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La transition numérique, moteur du Luxembourg

La transition numérique, moteur du Luxembourg

Au ministère de l’Économie, la transition numérique n’est pas perçue comme une simple possibilité, mais comme une condition essentielle à la compétitivité, à la résilience face aux crises et à la souveraineté du pays.

Interview de Lex Delles, ministre de l’Économie

La transition numérique irrigue tous les secteurs, en particulier la construction où elle redéfinit la manière de construire et de planifier le territoire, et elle s’appuie sur des stratégies ambitieuses concernant les données et l’intelligence artificielle.

Quelle est la place de la transition numérique dans la stratégie économique nationale ?

Elle est au cœur de la stratégie économique du pays. Elle n’est pas une option, mais le fondement d’une croissance robuste, durable et compétitive. D’ailleurs, accélérer la souveraineté numérique du Luxembourg d’ici 2030 est une ambition ancrée dans l’accord de coalition du gouvernement.

C’est notamment le cas des trois stratégies en matière de données, d’intelligence artificielle et de technologies quantiques, élaborées conjointement, par le ministère de l’Économie, avec le ministère d’État, le ministère de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, ainsi que le ministère de la Digitalisation. Grâce à ces stratégies, une série de mesures concrètes a d’ores et déjà été identifiée afin de garantir une mise en œuvre rapide et efficace. Réussir la transition numérique est en effet un enjeu vital pour le pays, tant pour la compétitivité de l’industrie et des services que pour la résilience en matière d’énergie et de ressources, ainsi que pour la cohésion sociale, notamment intergénérationnelle.

Dans le secteur de la construction, par exemple, où la pénurie croissante de main-d’œuvre est un défi majeur, la digitalisation permet de mettre en œuvre de nouvelles techniques de construction préfabriquées qui offrent de meilleures conditions de travail et une plus grande productivité.

Comment le MECO accompagne-t-il cette transformation ?

Pour le MECO, la déclinaison de ces stratégies au niveau des entreprises est une priorité, pour les grandes entreprises, comme pour les PME, qui n’ont souvent pas les ressources et les moyens de suivre les développements. C’est la raison pour laquelle nous accompagnons cette transformation à plusieurs niveaux : depuis 2019 les SME Packages apportent un soutien concret au développement de services numériques, de projets d’intelligence artificielle (IA) et de cybersécurité. Les entreprises qui bénéficient de ces packages peuvent obtenir jusqu’à 70 % du coût de leurs projets, avec des budgets allant de 3 000 à 25 000 euros. Il existe aussi des programmes de soutien à la transition numérique, tels que Fit4Digital et Fit4AI, mis en œuvre avec le GIE Luxinnovation.

Conscients des défis auxquels les entreprises sont confrontées et dans l’esprit du « once only », nous travaillons également sur des projets d’IA pour faciliter la collecte et l’utilisation de données existantes, par exemple de bordereaux de soumission, afin d’alimenter les maquettes numériques. L’établissement de maquettes numériques de bâtiments est un sujet clé dans le secteur de la construction. L’approche BIM permet d’optimiser le processus de construction et offre également d’autres possibilités de valorisation des informations collectées pour répondre à des exigences réglementaires futures, comme le calcul de l’empreinte carbone du bâtiment sur l’ensemble de son cycle de vie. Le recensement numérique des matériaux de construction utilisés est également à la base de stratégies d’économie circulaire pour un meilleur réemploi et recyclage de ces produits et matériaux. La solution Product Circularity Data Sheet (PCDS) du GIE TerraMatters est de plus en plus utilisée pour faciliter l’échange d’informations sur les produits et matériaux utilisés, et pour en simplifier le réemploi futur, notamment dans le secteur de la construction.

Quelles technologies vous semblent prometteuses pour améliorer la résilience des villes face aux crises ?

