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Focus sur une thématique pointue à travers le regard aiguisé d’experts en la matière

Publié le 22 septembre 2025
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septembre 2025

Travaux publics

Travaux publics
À la croisée des chemins
À la croisée des chemins

Entre décarbonation, digitalisation et renforcement de la sécurité, le secteur travaux publics doit relever des défis de taille tout en répondant aux besoins croissants d’infrastructures performantes et durables. Témoignages.

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Gilles Christnach

Directeur du CRTI-B

« Les projets de construction et de BTP représentent un levier puissant pour soutenir un secteur en pleine mutation, particulièrement dans le contexte actuel. Ces projets, souvent innovants et à la pointe du progrès, intègrent de plus en plus l’usage de données digitales. Cette transformation, à la fois sensible, pertinente et désormais inévitable, demande une réinvention des processus de construction. Intelligence artificielle, maquettes numériques, chatbots, plateformes collaboratives et même solutions de financement : ces outils se développent à une vitesse remarquable et offrent des avantages économiques considérables aux régions capables de les déployer rapidement, en toute sécurité et avec efficacité.

Le Luxembourg, qui a su bâtir sa réussite en identifiant et en exploitant des niches stratégiques, doit aujourd’hui veiller à préserver et renforcer sa compétitivité. Cela vaut pour de nombreux secteurs, et s’applique pleinement à la construction.

Dans un contexte où le logement est officiellement reconnu comme une priorité nationale, il est impératif que les autorités publiques agissent rapidement comme catalyseur de cette transformation, aux côtés et avec les acteurs privés présents sur le terrain. L’enjeu est clair : promouvoir ensemble une construction plus simple, plus saine, plus efficace et plus rapide, afin de répondre aux besoins du pays tout en consolidant notre position dans un marché international hautement compétitif. Forts des compétences réunies au Luxembourg, nous avons les moyens de multiplier les exemples récents de réalisations solides, innovantes et durables dans un environnement hautement digitalisé, qu’elles soient issues d’initiatives publiques ou privées. Alors, crise ou opportunité nationale, nous avons le choix ! »


Frédéric Saunier

Directeur de la division Travaux publics chez LSC360

« L’optimisation du dimensionnement est la pierre angulaire de toute stratégie visant à réduire l’empreinte carbone des ouvrages d’art. Grâce à des logiciels de calcul avancés intégrant l’ensemble des phases de construction, nous dimensionnons précisément les sections, minimisant ainsi l’utilisation de matériaux tout en garantissant la sécurité et la durabilité. La réhabilitation des ouvrages d’art existants, menée conformément aux normes européennes et recommandations techniques récentes, constitue un levier essentiel pour prolonger la durée de vie des structures.

Nos équipes, spécialement formées à cette évolution normative, conçoivent ces renforcements ciblés pour adapter les ouvrages aux charges et exigences actuelles. La conception de ponts intégraux - caractérisés par une continuité structurelle entre le tablier et les culées, sans appareils d’appui ni dispositifs de dilatation - réduit non seulement la quantité de matériaux et les coûts d’entretien, mais améliore aussi la rigidité globale et la durabilité de l’ouvrage. Le choix des matériaux renforce cette démarche. Nous privilégions l’acier bas carbone, issu de matières recyclées et d’énergies renouvelables, ainsi que le béton bas carbone, dont la performance repose avant tout sur l’utilisation de ciments à faible teneur en clinker. La préfabrication des éléments porteurs permet un contrôle strict des paramètres de fabrication, diminue les temps d’intervention, optimise la logistique et réduit les nuisances environnementales et sonores.

Cette approche globale offre une réponse concrète aux défis environnementaux, conciliant performance et durabilité. »


Fabrice Remlinger

Responsable des formations Engins, au sein du service Construction mécanisée à l’IFSB

« Aujourd’hui, deux priorités s’imposent aux entreprises de travaux publics ; la sécurité et la décarbonation. Ces enjeux modifient les pratiques sur chantier. Ils requièrent donc une évolution des compétences alors que, dans le même temps, nous constatons que nos métiers n’attirent plus les jeunes et que le niveau des stagiaires baisse.

En tant que centre de formation, nous nous adaptons à ces nouveaux profils et les accompagnons au plus près de la réalité du terrain. Ainsi, nous avons choisi d’intégrer la sécurité et la décarbonation au cœur de nos parcours pédagogiques à travers, par exemple, des modules sur l’économie circulaire ou sur l’éco-conduite. Les engins étant responsables d’environ un quart des émissions de CO₂ du secteur, il est crucial que chaque conducteur comprenne l’impact de ses gestes quotidiens : choisir le mode de fonctionnement adapté à la tâche à accomplir, éviter les ralentis moteurs, soigner l’entretien de sa machine sont autant de leviers pour réduire l’empreinte carbone de ses activités.

Chacun doit également intégrer les bonnes pratiques qui permettront de gagner en efficacité et en consommation énergétique, mais aussi en confort. L’angle de chargement d’un camion, par exemple, peut tout changer. Il en va de même côté sécurité où, même si de nombreux progrès ont été faits ces dernières années, certaines bonnes habitudes sont encore à prendre. C’est pourquoi nous insistons sur les fondamentaux, comme le port de la ceinture.

Nos formations mêlent pratique et innovation. L’objectif : aider chaque stagiaire à mesurer son impact sur l’environnement, le chantier, la performance globale de son entreprise et l’avenir de son métier. »

Propos recueillis par Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025

TP : planifier, construire et innover pour le Luxembourg de demain
TP : planifier, construire et innover pour le Luxembourg de demain

Face à la croissance démographique, aux défis climatiques et à la transition numérique, le ministère de la Mobilité et des Travaux publics met en œuvre une politique intégrée pour répondre aux besoins actuels tout en anticipant ceux des prochaines décennies.

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Interview de Yuriko Backes, ministre de la Mobilité et des Travaux publics.

Quels sont les principaux enjeux auxquels le secteur des travaux publics doit faire face aujourd’hui au Luxembourg ?

Plusieurs défis, notamment démographique et climatique, numérique et digital, engendrant des répercussions dans les domaines de la mobilité et du logement, se posent au Luxembourg. Nous devons y apporter des réponses adéquates afin de garantir une planification pérenne des infrastructures, tant en ce qui concerne celles de mobilité que celles en relation avec les bâtiments publics.

