
Des tuyaux et des hommes
Concevoir des installations techniques innovantes, adaptables et démontables dans un climat chaud et humide, tout en respectant les principes d’écocircularité, tel était le défi à relever par le bureau d’études Betic pour le pavillon luxembourgeois. Cette mission s’est doublée d’une collaboration d’une rare fluidité avec les partenaires japonais.
Pavillon luxembourgeois de l’Exposition universelle d’Osaka 2025 - Partie 3 : les techniques spéciales
La mission du bureau d’ingénieurs-conseils Betic, part of Sweco, portait sur la conception de l’ensemble des installations techniques du pavillon luxembourgeois : ventilation, chauffage, climatisation, gestion de l’énergie, installations sanitaires, courants forts et faibles… avec une interface clairement définie vers la scénographie, l’alimentation en électricité des éléments d’exposition était indispensable pour l’assurer.
Deux paramètres fondamentaux étaient à prendre en compte dans les réflexions.
D’abord, le projet, porté par l’Administration des bâtiments publics, se voulait être un démonstrateur, exemplaire en termes d’écoconception, avec une exigence de circularité très forte : le pavillon doit pouvoir être démonté et réutilisé, élément par élément, une fois l’exposition terminée.
Par ailleurs, les conditions climatiques locales imposaient quelques contraintes. « Les températures et le taux d’humidité sont très élevés au Japon et, pendant la période d’exploitation d’avril à octobre, les pluies tropicales sont fréquentes. Ces conditions sont en partie gérées par une super membrane recouvrant les différents éléments du pavillon, qui a pour fonction de recueillir les eaux pluviales pour les réutiliser, mais aussi de protéger les visiteurs de la pluie et du soleil. En agissant comme un grand parasol, cette membrane contribue aussi à limiter la surchauffe à l’intérieur des modules, mais il fallait néanmoins développer des solutions complémentaires pour garantir le confort thermique des visiteurs », explique Gilles Christnach, le chef de l’équipe d’ingénieurs en charge de ce projet.
Comment, dès lors, répondre à ces deux défis en parallèle ? En revenant aux fondamentaux, c’est-à-dire à la régulation naturelle de la température corporelle. « Le corps est une machine : quand il travaille, il s’échauffe et il doit se refroidir pour continuer à fonctionner, ce qu’il fait en transpirant, via l’évaporation des microgouttelettes d’eau que forme la sueur sur la peau. Mais pour que ce processus endothermique soit efficace, l’air ambiant doit être suffisamment sec. Ce qui n’est pas le cas à Osaka. Résultat : on peut se sentir moite, avoir une sensation d’inconfort, même si la température n’est pas extrême. Plutôt que de refroidir l’air artificiellement avec des systèmes de climatisation classiques, nous avons cherché à le désaturer en eau, pour permettre au corps de faire son travail », détaille-t-il. Pour y parvenir, les ingénieurs ont développé un système de déshumidification passive, basé sur le principe de la condensation. Derrière les murs noirs qui se trouvent au fond des salles d’exposition, des tubes en inox verticaux ont été installés, dans lesquels circule de l’eau froide. L’eau est fournie par l’organisateur via un réseau urbain. L’humidité ambiante condense en entrant en contact avec ces surfaces froides, l’air s’assèche, et l’atmosphère devient plus respirable. Ce système fonctionne en circuit fermé : l’air est aspiré et renvoyé dans une sorte de « lac » d’air frais et sec au sol qui remonte le long des corps lorsque les visiteurs se déplacent, se réchauffant au passage, avant d’être à nouveau capté, asséché, puis redistribué. L’eau de condensation récupérée s’écoule dans une goulotte dissimulée, pour être ensuite réutilisée dans les sanitaires, avec les eaux de pluie.
Précisons que les tuyaux sont en inox plutôt qu’en cuivre - pourtant plus conducteur - car ce matériau est beaucoup plus utilisé au Japon, donc plus facile à approvisionner et à réutiliser localement, une fois que le pavillon sera démonté. Les tubes mesurent 4,5 m de long, une longueur standardisée et suffisante pour d’autres usages. Ce choix s’inscrit donc pleinement dans l’approche écocirculaire du pavillon.
La collaboration avec les partenaires japonais était très fluide. « Chaque acteur luxembourgeois avait un correspondant local. Dans notre cas, nous avons travaillé avec Noriko Ito, la cheffe d’une petite structure japonaise d’une quinzaine de personnes très ouverte et tournée vers l’innovation. L’entente et la compréhension mutuelles, à la fois techniques et humaines, ont été immédiates. Je savais pourtant, pour avoir déjà travaillé sur le pavillon de Shanghaï avec François Valentiny, combien la communication pouvait être subtile car, dans la culture asiatique, on ne dit pas forcément « non » frontalement. On avance donc souvent à tâtons pour s’assurer que tout le monde est réellement sur la même longueur d’ondes. Mais ici, dès le départ, les échanges ont été constructifs. Noriko n’hésitait pas à questionner, à challenger les choix, dans un esprit constructif. Lorsqu’il a fallu changer le matériau initialement prévu pour les tuyauteries – passer du cuivre à l’inox – elle nous a immédiatement mis en garde : « Le cuivre est très cher ici, et peu d’installateurs ont l’habitude de le manipuler ». Ce genre de retour concret, nous a permis d’ajuster nos décisions.
Nous avons aussi mené ensemble des tests grandeur nature. Un premier mock-up a été réalisé au Luxembourg, pour vérifier la faisabilité de certaines hypothèses. Une fois les détails techniques validés, les ingénieurs japonais ont reproduit la même installation test au Japon. Ensuite, nous avons échangé nos résultats, nos tableaux de valeurs, nos images.
Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est leur manière d’aborder les réunions. À chaque rencontre, un ingénieur japonais traduisait en direct nos propos en croquis : une image prenait forme, retraçant les mots et les idées. Pour moi, cela a été une révélation. J’ai trouvé cette façon de travailler à la fois inspirante et efficace », souligne-t-il.
Autre anecdote, à propos du jeu de quilles installé au sein du pavillon, qui vient du village natal de Gilles Christnach : « J’y ai joué enfant, avec la chorale du village. Le revoir installé au Japon, dans un tout autre contexte, était très émouvant. Mais techniquement, ce jeu a posé un défi : il fonctionne avec une alimentation électrique ancienne, prévue pour du 230 V/50 Hz, alors que le Japon fonctionne en 110 ou 200 V à 60 Hz. Impossible de risquer un court-circuit sur une machine aussi précieuse et irremplaçable. On a donc dû commander un convertisseur spécifique arrivé in extremis, trois semaines avant l’ouverture ».
Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #72 - juillet 2025