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Oser là où d'autres n'osent pas

Oser là où d’autres n’osent pas

Dans Neomag #67, nous présentions sous forme d’interview avec l’architecte Bujar Hasani de l’atelier ODAA et Messieurs le bourgmestre Fred Ternes et Cédric Bruch du service de l’Urbanisme de la commune de Niederanven, ce projet de Tiny House en béton imprimé.

Inauguré le 27 août, il nous tardait de reprendre contact avec les instigateurs du projet pour évaluer leur expérience.

Bujar Hasani, les délais d’étude et d’exécution furent très courts, mais le projet a finalement abouti dans les temps impartis ; quelles furent les étapes les plus complexes/délicates à réaliser ?

Bujar Hasani : Le défi principal a été la formulation des matériaux locaux imprimables. Nous voulions absolument utiliser des granulats luxembourgeois, ce qui nécessitait d’adapter le mélange : suffisamment fluide pour l’impression, tout en garantissant les résistances nécessaires à la durabilité du bâtiment. L’une des phases délicates fut consacrée à adapter notre conception architecturale aux contraintes de l’impression : chaque ouverture, chaque réservation technique devait être anticipée, car une fois la structure imprimée, les marges de correction sont minimes.

Nous avons aussi été surpris par le nombre de visites en cours de chantier : c’est compréhensible car cette technologie suscite beaucoup de curiosité, mais c’était un défi supplémentaire pour gérer à la fois le travail quotidien et les explications aux visiteurs. Malgré tout, nous sommes heureux d’avoir mené le projet à bien, en y intégrant des nouveautés comme l’utilisation de matériaux locaux, qui renforcent encore le sens de cette expérience.

Quels défis techniques principaux avez-vous rencontrés ?

BH : Le défi le plus important était lié au matériau lui-même, le béton devant circuler de manière parfaitement homogène pour garantir une extrusion continue. Or, il nous est arrivé que le flux se bloque partiellement, nous obligeant à renvoyer deux ou trois camions pour préserver la qualité. Ces moments créent forcément de la tension, car dans l’impression 3D, l’arrêt ou l’irrégularité de la matière peuvent compromettre la précision du mur. Heureusement, la technologie évolue très vite. Aujourd’hui, avec le TAD, il est possible d’alimenter le robot directement sur chantier et d’imprimer en continu, sans dépendre des allers-retours de camions.

De plus, le nouveau robot est plus léger, plus flexible et plus précis que celui que nous utilisions à Niederanven. Cela montre que, même si nous avons dû gérer ces contraintes techniques, l’impression 3D en béton progresse à une vitesse impressionnante. Et bientôt, d’ici la fin de cette année, nous allons probablement découvrir une nouveauté encore plus radicale : un nouveau matériau sans béton. J’attends avec impatience d’être invité aux premiers tests.

Le projet a attiré beaucoup de curiosité, parfois aussi généré quelques incompréhensions ou reproches. Il semble que l’innovation soit difficile à porter, non ?

BH : Effectivement, le projet a suscité énormément de curiosité. Nous avons eu aussi des incompréhensions et même des reproches que nous n’avons pas toujours compris, car nous étions ouverts, disponibles, entourés d’experts pour répondre à toutes les questions. Et c’est sain qu’il y ait des débats : l’innovation provoque toujours des réactions. Ce qui m’a surpris, c’est que même en 2025, alors que nous devons plus que jamais avancer dans tous les domaines, certaines critiques manquaient parfois de fondement. Mais nous avons pris le temps d’expliquer, d’apporter des réponses claires et d’assumer le fait que cette technologie soulève des doutes. C’est la règle de toute innovation : ce qui paraît aujourd’hui étrange ou risqué deviendra demain normal et évident. L’architecture des décennies passées n’avait pas les mêmes défis que celle d’aujourd’hui.

En tant qu’architectes, on nous demande d’agir face aux crises, d’imaginer autrement. Avec mon atelier, nous essayons d’oser là où d’autres n’osent pas, de tester et d’évoluer dans les méthodes de construction. Je suis convaincu que c’est la seule manière de préparer l’avenir.

Avec cette première expérience, avez-vous déjà pu identifier des pistes d’amélioration pour un prochain projet ?

BH : Oui, nous avons identifié plusieurs pistes. L’intégration plus tôt du BIM permettra une meilleure coordination entre architectes, ingénieurs et opérateurs. Sur le plan technique, la grande évolution est l’alimentation en continu de la matière : fini les allers-retours de camions, on peut désormais imprimer sans interruption, ce qui améliore fortement la fiabilité et la rapidité. À Niederanven, nous avons imprimé en 27,5 heures de fonctionnement du robot, ce qui représente déjà une belle performance, mais avec les nouveaux robots et méthodes annoncés récemment, ce temps pourra encore être optimisé. Chaque projet pilote est une marche supplémentaire pour les suivants.

Que pouvez-vous conseiller aux professionnels de la construction intéressés à se lancer dans l’impression de béton ?

BH : Pour tout professionnel intéressé, je dirais que l’impression 3D en béton n’est pas la méthode unique de construction, mais une nouvelle voie déjà présente et demandée. Elle répond à une problématique actuelle, à savoir le manque de main-d’œuvre qualifiée sur chantier, en particulier parmi les jeunes. Cette technologie peut justement donner envie à une nouvelle génération de revenir vers le métier avec des outils numériques et innovants. C’est une méthode appelée à perdurer et évoluer, et il est essentiel que des professionnels s’y engagent dès maintenant pour en améliorer la qualité et développer son plein potentiel.

Monsieur le bourgmestre, du côté de la commune, que retenez-vous de cette première expérience innovante ?

Fred Ternes : Cette première expérience est pour nous bien plus qu’un simple projet technique : elle s’inscrit pleinement dans la mission d’un pouvoir public moderne, celle de sensibiliser à de nouvelles formes de logement. Dans un contexte de pression foncière, de transition écologique et d’évolution des modes de vie, il est essentiel de proposer des alternatives concrètes, innovantes et durables. Ce projet démontre qu’il est possible de construire autrement : plus rapidement, avec moins de ressources, et en repensant l’espace habitable. C’est aussi un exercice de collaboration inédit : plusieurs sociétés issues de secteurs différents ont travaillé ensemble pour la première fois sur un territoire qu’elles ne connaissaient pas. Cela a évidemment présenté de nombreux défis techniques, logistiques, parfois même culturels. Mais au final, ce qui compte, c’est le résultat : nous avons réussi ! Nous sommes fiers d’avoir pu accueillir ce projet pilote à Niederanven et nous espérons qu’il inspirera d’autres initiatives, ici et ailleurs.

Cédric Bruch, pensez-vous pouvoir reproduire cette expérience à une échelle de projet plus large, par exemple pour des logements collectifs, et avez-vous rencontré d’autres communes désireuses de se lancer dans l’utilisation de béton imprimé ?

Cédric Bruch : Ceci n’est pas prévu pour l’instant. Mais des projets concrets dans d’autres pays démontrent que ceci est possible. Nous avons reçu la visite de nombreuses communes luxembourgeoises et même d’autres pays, et nous espérons que ce projet en inspirera d’autres à se lancer dans l’aventure.

À refaire, que changeriez-vous à cette « aventure » ?

CB : Rien !

Interviews et textes par Régis Bigot, Arch. & Innovation Project Manager Neobuild GIE
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025

Crédits photographiques : commune de Niederanven

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Publié le vendredi 21 novembre 2025
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