Au Luxembourg, la résilience urbaine face aux crises climatiques, énergétiques et de mobilité repose sur l’adoption de technologies innovantes adaptées au contexte territorial et démographique du pays. Un exemple récent est l’appel Smart City, qui vise les communes et les syndicats de communes et permet de cofinancer des solutions intelligentes dans les domaines des ressources, de l’énergie et de la mobilité.

Diverses technologies peuvent améliorer la résilience de nos communes, comme les jumeaux numériques qui permettent de cartographier les différents réseaux et de simuler l’impact d’événements extrêmes (inondations, vagues de chaleur), afin d’optimiser leur planification.
Les réseaux intelligents facilitent l’intégration des énergies renouvelables et la gestion décentralisée de l’énergie, notamment via des communautés énergétiques locales. Je pense notamment au Living Lab de Creos qui relie 14 maisons d’un même quartier à Cruchten.

En matière de mobilité, le Luxembourg, pionnier de la gratuité des transports publics, peut aller plus loin en mettant en place des véhicules autonomes et des plateformes de gestion multimodale afin de fluidifier les déplacements transfrontaliers.

Enfin, les technologies de gestion circulaire des ressources (eau, déchets, matériaux de construction) sont essentielles pour renforcer l’autonomie et la durabilité des villes luxembourgeoises.

Pourriez-vous citer un ou deux projets luxembourgeois qui illustrent déjà bien l’utilisation du digital et de l’IA ?

L’IA impacte tous les secteurs de l’économie, certains dans une moindre mesure que d’autres. Dans la construction, par exemple, elle permet d’optimiser la conception et la planification des bâtiments, de faciliter la détection automatique des erreurs et la gestion des données complexes, d’anticiper les besoins, de réduire les coûts, d’augmenter la performance énergétique et de rendre la construction plus durable, en facilitant notamment l’analyse prédictive et la prise de décision.

Pour renforcer la résilience urbaine, le jumeau numérique régional du changement climatique permet par exemple de modéliser les impacts climatiques à l’échelle du territoire. Il offre aux décideurs publics des outils prédictifs pour anticiper les risques (inondations, vagues de chaleur) et adapter les politiques d’aménagement (voir p. 59 de la stratégie).

Un autre exemple phare est le Digital Twin Innovation Centre (DTIC), porté par le LIST, qui développe des plateformes de jumeaux numériques pour des domaines stratégiques tels que la mobilité, l’énergie ou l’environnement. Ce centre soutient notamment le projet CitCom.ai, une infrastructure européenne de test pour l’IA appliquée aux villes intelligentes, qui vient compléter le soutien nécessaire pour accompagner les communes et les syndicats de communes dans leurs projets Smart City.

La digitalisation soulève également des enjeux de cybersécurité, de protection des données ou de dépendance technologique. Comment le Luxembourg aborde-t-il ces défis ?

Le Luxembourg n’est malheureusement pas à l’abri des cyberattaques, et le secteur de la construction n’y échappe pas. La perte d’un accès à des données sensibles peut entraîner des conséquences néfastes pour une entreprise. Le secteur de la construction étant étroitement lié aux marchés des pays voisins, nous veillons à adopter des solutions open source et à laisser une certaine flexibilité aux entreprises dans le choix de leurs outils, afin d’éviter une trop grande dépendance technologique.

Un autre risque important concernant les données est la perte de souveraineté et l’exposition à des législations étrangères. Le gouvernement a donné la priorité au développement de solutions souveraines luxembourgeoises, comme les clouds souverains, ou comme le partenariat récemment signé entre le gouvernement luxembourgeois et l’entreprise française Mistral AI pour des solutions d’IA utilisées par le service public. Ces solutions permettent de stocker et de traiter les données tout en étant certain qu’elles restent au Luxembourg. Une bonne interopérabilité informatique est d’une importance particulière pour le Luxembourg, et nous y travaillons avec le Conseil national pour la construction durable (CNCD), le CRTI-B et l’ILNAS.

Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025