La croissance démographique de notre pays suscite de nouveaux besoins en infrastructures adéquates et crée des attentes auprès de nos concitoyen*nes. En parallèle à l’augmentation de la population, l’impact des flux des travailleur*euses transfrontaliers quotidiens, toujours croissants, sont à prendre en considération et à anticiper afin d’organiser le territoire de manière résiliente dans différents domaines d’intervention publique dont deux relèvent de mes attributions : la mobilité et les autres infrastructures publiques tels que les bâtiments publics.

Les enjeux relatifs au territoire en tant que tel, notamment avec la densification urbaine qui s’étale, et la rareté du foncier disponible, notamment pour l’État, rend la planification plus complexe et nécessite une approche de la construction des infrastructures bien pensée, bien ficelée.

Il y a, d’autre part, des enjeux dans le domaine de la mobilité au quotidien, quel que soit le mode de transport. La mobilité devient par exemple une priorité dans la conception des espaces publics avec le développement d’aménagements verts de rencontre sociale et de loisirs ainsi que d’infrastructures dédiées aux piéton*nes et cyclistes pour encourager des modes de déplacement alternatifs à la voiture individuelle, en particulier pour les courtes distances et notamment dans les villes.

L’attractivité du pays est très certainement tributaire à la fois d’une politique de la mobilité et d’une politique, disons, de la construction englobant le logement et les infrastructures publiques en bâtiments, qui répondent à la demande actuelle dans un secteur clé de notre économie. Dans ce cadre, une accélération des projets publics représente un aspect crucial dans l’approche gouvernementale pour qui le défi du logement est un effort collectif. C’est ici qu’entrent en jeu la numérisation et la digitalisation.

La transition numérique est vécue par beaucoup comme un défi, mais il s’agit aussi d’une opportunité pour atteindre des démarches opérationnelles optimisées. Je pense que la digitalisation est en mesure de permettre une meilleure gestion des projets de construction en contribuant à l’optimisation des ressources et l’amélioration des processus. Il s’agit d’aborder ces défis en proposant des solutions innovantes, durables et adaptées aux enjeux actuels - les projets doivent allier créativité, qualité et responsabilité environnementale -, en adoptant une approche interdisciplinaire intégrant diverses expertises ce qui permet de répondre efficacement à la complexité croissante des projets, et enfin en garantissant une coordination étroite entre tous les intervenants d’un projet avec des outils innovants.

En soi, il nous faut adopter des politiques intégrées pour trouver ensemble, les acteurs publics et privés avec nos concitoyen*nes, des solutions durables et résilientes, innovantes et accessibles, justes et équitables.

Comment le Ministère anticipe-t-il les besoins en infrastructures pour accompagner le développement du pays dans les prochaines années ? Quels sont ses axes d’action prioritaires et quels sont les grands chantiers publics prévus pour les années à venir ? Pouvez-vous citer quelques projets emblématiques ?

Pour ce qui est du besoin en infrastructures et des offres de transport, les besoins sont anticipés dans le cadre du plan national de mobilité (PNM). Celui-ci se base sur les projections de croissance du STATEC, ainsi que sur la répartition anticipée de cette croissance en termes de logements et d’emplois sur le territoire. Il y a lieu de relever que le Ministère travaille actuellement sur une nouvelle mouture du plan qui fixera les nouvelles priorités politiques à l’horizon 2040.

Parmi les axes d’action prioritaires du Ministère, figurent la modernisation du réseau de transport, l’amélioration de la mobilité durable ainsi que l’assainissement énergétique, la rénovation et la mise en conformité de toutes sortes d’infrastructures publiques. L’assainissement énergétique, la mise aux normes et l’optimisation des bâtiments publics existants ainsi que la construction d’immeubles neufs, selon les besoins des divers départements ministériels, sont des priorités nationales pour tenir compte de la croissance de la population et des besoins qui en résultent.

Parmi les projets emblématiques du PNM, il y a lieu de relever la mise en service de la deuxième ligne ferroviaire entre Bettembourg et Luxembourg, les extensions du tramway au Kirchberg, sur la route d’Arlon et à Hollerich, la mise à 2x3 voies de l’autoroute A3 ainsi que la mise à 2x2 voies de la B7 jusqu’au Fridhaff.

Au niveau des infrastructures, des projets de lois de projets d’envergure verront le jour concernant tant des nouvelles constructions, respectivement des extensions, que des rénovations de bâtiments existants pour répondre aux besoins aussi bien scolaires, que sociaux et administratifs sans oublier par ailleurs les projets d’envergure de la défense nationale. Pour n’en citer que quelques-uns : il s’agit notamment du nouveau Sportlycée Luxembourg à Mamer, de l’extension du Lycée Clervaux et de la rénovation de la Villa Louvigny.

Le Ministère s’est-il fixé des objectifs pour faire évoluer les TP vers plus de durabilité, de circularité ou de performance énergétique ?

Le PNEC (Plan national intégré en matière d’énergie et de climat), document stratégique qui définit les objectifs climatiques et énergétiques du Gouvernement pour la période 2021-2030, fixe un cadre opérationnel pour rendre, entre autres, le secteur des travaux publics plus durable, circulaire et performant sur le plan énergétique et environnemental. Cela inclut la rénovation énergétique du patrimoine bâti de l’État, l’intégration de la circularité dans la construction et la mise en œuvre d’installations techniques et de production d’énergie efficientes. Ces efforts visent à réduire l’empreinte environnementale en utilisant prioritairement des équipements fonctionnant à base d’énergies renouvelables comme des panneaux photovoltaïques, partie désormais intégrante de tout projet.

Comment le Ministère accompagne-t-il l’innovation ou la transformation durable du BTP luxembourgeois ?

Le Ministère ne cesse de réformer ses travaux. Le traitement de données liées au bâtiment, le cas échéant contenues dans une maquette numérique, d’informations externes (par exemple, météo) ou relatives aux usages des occupants, aux spécificités des équipements (chauffage, ventilation) permettent d’optimiser les systèmes pour assurer le bien-être souhaité, de réduire la consommation des ressources et de préserver ainsi l’environnement, de faciliter la maintenance proactive et de prolonger la durée de vie du bâtiment.

Afin de jouer son rôle pionnier, l’Administration des bâtiments publics a pu se faire récompenser par plusieurs prix, non seulement nationaux mais aussi au niveau européen, pour ses travaux exemplaires comme par exemple la construction de l’École nationale de santé du Luxembourg à Ettelbruck, projet pilote certifié par la norme suisse « Minergie-A-ECO ». De telles certifications imposent des normes très strictes en matière d’efficacité énergétique et de confort des bâtiments. De plus, cette certification exige l’utilisation de matériaux respectueux de l’environnement et interdit l’utilisation de produits nocifs dans la construction.

