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Digitalisation et durabilité : les deux piliers de la construction de demain

Digitalisation et durabilité : les deux piliers de la construction de demain

Derrière chaque bâtiment, se cache une somme de données. En permettant de structurer et d’exploiter ces données correctement, le BIM, le jumeaux numériques et l’intelligence artificielle ouvrent la voie à une approche plus efficiente, plus durable et plus collaborative de la construction.

Au Luxembourg, acteurs publics, chercheurs et professionnels s’unissent pour faire de cette mutation une opportunité collective, au service de villes plus résilientes et d’un cadre de vie mieux maîtrisé.

Paul Schosseler

Président de Neobuild, co-président du CNCD et directeur construction durable au ministère de l’Économie

« Chez Neobuild, nous nous intéressons activement aux bâtiments intelligents, en tant qu’éléments-clés de la transition énergétique. Grâce à des systèmes intégrés qui combinent panneaux photovoltaïques, pompes à chaleur, batteries et mobilité électrique, gérés par des Building Operation Systems (BOS), la gestion des flux d’énergie - et donc l’efficacité énergétique - y sont optimisées. Nous travaillons également sur une meilleure intégration de la géothermie dans ces systèmes.

Pour pouvoir activer des économies d’échelle, le bâtiment doit être connecté à son environnement, au sein de villes intelligentes. C’est pourquoi Neobuild fait partie de la Smart Building Alliance for Smart Cities (SBA Luxembourg) qui déploie des projets pilotes, comme la mise en place de réseaux en courant continu pour limiter les pertes énergétiques.

Avec la refonte de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB), une vue plus holistique de l’impact du bâtiment sur l’environnement et l’humain s’impose. Le calcul de l’empreinte carbone sur l’ensemble du cycle de vie d’un nouveau bâtiment considère non seulement les flux d’énergie pour faire fonctionner le bâtiment, mais aussi les stocks immobilisés sous forme d’énergie grise dans les matériaux. La maquette numérique devient indispensable car elle rassemble les données nécessaires, notamment dans l’inventaire des matériaux, pour évaluer cette énergie grise et donc l’empreinte carbone globale du bâtiment, une thématique sur laquelle le Ministère collabore étroitement avec tous les membres du CNCD, mais aussi avec le LIST.

L’intelligence artificielle ouvre la voie à la collecte automatique de données issues des bordereaux de soumission et d’autres sources pour alimenter ces inventaires, allégeant ainsi la charge des entreprises, en particulier des PME.

Enfin, des projets de Neobuild et du Ministère en lien avec la directive sur la performance énergétique des bâtiments portent aussi sur la qualité de l’environnement intérieur, où la digitalisation est essentielle pour pouvoir opérer un monitoring en temps réel ainsi qu’un contrôle de la qualité de l’air, par exemple à travers une aération adaptée ».


Lucien Hoffmann

Science Director au Luxembourg Institute of Science and Technology (LIST)

« La construction est aujourd’hui au cœur des transitions environnementales et sociétales. Concevoir des environnements bâtis durables, résilients et inclusifs implique donc de repenser nos pratiques, de la conception à l’exploitation des projets.

Dans cette perspective, deux leviers se révèlent essentiels : la digitalisation et la durabilité. Des outils comme le BIM ou le digital twin offrent une vision intégrée et dynamique des bâtiments et des infrastructures, ce qui facilite la planification, optimise la gestion et renforce la collaboration entre acteurs des chaînes de valeur. Combinés à des approches circulaires, de performance énergétique et à l’usage de matériaux à faible empreinte carbone, ils ouvrent la voie à un secteur plus responsable et innovant.

Le Luxembourg, par sa taille et son dynamisme, constitue un terrain privilégié pour expérimenter et mettre en œuvre ces solutions. En renforçant les synergies entre recherche, institutions publiques et secteur privé, il est possible d’accélérer l’innovation pour la transformation vers des villes réellement durables, inclusives et résilientes et de répondre aux grandes transformations de la société ».


