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Une proposition épurée et frugale qui réinvente l'héritage haussmannien

Une proposition épurée et frugale qui réinvente l’héritage haussmannien

À Paris, un immeuble du 19e siècle a été revisité pour créer un ensemble de 44 logements et une salle de vente pour la communauté Emmaüs. Le projet conjugue sobriété constructive, ancrage territorial et innovation écologique, jusqu’à sa toiture transformée en laboratoire de biodiversité.

Une pièce manquante au cœur d’un îlot historique

Le quadruple îlot portant le nom « d’opération de Clignancourt » fut constitué en 1880 à l’initiative de l’architecte Paul-Casimir Fouquiau, qui prit une part importante dans les opérations immobilières menées à Paris à la fin du 19e siècle. Ce grand projet totalisant 74 bâtiments sur une emprise d’1,6 ha démontre la capacité de la libre entreprise de l’époque à procurer des logements « à bon marché » à près de mille ouvriers. Les immeubles de cinq étages francs plus un étage sous comble furent tous bâtis d’après les plans fournis par l’agence de Fouquiau, créant un lotissement homogène. Une demi-douzaine de compositions-types de façades alternent de façon régulière le long des rues du lotissement.

La pierre porteuse comme interprétation contemporaine de l’élégance haussmannienne

Les immeubles du lotissement sont bâtis en pierres massives à longueur libre, contrairement aux immeubles haussmanniens plus prestigieux où les pierres sont appareillées selon des lignes régulières de composition et des ornementations sculptées. La sobriété qui émane de l’établissement Emmaüs et les objectifs de la ville de Paris en matière de construction durable ont conduit les architectes de SOA vers un travail d’interprétation de l’immeuble haussmannien dans une version plus épurée et frugale. Le retour de la pierre naturelle massive parmi les solutions porteuses pose la question du renouvellement contemporain de son langage architectural. Des projets récents se sont également engagés dans un travail sur la pierre porteuse qui s’approche, à bien des égards, de celui des dispositifs de préfabrication en béton.

Dans ce projet, les pierres sont taillées à l’économie : l’appareillage est libre et ce sont simplement les engravures qui passent au premier plan ; l’enjeu est de fondre le calepinage irrégulier des pierres dans le dessin géométrique des bossages, colonnes et demi-colonnes, pilastres, chapiteaux, encadrements et corniches. Le projet se compose de pierres franciliennes (tendres pour le corps, dures pour le socle), de format et de longueur libres ; ce principe est très avantageux et économique pour les carriers qui peuvent optimiser leurs coupes librement.

Le langage ornemental haussmannien est ramené à l’essentiel par un jeu de simples engravures à la scie : engravures horizontales pour les bossages du socle et de l’entresol, engravures verticales pour le corps du bâtiment. Les menuiseries conservent leurs proportions et matérialité tout en permettant des apports lumineux supérieurs grâce à l’absence de subdivisions.

Structure bois et béton de chanvre

Le choix constructif structurel du projet poursuit cette idée d’interprétation contemporaine du projet haussmannien, qui se caractérise par une façade à rue en pierre porteuse, une façade arrière/sur cour en matériaux moins « nobles », le plus souvent en briques, et par des planchers bois portés en rive et un noyau de contreventement, le tout en liaison sèche essentiellement. Le projet Emmaüs reprend ces principes : la façade arrière est conçue en ossature bois remplie d’un béton de chanvre et les planchers sont en CLT, repris en rive sur la pierre, par une structure poteaux-poutres bois et par le noyau. Les isolants sont biosourcés, avec une laine de bois côté pierre et en chanvre revêtu d’un enduit chaux-sable côté cour.

Une architecture intérieure dédiée aux usagers

Le projet, autour de son plan flexible, est pensé pour offrir les meilleurs outils possibles aux membres de la communauté Emmaüs, leur permettant ainsi de s’adapter à des situations diverses de manière efficace et pratique. Les matériaux et la disposition des espaces et des équipements techniques sont pensés pour alléger au maximum l’entretien des locaux.

La boutique au rez-de-chaussée propose des volumes polyvalents, articulés autour d’un noyau central. L’espace de vente est conçu pour être à la fois le plus grand possible et traversant. Les logements s’organisent autour d’une circulation centrale éclairée naturellement qui dessert neuf habitations de surfaces équivalentes dont une, plus grande, accessible aux personnes à mobilité réduite. De manière générale, les pièces humides s’implantent autour du noyau de circulation pour laisser se dérouler les pièces de vie sur la façade. L’ensemble des logements profite d’une salle d’eau et d’un placard intégré.

La toiture, un espace expérimental dédié à la biodiversité

Au-delà du balcon filant au 5e étage, le couronnement de l’immeuble est réinterprété par deux retraits successifs qui remplacent brisis et terrassons ; le traditionnel toit en zinc laisse place à une plateforme et des aménagements dédiés à la biodiversité. Sous l’élaboration de l’écologue Florent Ivert et de la botaniste Elodie Seguin, une architecture de poutres entrecroisées - partiellement remplies de terre végétale, permettra à un grand nombre d’espèces de plantes et d’insectes qui y nichent de s’y développer.

Textes et illustrations : ©SOA ; adaptations : Régis Bigot arch. & IPM Neobuild GIE
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

Crédits photographiques : ©Charles Bouchaib, Camille Gharbi, Laurent Nguyen.

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Publié le lundi 24 novembre 2025
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