Des projets pionniers aident à développer le secteur et constituent certainement un nouveau défi non seulement pour les bureaux d’études, architectes et ingénieur*es mais aussi pour les acteurs publics et le Gouvernement afin de mettre en place les législations adaptées.

Comment le Ministère encourage-t-il la participation des PME aux appels d’offres publics ?

La révision de la législation européenne sur les marchés publics et des concessions datant de 2014 portera, tel qu’annoncé par la Commission européenne, sur la simplification des règles et des procédures applicables ainsi que sur la promotion des marchés publics stratégiques, incluant les considérations vertes, sociales et de durabilité.

Le Ministère s’engage à faciliter l’accès des PME aux marchés publics, notamment en simplifiant et en digitalisant les procédures administratives ainsi qu’en diversifiant les opportunités de collaboration.

En diversifiant les missions, nous créons un environnement propice à la participation des entreprises locales, en leur offrant des opportunités concrètes et variées dans le secteur public. Ces opportunités couvrent une large gamme d’interventions, allant de petits travaux de rénovation jusqu’à des projets de grande envergure. Cette diversité en termes de taille et de complexité permet à des entreprises de toutes dimensions de s’impliquer selon leurs propres capacités et expertises.

Je tiens à souligner que le secteur des travaux publics n’est pas que réglementé au niveau national mais également par des directives européennes, respectivement des institutions comme l’OCDE qui nous soumettent des recommandations. Il ne s’agit pas d’une « one man / woman - matière », mais d’un travail d’équipe au niveau national qui s’inscrit dans un contexte européen et international plus large.

Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025

Construire plus simplement et plus rapidement
Construire plus simplement et plus rapidement

Le CRTI-B élabore des procédures standardisées, adoptées dans le consensus, au service de l’intérêt commun. Ses missions s’adaptent aujourd’hui aux mutations profondes qui touchent le secteur.

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Interview de Gilles Christnach, directeur du CRTI-B.

Quelle est la vocation du CRTI-B ? Pourquoi a-t-il été créé ? Et quelles sont ses missions aujourd’hui ?

Le CRTI-B a été créée il y a 35 ans au sein du Centre de Recherche Public Henri Tudor. Son statut a évolué et il est devenu GIE, un groupement d’intérêt économique, il y a 10 ans, le 1er avril 2015 exactement.

Sa mission de départ était très claire, et elle est toujours la même aujourd’hui : rassembler les trois acteurs majeurs de la construction - à savoir les maîtres d’ouvrage, les concepteurs et les entreprises exécutantes - pour parvenir à un consensus qui vise à standardiser, simplifier et accélérer les procédures, assurer la qualité de la construction, augmenter la productivité, la compétitivité et la performance du secteur et améliorer la communication entre les différents acteurs. Ceux-ci sont respectivement représentés et financés par le ministère des Travaux publics via les Administrations des ponts et chaussées et des bâtiments publics pour les maîtres d’ouvrage, l’OAI pour les concepteurs, et la Chambre des Métiers, la Fédération des Artisans et le groupement des entrepreneurs pour les entreprises exécutantes. La notion de consensus est primordiale : aucune décision n’est prise sans avoir été validée par les trois parties.

Qu’est-ce que ce consensus apporte ?

L’idée, c’est que les documents que le CRTI-B publie et les procédures qu’il met en place répondent aux besoins de toutes les parties, et pas seulement à ceux de l’une au détriment des autres. Trouver un consensus peut prendre beaucoup de temps – parfois même des années – mais une fois qu’on est tous d’accord, personne ne remet en cause ce qui a été adopté, puisque cela a été fait dans l’intérêt commun.

Ce leitmotiv est plus que jamais d’actualité…

Tout ce qui a été mis en place jusqu’ici a déjà permis de clarifier beaucoup de choses et de faire avancer les projets. Mais avec les bouleversements qu’on vit aujourd’hui – pénurie de logements, tension sur les ressources, hausse des prix des matériaux – il reste encore énormément à faire. Dans ce contexte, harmoniser les procédures est encore plus essentiel : cela évite aux différents acteurs d’un projet de perdre du temps, de l’énergie et de l’argent à discuter - que ce soit en phase de soumission ou sur un chantier - d’une solution qui a déjà fait ses preuves ailleurs.

Est-ce que ça implique une évolution des missions du CRTI-B ?

Construire est un besoin qui existe depuis la nuit des temps, et la finalité reste la même : offrir à chacun un toit pour vivre ensemble, en sécurité et en bonne santé. Mais la manière de construire, elle, évolue, et les contraintes changent. On voit arriver de nouveaux matériaux, de nouvelles méthodes de construction… Il est évident que nos procédures doivent suivre et que l’on doit s’adapter à ces évolutions.

De quelles nouvelles contraintes parle-t-on, par exemple ?

Comme mentionné, nous tous, maîtres d’ouvrage, concepteurs et constructeurs, prenons conscience que les ressources ne sont pas infinies et qu’on doit réutiliser les matériaux. La construction doit devenir plus flexible, anticipative, pour pouvoir adapter les bâtiments aux besoins, et rester ouverte aux nouvelles méthodes, aux fonctionnalités, aux concepts structurels ou techniques innovants. La standardisation permet de garantir la qualité, mais elle ne doit pas freiner la créativité, l’innovation. Et c’est peut-être là le plus grand virage que doit prendre le CRTI-B avec ses partenaires : intégrer très rapidement ces nouvelles approches dans les procédures ou dans les documents pour les rendre accessibles au plus grand nombre, qu’elles soient dupliquées, et pérenniser ainsi l’innovation.

Pour ça, il faut être à l’écoute des nouvelles opportunités et les mettre à disposition d’un maximum d’acteurs du secteur, mais de manière structurée et coordonnée, pour assurer la fiabilité de ce qu’on met en œuvre. Notre mission, au fond, reste la même qu’il y a 35 ans, mais elle doit s’adapter à un marché en pleine mutation. Cette évolution, on l’a amorcée il y a déjà quelques années, quand le CRTI-B a pris le statut de GIE pour être plus réactif. Les crises récentes ont accéléré le mouvement dans le secteur… et le CRTI-B est prêt à accélérer aussi.

Comment le CRTI-B encourage-t-il l’innovation justement ?