Daniel Zignale

Consultant OAI au sujet du BIM

« Avec les nouvelles approches numériques, le BIM et les intelligences artificielles s’imposent aujourd’hui comme des leviers majeurs de transformation. Le secteur de la construction est en constante mutation, et au Luxembourg, l’OAI a toujours accompagné ses membres dans ces évolutions. L’Ordre place désormais la digitalisation au cœur d’une démarche globale tournée vers l’efficience des projets et la durabilité des bâtiments qui composent nos villes.

Le BIM est avant tout un processus collaboratif qui réunit l’ensemble des informations d’un projet, de la conception à l’exploitation, dans un environnement numérique commun. Il alimente la chaîne de décision des différents acteurs, favorisant la création de bâtiments mieux pensés, plus performants et plus respectueux de l’environnement.

Mais l’horizon s’élargit encore avec l’essor de l’intelligence artificielle. En croisant les données issues des projets avec celles du territoire – géologiques, démographiques ou climatiques – les jumeaux numériques de nos villes deviennent une réalité. Ces analyses croisées ouvrent la voie à de nouveaux usages fondés sur la prédiction et l’optimisation qui permettront par exemple d’anticiper les besoins énergétiques, de planifier les chantiers, ou encore d’améliorer la gestion des bâtiments dans leur contexte urbain.

À travers ses propres initiatives et sa participation aux démarches nationales, notamment avec le CRTI-B, l’OAI souhaite donc vivement promouvoir le BIM, l’IA et les technologies innovantes comme des outils destinés à amplifier le savoir-faire des concepteurs et à bâtir des villes plus intelligentes et plus durables ».


Thierry Hirtz

Président du CRTI-B et architecte chef de division de la gestion du patrimoine à l’Administration des bâtiments publics

« Sur de nombreux projets, des divergences entre études et exécution apparaissent toujours, nourries notamment par des informations incomplètes ou mal synchronisées. Les versions se croisent, les décisions se décalent, et les interfaces entre lots deviennent des points de fragilité du processus qui génèrent reprises et réclamations. En fin de chantier, des livrables hétérogènes compliquent l’exploitation et la gestion des bâtiments : un manque de consolidation des données du DAO prolonge les aléas au-delà de la réception. Ces situations entraînent retards, surcoûts et qualité inégale, surtout sur des projets complexes.

La digitalisation, en utilisant les modes de communication adaptés aux nouveaux supports de l’information, permet de rendre les processus plus transparents, de synchroniser les décisions, d’améliorer durablement la performance des projets publics et d’optimiser la gestion du patrimoine bâti. L’Administration des bâtiments publics est pleinement consciente de cette dynamique : soutenir l’adoption du numérique dans le secteur de la construction au Luxembourg est essentiel pour garantir la qualité et la pérennité des constructions tout en augmentant l’efficience des processus indispensable à la compétitivité du pays ».


Tom Wirion

Directeur de la Chambre des Métiers

« Le BIM et l’intelligence artificielle suscitent beaucoup d’espoirs dans le monde de la construction durable. Ils promettent une meilleure planification, moins de gaspillage et des bâtiments plus performants. Mais au-delà de la technologie, le véritable enjeu est ailleurs : il est humain et organisationnel.

Ces outils peuvent transformer la manière de concevoir et de gérer les chantiers, à condition qu’ils soient accessibles à tous, y compris aux PME artisanales. Car c’est bien sur le terrain, au contact des réalités du chantier, que se joue la réussite de la transition numérique et durable du secteur. Pour que le BIM et l’IA tiennent leurs promesses, il faut accompagner les entreprises, simplifier les interfaces, former les équipes et favoriser la coopération entre acteurs.

L’innovation ne doit pas creuser les écarts, mais au contraire renforcer la cohésion du tissu artisanal et de construction. La technologie n’a de sens que si elle soutient les savoir-faire humains. C’est cette alliance entre expertise, pragmatisme et innovation qui fera la force d’une construction vraiment durable — et d’un artisanat capable de relever les défis des villes résilientes de demain ».

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025