieur à celui d’une reconstruction », indique Fabien Dodeller, ingénieur-conseil associé gérant du bureau d’études LOA en charge du projet pour le compte de l’administration des Ponts & Chaussées.
La solution qui a été retenue est celle d’un tablier métallique de type bow-string qui permet de franchir de grandes portées donc de supprimer les piles situées dans les quais, tout en reculant celles trop proches des voies. Sa structure en arc assure robustesse et ventilation optimale des efforts, tout en respectant le gabarit ferroviaire contraint. « L’arc était la seule structure permettant de réaliser le pont en une seule pièce, sans pile. Ce qui fait sa particularité est son tablier courbe, unique en Europe pour un ouvrage de cette dimension. Elle s’imposait car le pont était contraint par les limites de propriété et sa proximité avec le bâtiment de la gare qui est classé et un autre édifice en cours de classement, tous deux intouchables ».
Cette option a également rendu possible la préfabrication intégrale du tablier principal en acier, sur le parking annexe, réduisant ainsi considérablement les travaux en zone ferroviaire. « Le fait de minimiser l’impact du chantier sur la gare et la N13 était un enjeu majeur. La possibilité de construire le nouveau pont à proximité a été déterminante dans le choix de la structure. Cela supposait de condamner le parking annexe et de négocier la création d’un parking provisoire à moins d’un kilomètre pour maintenir les transferts voiture-train et bus-train. Sans cela, aurions-nous pu couper la commune en deux durant un an ? », souligne-t-il. « Notre dogme professionnel et personnel est la réutilisation autant que possible et il est clair que la proposition d’une reconstruction se heurte à la mise au rebut de 3 000 tonnes de béton. Actuellement, le béton démoli, quoique recyclable, ne permet pas une réutilisation noble comme élément de structure, au mieux dans un coffre routier. Ce sont des sujets de recherche et d’amélioration futurs. En l’état, notre rôle et notre responsabilité d’ingénieur conseil sont de s’assurer, avec le maître d’ouvrage que tous les choix et besoins ont été analysés, débattus et optimisés afin qu’ils permettent une réutilisation au maxima de la structure existante. Le tablier a dû être remplacé, l’intervention sur l’ouvrage était plus que nécessaire, mais 70 % des infrastructures en béton ont tout de même été conservés. C’est une démarche vertueuse qui a collé à toute l’histoire du projet et pas un sujet un peu à la mode ! »
« Ce projet démontre, pour ceux et celles qui peuvent en douter, que les acteurs du génie civil luxembourgeois sont d’un très haut niveau de professionnalisme et d’engagement. Par expérience, je peux vous affirmer qu’une telle performance est tout simplement impossible en France et en l’état, aurait crédité le compteur des coûts de millions supplémentaires ! ».
« Comme l’a souligné la Ministre lors de l’inauguration, c’est une véritable prouesse à la fois architecturale et d’ingénierie, de par sa complexité et sa vitesse d’exécution », conclut-il.
Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025
Données
Budget : 22 millions d’euros
Charpente : 1 300 tonnes
Portée de l’arc : 80,3 mètres
Hauteur de l’arc à la clé : 22,5 mètres
44 suspentes en rond plein de 100 mm de diamètre
Longueur : 148 mètres
Largeur des voies : 2,5 mètres
Charge maximale : 90 tonnes