La chaîne de valeur de l’innovation est claire. Des acteurs comme le LIST, Neobuild et Luxinnovation accompagnent les projets innovants, pilotes ou de recherche. Quand la viabilité est validée par rapport aux spécificités du marché luxembourgeois, on peut enclencher le processus de standardisation. L’idée est de mettre à disposition des acteurs de la construction des recommandations qu’ils pourront intégrer directement : des détails-types, avec une description technique permettant son application dans un projet spécifique. Et ces recommandations, rappelons-le, sont validées par tous les membres du CRTI-B. Elles ne sont pas obligatoires – pour ne pas brider la créativité et figer l’innovation – mais elles constituent un socle, une base standardisée et adaptable. Cela permet d’accélérer l’accès à de nouveaux produits et de nouvelles méthodes, tout en évitant de tout réinventer à chaque fois, et avec la garantie que le projet sera validé.

Quelle est la place de la digitalisation dans cette évolution ?

La numérisation est souvent associée au fameux mot-clé « BIM ». C’est vrai que c’est un outil intéressant et puissant : il permet de construire plus vite, avec moins de mauvaises surprises sur le chantier. Mais ce n’est qu’une partie de la digitalisation.

La réalité, c’est que la plupart des entreprises du secteur sont de petites structures, parfois avec moins de cinq salariés, qui font un travail de qualité remarquable… mais qui sont souvent peu digitalisées. Leur parler de maquette numérique ou de cas d’usage BIM génère plus de frustration que d’adhésion.

Pour embarquer tout le monde, il faut y aller étape par étape. C’est pour ça qu’on met en place une stratégie par échelons, avec une transition progressive. La première étape, c’est une plateforme simple, avec les fonctionnalités essentielles, où tous les documents importants d’un projet de construction sont accessibles à tous : non seulement les documents du projet, mais aussi les normes, les règlements, les avis… tout ce qui fait partie intégrante d’un chantier, depuis la conception jusqu’au démontage, en passant par l’autorisation, la construction et l’exploitation. L’idée, c’est que chacun ait, à tout moment, accès à la bonne information. L’intelligence artificielle pourra certainement nous aider à échanger plus vite et à trouver les informations demandées.

Une fois qu’on aura ce langage commun, on pourra passer à la vitesse supérieure : d’abord le partage de documents et de commentaires dans les plans 2D, puis dans la maquette 3D, et enfin, seulement à ce moment-là, parler de cas d’usage BIM. Cette approche « douce » de la digitalisation, qui va s’étaler sur plusieurs années, vise à soutenir tous les acteurs dans cette transition.

En parallèle, on ne veut pas freiner ceux qui sont déjà plus avancés. Les équipes du CRTI-B continuent donc à développer des outils comme l’automatisation du contrôle de conformité des permis de construire, la création automatique du passeport matériaux à partir d’une maquette numérique, ou encore les calculs assistés de bilan carbone pour accélérer l’utilisation de matériaux renouvelables.

Comment travaillez-vous avec les autres acteurs, ceux qui ne font pas partie de la « tripartite » du CRTI-B ?

En ce moment, on travaille main dans la main avec Luxinnovation pour cartographier tous les acteurs de la construction. Ils sont très nombreux à se confronter aux mêmes problèmes et à avoir développé des solutions pour y répondre. Le souci, c’est que ces bonnes idées ne sont pas toujours connues, donc elles ne peuvent pas être reproduites. Pourtant, si on les mettait en commun, on gagnerait en temps et en efficacité.

Par exemple, aujourd’hui, un acteur privé et un acteur public développent chacun de leur côté une plateforme de réutilisation des matériaux. C’est une excellente initiative dans les deux cas, mais ils ont sans doute des approches différentes, avec leurs avantages et leurs inconvénients. En combinant ces deux visions dans une ressource commune, on pourrait tirer le meilleur des deux.
Outre la collaboration étroite au niveau de l’innovation avec LIST et Neobuild que nous avons déjà mentionnés, nous collaborons également avec Uni.lu, la House of Training et l’IFSB pour les formations.

L’application des documents CRTI-B est imposée dans les marchés publics par la loi sur les marchés publics. Qu’en est-il du privé ?

Je fais juste une petite parenthèse : les communes sont, en nombre de projets, le plus grand maître d’ouvrage public. Elles sont légalement tenues d’utiliser les documents du CRTI-B, mais elles n’en font pas partie et n’ont donc pas participé à leur rédaction. Il nous paraît naturel d’envisager, à terme, une représentation de ces parties prenantes au sein du CRTI-B - sous une forme à définir ensemble - afin qu’elles puissent pleinement faire entendre leurs besoins et contribuer activement aux réflexions collectives.

Dans le privé, on ne veut rien imposer. On part du principe que si nos documents sont bien conçus, utiles et pratiques, les acteurs privés les adopteront d’eux-mêmes. Notre objectif est de créer des outils qui servent, qui simplifient les procédures, qui les rendent plus rapides, sans discussions inutiles, ni risques de litiges. Nous sommes convaincus qu’imposer, c’est surtout créer de la frustration. Et ça se vérifie : il y a quelques jours, un petit promoteur privé m’a appelé pour me demander s’il pouvait utiliser nos documents, parce qu’il trouvait ça « génial ». On ne peut qu’encourager ce genre d’initiative, car les textes du CRTI-B sont issus d’un consensus trouvé par rapport à des besoins du secteur.

Comment garantir que ceux qui assument les risques en cas de problème soient aussi alignés dès le départ avec les décisions prises par le CRTI-B ?

Très bonne question : Les organismes agréés, bureaux de contrôle et experts d’un côté, et les assurances de l’autre, reviennent toujours sur le devant de la scène, surtout en cas de litige. Ce sont eux qui doivent faire le décompte financier et de responsabilité quand quelque chose a dysfonctionné dans la chaîne de valeur. L’idée est donc de les intégrer directement dans le processus de validation. On s’assure ainsi qu’un détail standard de base - pour une façade en paille, par exemple - a bien été vu et validé à la fois par l’organisme agréé et par l’assurance. Leurs retours, intégrés dès la conception, peuvent clairement améliorer la qualité de ce qu’on met en place. Donc on les accueillera à bras ouverts.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025

Entre aménagements publics et territoires ruraux
Entre aménagements publics et territoires ruraux

Le syndicat intercommunal Distribution d’Eau des Ardennes livre sa vision sur les enjeux liés à la gestion de l’eau dans les projets d’aménagement public au Luxembourg.

