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Un manifeste de durabilité « en béton »

Un manifeste de durabilité « en béton »

À Bettembourg, dans le nouveau siège de Dellizotti construit par DZ Construct et conçu selon les principes 22-26. Sans chauffage ni climatisation, ce bâtiment low tech et intelligent maintient une température stable toute l’année. Économe, démontable et sain, il incarne une nouvelle vision de l’architecture durable.

Interview de Walter Brugnoni, administrateur délégué chez DZ Construct, et Christoff Dellizotti, administrateur délégué chez Dellizotti

Un bâtiment 22-26, qu’est-ce que c’est ?

Christoff Dellizotti : Les bâtiments 22-26 gardent une température intérieure stable : jamais en dessous de 22 degrés, même en hiver, et jamais au-dessus de 26 degrés, même en été.

Ils sont low tech, même si la technologie derrière - domotique et capteurs - est high tech. Il n’y a ni chauffage, ni climatisation, ni ventilation mécanique. La chaleur est uniquement apportée par les occupants, l’éclairage et les appareils électriques. Le refroidissement se fait en captant la fraîcheur nocturne dans la masse du bâtiment. Tout est géré par un logiciel intelligent qui pilote l’ouverture de clapets intégrés dans les châssis de fenêtres, ainsi que l’allumage et l’extinction des luminaires.

Au-delà de cela, la façade ne doit pas être vitrée sur plus d’un tiers pour éviter la surchauffe, et les murs doivent avoir une masse suffisante pour emmagasiner ou restituer la chaleur ou la fraîcheur selon la saison. C’est une contrainte architecturale, certes, mais le résultat est beau, rythmé, et très lumineux.

Walter Brugnoni : Par exemple, en hiver, si la température chute trop pendant la nuit, l’éclairage s’active automatiquement pendant une à deux heures. Cela permet de produire un appoint de chaleur suffisant pour réchauffer le bâtiment.

Ces bâtiments sont souvent équipés de panneaux photovoltaïques couplés à des batteries. C’est le cas ici : nous devrions atteindre une autonomie énergétique d’environ 60 % sur l’année. D’où vient le concept 22-26 ?

CD : Il a été développé par les architectes autrichiens Baumschlager et Eberle, qui remettaient en question la logique des bâtiments actuels : des boîtes vitrées, énergivores, qu’on refroidit artificiellement avec la climatisation - tout l’opposé de ce qu’il faut faire en matière de décarbonation. Il y a une quinzaine d’années, ils ont construit leur propre bâtiment-test de bureaux. C’est d’ailleurs le premier que nous avons visité. Il nous a impressionné par sa simplicité et nous avons immédiatement été convaincus. D’autant plus que avons toujours été sceptiques envers les bâtiments passifs parce qu’ils nécessitent une VMC qui peut être source de bactéries et générer des problèmes de santé si les gaines ne sont pas bien nettoyées. Avec 22-26, on revient à une ventilation naturelle, comme chez nos grands-parents.

Et puis, ce qui nous a aussi séduits, c’est la nécessité de construire en structure massive - béton, maçonnerie - car c’est notre cœur de métier.

Comment l’avez-vous connu ?

CD : C’est Neobuild qui nous a mis sur la voie, dans le cadre du programme Neistart lancé après le Covid pour relancer l’investissement, avec un focus sur le développement durable et l’économie circulaire. Neobuild nous a parlé de différents concepts - 22-26, l’économie circulaire, les matériaux biosourcés, la qualité de l’air intérieur - que nous ne connaissions pas bien à l’époque - ni nous, ni notre architecte Yvore Schiltz (Architecture & Urbanisme 21) qu’il faut d’ailleurs saluer pour son engagement. C’était, pour lui aussi, nouveau, et en même temps très cohérent.

Vous avez parlé d’économie circulaire. Ce bâtiment est-il démontable ?

WB : Nous avons mis en œuvre ici trois grands principes. Le premier est le concept 22-26. Le deuxième est l’économie circulaire. La structure en béton – à l’exception du radier et du noyau central avec la cage d’escalier – est entièrement composée d’éléments fabriqués sur place, devant le bâtiment : coffrés, bétonnés, décoffrés, puis assemblés. Poteaux, poutres, dalles, tout est démontable. Le bâtiment pourrait être entièrement reconstruit ailleurs, ou servir à un nouveau projet, plus grand ou plus petit.

CD : Pour la façade, nous avons opté, sur les conseils de Neobuild, pour des caissons en bois remplis de bottes de paille et recouverts de deux couches de 3 cm d’argile, fabriqués par Pailletech. Ce sont des matériaux entièrement naturels et l’argile offre, en plus, une excellente régulation de l’humidité et un bon déphasage thermique.

Nous sommes allés encore plus loin : le faux plancher est composé de panneaux en bois vissés, recouverts de caoutchouc naturel collé avec une colle type « post-it », les châssis Wicona sont en aluminium recyclé et recyclable, l’éclairage LED est signé Zumtobel – qui avait déjà travaillé sur le tout premier bâtiment 22-26 -, et les portes sont fournies par un menuisier allemand qui a une approche écocirculaire.

Quel est le troisième principe développé dans ce bâtiment ?

CD : C’est la qualité de l’air intérieur. En plus de l’argile utilisée pour la façade, toutes les peintures sont à la chaux, sans additifs. Les matériaux ont été validés par Ralph Baden, biologiste de l’habitat. Il a réalisé des tests qui se sont tous révélés positifs : aucun formaldéhyde, ni dans les revêtements de sol en caoutchouc naturel, ni dans les planchers en bois, ni même dans le mobilier. Ce bâtiment est un peu un laboratoire où on teste différents concepts, et pour moi, c’est fascinant.

Qu’en est-il du coût d’un tel bâtiment ?

CD : L’avantage du 22-26 est l’absence de technique conventionnelle, ce qui signifie pas de maintenance, réglages, ni éléments à remplacer. Aujourd’hui, la technique représente facilement 35 à 40 % de l’investissement de départ. La domotique a un coût aussi, bien sûr, mais moindre.

Envisagez-vous de dupliquer ce principe dans d’autres projets ?

WB : L’objectif est clairement de le proposer à nos clients. Nous avons déjà pris contact avec plusieurs architectes pour voir comment l’adapter à d’autres projets. L’idée serait aussi de le faire labelliser, même si ce n’est pas évident car ce type de projets réunit beaucoup d’intervenants. Nous avons la chance d’avoir, avec ce bâtiment, un mock-up grandeur nature qui démontre l’efficacité du concept en conditions réelles, et c’est bien plus parlant que des heures de discours commercial.

Le mot de la fin ?

CD : Ce bâtiment, c’est notre petite contribution à la lutte contre le changement climatique : un projet décarboné, circulaire, réutilisable. On décarbone sur le long terme, en pensant aux ressources, aux futures réutilisations. Tout le monde parle de transition verte. Avec cet immeuble innovant, nous avons transité vers des pratiques résolument durables : agir n’est plus un choix, c’est notre responsabilité.

WB : Oui, il est urgent d’agir pour laisser un monde positif et de viable à nos enfants.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #72 - juillet 2025

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Publié le lundi 18 août 2025
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