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Interview de Sophie Hellinghausen, chargée d’études, et Marc Schroeder, ingénieur et directeur de la DEA.

Pourriez-vous nous présenter la Distribution d’Eau des Ardennes ?

Marc Schroeder : La DEA regroupe 28 communes. Son réseau couvre un tiers de la surface du pays. Il est constitué de plus de 460 km de conduites, 13 stations de pompage, 22 réservoirs régionaux, 6 sources et 3 forages. Il alimente 75 000 personnes vivant entre la commune de Calmus et la localité de Huldange, au Nord du pays.

Quels sont les enjeux liés à la gestion de l’eau potable dans les projets d’aménagement et de travaux publics ?

Sophie Hellinghausen : Nos conduites doivent être posées à travers un terrain complexe, souvent composé de formations rocheuses, avec un important dénivelé à franchir. L’enjeu est de définir le tracé optimal : techniquement réalisable, sécurisé pendant la construction, garantissant une exploitation sûre à long terme et restant dans le budget prévu.

Trouver de nouveaux tracés est de plus en plus difficile. Les conduites autrefois posées dans des champs longeant les routes nationales et communales doivent souvent être déplacées pour faire place à de nouvelles constructions, avec l’extension des plans d’aménagement. Elles interfèrent également régulièrement avec les projets de l’Administration des ponts & chaussées - notamment l’élargissement des routes nationales - auquel cas nous collaborons ensemble pour déterminer si et comment elles peuvent être déplacées.

Pour éviter ce type d’opérations, nous recherchons désormais des tracés en dehors des zones urbaines. Cependant, cela entraîne d’autres contraintes. D’abord, les réglementations en matière d’environnement et de biodiversité nous obligent à éviter certaines zones écologiquement sensibles. Il est toutefois possible de les traverser, mais cela implique des études d’impact préalables longues et coûteuses. De plus, ces traversées sont strictement encadrées, notamment en ce qui concerne les méthodes de travail autorisées et, surtout, les périodes pendant lesquelles les travaux peuvent être réalisés. Et puis, il y a la nécessité d’obtenir des accords fonciers lorsqu’un tracé passe sur des terrains privés. Il s’agit d’une étape administrative souvent longue et fastidieuse, qui exige beaucoup de diplomatie.

Qu’est-ce qui vous permettrait de contourner ces problèmes ?

MS : Une solution serait d’établir des corridors réservés aux infrastructures d’intérêt public, comme les réseaux d’eau potable.

Par ailleurs, nous souhaitons une mise en œuvre rapide de la simplification administrative, dont on parle si souvent au niveau politique.

Comment la DEA s’intègre-t-elle dans les projets d’aménagement du territoire et d’infrastructures ?

MS : Nous collaborons étroitement avec les communes membres, tant au niveau politique que technique. Nous sommes toujours à leur écoute pour émettre des avis techniques sur la distribution d’eau potable dans leurs réseaux locaux.

Au niveau national, nous échangeons régulièrement avec les ponts & chaussées et, au niveau régional, avec d’autres syndicats intercommunaux comme le SIDEN ou le SIDERO, ainsi qu’avec de nombreux acteurs comme POST ou Creos pour trouver des synergies et réaliser des projets communs. Par exemple, nous avons récemment signé des conventions pour échanger des câbles pour la mise en place de réseaux fibres optiques.

Quels sont les projets en cours ?

SH : Nous sommes en train d’assainir nos sources d’eau. En juin 2025, a été remise en service notre source la plus importante en termes de débit (1 000 m3/jour, en moyenne) - le Kaschbur, à Ehner - qui a été captée en 1926. À ce stade, 3 de nos 6 sources ont été assainies. La phase d’exécution pour la prochaine – la source Béik, à Calmes - est prévue pour 2026.

Nous mettons actuellement en place une stratégie de sécurisation de notre réseau de distribution en implantant de plus grandes réserves d’eau moyennant l’extension de nos réservoirs et l’interconnexion de ces réserves. Dans ce contexte, nous avons inauguré, en juin 2025, un nouveau réservoir d’eau potable de 2 000 m3 à Huldange, le triple des capacités de l’ancien réservoir régional en place depuis 1959. Le site choisi, Buergplaz, est stratégique : situé au point culminant du pays à 559 mètres d’altitude, il est alimenté par deux adductions distinctes - l’une depuis Marnach, l’autre depuis Troisvierges - ce qui permet d’assurer une alimentation de secours en cas de perturbation sur l’un des tronçons.

Les travaux de terrassement pour un autre réservoir de 600 m3 au lieu-dit Bëlzknapp, à Clervaux, viennent de commencer et sa mise en service est prévue pour mi-2027.

D´autres réservoirs régionaux à Marnach, Useldange, Roullingen et Eschdorf sont en phase d’étude. Ce dernier sera le plus grand réservoir d’eau potable en acier inoxydable au Luxembourg avec 3 cuves de 3 000 m3, détrônant celui de Derenbach - lui aussi construit et exploité par la DEA - qui regroupe 2 cuves de 2 000 m3.

Nous visons aussi la construction d’environ 8 km de conduites d’eau chaque année, soit pour remplacer les conduites existantes trop petites ou abimées, soit pour élargir notre réseau. La pose des conduites d’adduction et de distribution du nouveau réservoir au lieu-dit Bëlzknapp entrera bientôt en phase d’exécution.

Un autre projet en phase d’exécution est la pose, entre Wincrange et Troisvierges, de nouvelles conduites d’un diamètre plus important et avec un revêtement supplémentaire en mortier de ciment les rendant plus robustes et durables. Les 8 premiers km seront mis en service fin 2025. Ce tronçon est en lien direct avec le nouveau réservoir d’Huldange et avec notre stratégie de résilience permettant de garantir, en cas de perturbation sur l’un des tronçons, une alimentation temporaire via le second.

Comment intégrez-vous les notions de durabilité et de résilience dans votre approche ?

MS : Notre objectif est d’optimiser et de moderniser la distribution en eau potable.

Ainsi, nous remplaçons de manière ciblée les réseaux vétustes ou de diamètre insuffisant exclusivement par des conduites en fonte ductile avec un revêtement supplémentaire en mortier de ciment (ZMU-Beschichtung) les rendant plus robustes et durables – portant leur durée de vie à une centaine d’années, contre 50 à 80 ans pour les anciens tuyaux.

Nous sommes très attentifs à la détection des fuites. C’est pourquoi nous surveillons les consommations quotidiennes et proposons gratuitement aux communes membres notre service de localisation des fuites sur site. Une IA est actuellement en phase de test pour nous aider à détecter les irrégularités dans la consommation.

La construction de nouveaux réservoirs permet d’augmenter considérablement nos capacités de stockage. Les nouvelles cuves ne sont plus en béton armé, mais en acier inoxydable, un matériau plus résistant à la corrosion même en milieu humide, qui garantit une meilleure hygiène, un entretien réduit, un montage plus rapide et une réduction des pertes.

Depuis plusieurs années, nous mettons en place un système de supervision intelligente en temps réel, qui permet d’optimiser la gestion de la distribution en fonction des données collectées en continu. Nos réservoirs et ceux des communes membres sont en train d’être interconnectés pour optimiser leurs niveaux de remplissage selon les besoins réels de sorte à gérer la ressource eau le plus efficacement possible.

Pour atteindre cet objectif, il faut des réseaux de télécommunication performants et redondants. Nous déployons donc notre propre réseau de fibre optique afin de créer une redondance, voire de fonctionner de manière indépendante des prestataires externes.

Les technologies actuelles de surveillance et le fonctionnement des pompes nous rendent très dépendants de l’électricité. C’est pourquoi nous avons introduit des procédures pour garantir l’approvisionnement en eau potable en cas de crise : plusieurs groupes électrogènes de secours ont été acquis et nos bâtiments seront progressivement équipés de panneaux photovoltaïques et de batteries.


Données

  • 28 communes
  • 1/3 de la surface du pays
  • 460 km de conduites
  • 13 stations de pompage
  • 22 réservoirs régionaux
  • 6 sources
  • 3 forages
  • 75 000 personnes alimentées en eau potable

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025

L'harmonie entre fonction, performances et intégration dans l'environnement
L’harmonie entre fonction, performances et intégration dans l’environnement

La division Travaux publics de LSC360 accompagne les maîtres d’ouvrage dans la conception, la réalisation et le suivi de projets d’ouvrages et d’infrastructures de toute envergure.

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Interview de Frédéric Saunier, directeur de la division Travaux publics chez LSC360.

Pour commencer, pourriez-vous nous présenter la division Travaux publics de LSC360 ?

Elle compte une trentaine de collaborateurs, répartis en quatre services : trois sont dédiés aux études et projets, et un à la direction des travaux.

Parmi les services dédiés aux études, le service Grandes voiries travaille sur les infrastructures routières : routes urbaines, autoroutes, échangeurs autoroutiers, plateformes routières et ferroviaires, tramway…

Le service Ouvrages d’art intervient sur les ponts routiers, ferroviaires, passerelles piétonnes, passages à faune ou à gibier, ainsi que sur des ouvrages de génie civil comme les châteaux d’eau, fosses de captage ou parois de soutènement. Il est également actif sur des ouvrages fluviaux (quais d’accostage) et maritimes, notamment dans le cadre de projets à l’international, notamment à Dakar. Ce service réalise également de nombreuses inspections sur des ouvrages existants. Il s’agit de diagnostics permettant d’évaluer leur état de conservation et de déterminer si des travaux de réhabilitation ou de renforcement sont nécessaires.

Le service Trafic et mobilité développe des concepts de mobilité pour tous les modes de transport - piétons, cyclistes, transports en commun - et à toutes les échelles - communale, régionale ou nationale. Il élabore aussi des plans de transport scolaire, de stationnement, d’apaisement du trafic, ainsi que des règlements de circulation. Le service intervient en appui aux projets d’urbanisme, réalise des audits de sécurité routière, des analyses de trafic et contribue à l’optimisation des réseaux de transport public.

Le service Direction des travaux prend le relais une fois les études finalisées et les chantiers lancés. Il veille au bon déroulement des travaux, assure leur suivi et leur contrôle pour le compte du maître d’ouvrage, et joue le rôle d’interface entre ce dernier, le bureau d’études et les différentes administrations.

Nos principaux clients sont des maîtres d’ouvrage publics, comme l’Administration des ponts et chaussées, Luxtram ou encore les communes. Il nous arrive également de travailler avec des entreprises de construction, surtout à l’international. Nous gérons les projets de A à Z, de l’esquisse au plan d’exécution.

Enfin, nous collaborons étroitement avec les autres divisions de LSC360, notamment la division Environment & Sustainability pour les bilans carbone, la division Geodata pour le suivi des chantiers via la technologie Instant As-Built - des relevés de données par drone réinjectés directement dans les plans -, ainsi que la division Spatial Planning dans le cadre de projets d’urbanisme intégrant la mobilité, tels que les PAG, PAP ou concours d’aménagement.

Quels sont les grands enjeux actuels auxquels vous êtes confronté dans vos domaines de travail ?

La modernisation et l’entretien du parc d’infrastructures publiques existantes en est un. Au Grand-Duché, on compte aujourd’hui environ 1 300 ouvrages d’art routiers (ponts et tunnels). La majorité de ces structures, construites il y a une cinquantaine d’années, nécessitent aujourd’hui d’importants travaux de réhabilitation pour répondre aux normes actuelles et remédier aux pathologies liées aux vieillissement des matériaux. Le béton armé, très utilisé dans les années 1960 pour sa facilité de mise-en-œuvre et sa résistance, subit au fil du temps et en fonction de son environnement des attaques - mécaniques, chimiques, physiques - qui nécessitent leur prise en compte dès la phase de conception.

Un autre enjeu majeur est celui de la mobilité durable, et plus particulièrement de l’intégration des différents modes de transport afin de réduire la dépendance à la voiture individuelle en milieu urbain. Au Luxembourg, le réseau de pistes cyclables est particulièrement dense, et nous œuvrons activement à son extension et à sa connexion avec des zones encore peu desservies. Cela implique régulièrement des adaptations, telles que l’élargissement de voiries ou la modification d’ouvrages existants, afin de garantir une cohabitation fluide et sécurisée entre les usagers.

L’intégration du BIM constitue un axe essentiel dans nos projets. Dès les phases initiales, nous recourons à la modélisation 3D pour l’élaboration des plans, l’intégration des éléments de l’environnement existant, ainsi que le suivi de l’évolution des ouvrages tout au long de la phase construction. L’objectif est de fournir, à l’issue du chantier, un modèle numérique conforme à l’ouvrage réalisé, que le maître d’ouvrage pourra exploiter pour la maintenance et la gestion de ses infrastructures. L’adoption de ces outils numériques s’accompagne naturellement d’un soutien aux équipes à travers des formations ciblées visant à garantir une maîtrise efficace des nouveaux outils et méthodes.

Au niveau des matériaux, que mettez-vous en place pour rendre les projets plus durables aujourd’hui ?

Nos projets sont pensés dès les premières phases pour optimiser les quantités de matériaux et favoriser leur réutilisation. Dans les travaux routiers, par exemple, tous les déblais sont systématiquement analysés afin d’être, dans la mesure du possible, réemployés sur site ou valorisés dans d’autres chantiers. Cette approche permet de réduire à la fois l’empreinte carbone des projets et les volumes de déchets, tout en maîtrisant les coûts.

Dans nos ouvrages d’art, nous privilégions autant que possible l’utilisation de matériaux à faible impact environnemental. Nous avons notamment recours à de l’acier produit dans des fours électriques alimentés par de l’énergie verte, à des bétons bas carbone, à de l’acier auto-patinable, ainsi qu’à des matériaux composites qui combinent intelligemment les performances de l’acier et du béton. Ces choix nous permettent non seulement de réduire la consommation de matière, mais aussi de concevoir des ouvrages aux portées plus importantes, tout en garantissant robustesse, durabilité et sobriété carbone.

Qu’en est-il de l’utilisation du bois dans les ouvrages d’art ?

À ce jour, nous disposons encore de peu de retour d’expérience sur l’usage du bois dans les ouvrages d’infrastructure, et sa durabilité à long terme continue de susciter des interrogations. Dans les pays nordiques ou en Suisse, le bois - seul ou associé à d’autres matériaux comme le béton ou l’acier - est largement utilisé, notamment pour des ponts ou des structures mixtes bois-béton et bois-acier. Au Luxembourg, en revanche, son emploi reste limité, essentiellement réservé à des ouvrages légers, tels que les passerelles.

Calculez-vous le bilan carbone de vos projets ? Et quel poids ces bilans ont-ils dans la prise de décision des maîtres d’ouvrage ?

Nous appliquons cette démarche de manière systématique, en étroite collaboration avec notre division Environment & Sustainability, qui élabore également les EPD (Environmental Product Declarations) détaillant les informations quantifiées et vérifiées sur les impacts environnementaux d’un produit tout au long de son cycle de vie.

Lors de la présentation de l’avant-projet au maître d’ouvrage, nous lui remettons ainsi un tableau multicritères exposant les avantages et les inconvénients de chaque solution envisagée. La décision finale revient ensuite au maître d’ouvrage.

Comment combinez-vous esthétique, innovation et durabilité dans vos projets ?

Sur les projets d’infrastructures, la présence d’un architecte est rarement requise. Ainsi, sauf cas particulier, c’est notre équipe qui prend en charge le design des ouvrages. Nous veillons à assurer une harmonie entre la forme, la fonction et l’environnement, afin de concevoir des structures à la fois esthétiques, fonctionnelles et parfaitement intégrées à leur contexte. Par ailleurs, comme mentionné précédemment, nous intégrons systématiquement des matériaux innovants à faible impact environnemental dans nos conceptions, en cohérence avec notre engagement pour des infrastructures durables.

Les techniques constructives avancées, telles que la préfabrication en usine, représentent un levier important pour l’optimisation des structures. Par ailleurs, nous concevons de plus en plus de ponts intégraux - des ouvrages sans appareils d’appui ni joints de chaussée - ce qui permet au maître d’ouvrage de réduire considérablement les besoins d’entretien, ces éléments étant généralement sujets à une dégradation rapide. En plus de ces avantages en matière de maintenance, le pont intégral constitue un système statique cohérent, permettant une meilleure optimisation des matériaux.

Quels projets, réalisés dernièrement, citeriez-vous pour illustrer votre travail ?

Le projet du tram a mobilisé nos équipes de manière significative ces dernières années, et continue de le faire aujourd’hui. Nous avons accompagné Luxtram tant dans les phases de conception que d’exécution sur les premiers tronçons actuellement en service, et nous sommes fiers d’avoir contribué à ce projet emblématique, largement salué à l’échelle nationale.

Parallèlement, nous intervenons sur plusieurs aménagements autoroutiers pour le compte de l’Administration des ponts et chaussées, avec pour objectif d’améliorer la mobilité nationale - un véritable défi dans le contexte actuel.

Nous avons également conçu la liaison transfrontalière Esch-Micheville, reliant le Luxembourg à la France dans le sud du pays. Ce projet, traversant l’ancien site d’ArcelorMittal, s’inscrit dans le cadre plus large de la reconversion de cette friche industrielle stratégique.

Nous avons également réalisé les études pour le nouveau château d’eau situé au Kirchberg, dont la structure s’intègre parfaitement à son environnement.

Par ailleurs, plusieurs de nos projets d’infrastructure à l’international - notamment en France et en Afrique - témoignent de la capacité de nos équipes à adapter leur savoir-faire à des contextes géographiques, techniques et culturels variés.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025

Photo chateau d’eau Kircherg - © FAgency
Photo OA666 - © Quentin Cayet

Travaux publics au Luxembourg : SECO au cœur de la transformation
Travaux publics au Luxembourg : SECO au cœur de la transformation

Automatisation, digitalisation, circularité, aménagements durables façonnent aujourd’hui les chantiers. Dans ce contexte, SECO Luxembourg, organisme de contrôle technique indépendant, joue un rôle d’accompagnateur, de facilitateur et de garant de qualité et de sécurité.

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Une mutation technologique incontournable

L’intégration de technologies avancées bouleverse les pratiques du BTP : engins autonomes, guidage GPS, modélisation 3D, plateformes collaboratives. Ces outils permettent une planification plus fine, une meilleure coordination entre intervenants et une exécution plus rapide, plus propre et plus sûre.

Les machines connectées - souvent proposées par les loueurs d’équipements - offrent des performances inégalées : réduction de la consommation de carburant, meilleure gestion de l’usure des pièces, suivi en temps réel des interventions. Ce bond technologique exige, toutefois, un nouveau cadre d’évaluation et de contrôle. C’est là que SECO intervient.

« Notre rôle évolue avec le secteur : il ne s’agit plus seulement de vérifier une structure à la fin du chantier, mais d’accompagner les acteurs dès la conception, en intégrant la technologie, la réglementation, la sécurité et la durabilité », explique un ingénieur de SECO Luxembourg.

Sécurité et conformité à l’ère de la digitalisation

Avec la digitalisation massive des chantiers, la gestion des risques se complexifie. Plans BIM, jumeaux numériques, outils de traçabilité : autant de données qu’il faut interpréter, structurer, fiabiliser. SECO Luxembourg agit comme tiers de confiance technique entre le maître d’ouvrage, les entreprises et les autorités.

Ses équipes interviennent en amont des projets (vérification de conformité aux normes, audit technique, conseil en conception) et en phase chantier (contrôle de l’exécution, sécurité des ouvrages, conformité réglementaire). Grâce à sa vision transversale, SECO joue un rôle d’orchestrateur technique dans des projets de plus en plus complexes.

Circularité : un impératif structurant

Les chantiers publics luxembourgeois intègrent désormais une logique de circularité : réutilisation des matériaux, valorisation des déchets, réduction des émissions de CO₂. Ces exigences sont renforcées par les politiques publiques nationales et européennes. Mais sur le terrain, leur application nécessite des expertises pointues.

Chez SECO Luxembourg, les ingénieurs participent à l’intégration de ces critères dès les appels d’offres, en définissant des indicateurs de performance durables, en évaluant la traçabilité des matériaux recyclés, ou encore en validant les procédés alternatifs de construction.
« L’innovation ne peut être réellement durable que si elle est maîtrisée techniquement. SECO garantit cette maîtrise », souligne un responsable technique chez SECO.

Aménagements extérieurs : vers des espaces multifonctionnels

Les projets d’aménagement extérieur, souvent moins médiatisés que les grands travaux d’infrastructure, prennent pourtant une importance croissante. Ils doivent combiner esthétique, biodiversité, gestion des eaux, accessibilité et confort d’usage.

Dans ces projets multidisciplinaires, SECO intervient pour sécuriser les solutions techniques, valider les choix de matériaux, et garantir la durabilité des installations. Un revêtement perméable, un bassin de rétention enterré ou une structure végétalisée ne s’improvisent pas : ils doivent répondre à des critères de performance précis. SECO assure que ces choix soient techniquement fiables et conformes aux exigences des collectivités.

Former, anticiper, accompagner

Le succès de la transformation numérique et écologique des travaux publics passe aussi par les compétences. SECO investit dans la formation continue de ses collaborateurs et accompagne les maîtres d’ouvrage dans la montée en compétence sur les nouveaux outils (BIM, jumeaux numériques, GSP, etc.).

Par ailleurs, SECO participe à des groupes de travail techniques et à l’élaboration de référentiels, contribuant activement à l’évolution des pratiques du secteur luxembourgeois.

Une vision d’avenir

Les enjeux ne manquent pas : raréfaction du foncier, besoin d’infrastructures résilientes, exigence de neutralité carbone, transition énergétique, pression sur les délais. Dans ce contexte, les travaux publics sont appelés à devenir plus agiles, plus intelligents et plus responsables.

SECO Luxembourg entend rester un acteur central de cette transformation, en garantissant que l’innovation reste synonyme de sécurité, de conformité et de durabilité. C’est en conjuguant expertise technique, neutralité et engagement pour l’intérêt général que SECO contribue, chaque jour, à bâtir un Luxembourg plus résilient.

En conclusion, si le secteur des travaux publics connaît aujourd’hui une révolution technologique et écologique, celle-ci ne peut réussir qu’avec des garde-fous solides. Grâce à sa vision indépendante, sa maîtrise technique et sa capacité à anticiper les mutations, SECO Luxembourg s’impose comme un acteur clé de cette transition, garant d’un futur bâti sur des fondations solides, au propre comme au figuré.

Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025

Critères ESG dans les appels d'offres, vers une commande publique exemplaire
Critères ESG dans les appels d’offres, vers une commande publique exemplaire

La commande publique, en intégrant progressivement des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance dans les appels d’offres, constitue un moteur pour la transition du secteur de la construction vers des pratiques plus durables et neutres en carbone.

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Depuis quelques années, le Luxembourg adapte son cadre juridique et stratégique pour permettre aux pouvoirs adjudicateurs d’aller au-delà des critères purement économiques. La loi du 25 juin 2009 relative aux marchés publics, abrogée par la loi du 8 avril 2018, visait à renforcer la prise en compte d’obligations en matière de droit du travail et de l’environnement, en incluant des clauses sociales horizontales et la possibilité d’exclure les opérateurs économiques ne respectant pas ces exigences. Cette dynamique s’inscrit dans le sillage de la directive européenne 2014/24/UE, de la stratégie nationale pour une économie circulaire de 2021, de la stratégie Null Offall Lëtzebuerg, de la loi sur les déchets de 2022 ou encore du plan national intégré en matière d’énergie et de climat (PNEC) mis à jour en 2024, qui encouragent tous la considération de notions comme le cycle de vie des matériaux, l’efficacité énergétique ou l’impact carbone dans l’évaluation des offres.

Plusieurs outils ont également été déployés pour accompagner cette mutation. Parmi ceux-ci, le portail des marchés publics (marches.publics.lu) qui centralise les appels d’offres permettant d’identifier les procédures intégrant des critères durables, le Pacte Climat 2.0 qui, en encourageant les communes signataires à mettre en œuvre des projets de construction et de rénovation énergétiquement performants, bas carbone, circulaires et adaptés aux enjeux climatiques, leur donne les moyens de traduire concrètement les ambitions ESG ou encore la plateforme B-Circular, portée par la Klima-Agence, qui vise à faciliter les approvisionnements durables et circulaires.

En intégrant des critères ESG, la commande publique encourage les entreprises à adapter leurs pratiques, à innover et à accélérer leur transition, à travers des projets exemplaires comme le lycée Michel Lucius, projet pilote de réemploi et de reconstruction, la nouvelle salle polyvalente de Dudelange, modulaire, démontable et remontable, qui démontre les avantages de la construction modulaire en bois et de la planification numérique en BIM, ou encore la déconstruction du bâtiment Jean Monnet au Kirchberg qui, en cherchant à déconstruire plutôt qu’à démolir, a permis de valoriser des tonnes d’aluminium, de bois et de verre et de générer une double valeur économique et environnementale.

Pour les entreprises, l’intégration des critères ESG dans les appels d’offres implique de s’adapter à des procédures d’évaluation de plus en plus exigeantes et de prouver leurs performances environnementales et sociales notamment en se dotant de labels et certifications. Cela représente certes un coût en temps et en argent, mais devient désormais un paramètre incontournable de compétitivité auquel aucune entreprise ne peut se soustraire.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025

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