
Derrière les chantiers, l’humain
Avec près de 350 collaborateurs, CDCL reste fidèle à ses valeurs sociales et familiales. Face aux défis du secteur (pénurie, vieillissement, manque d’attractivité), la DRH mise sur l’écoute, l’adaptabilité et la fidélisation pour se démarquer. Interview de Julien Bossu, directeur des ressources humaines chez CDCL.
Quels sont aujourd’hui les principaux défis auxquels vous êtes confronté en tant que DRH dans une grande entreprise comme CDCL ?
Le premier défi, c’est clairement celui de la main-d’œuvre. Historiquement, nous pouvions compter sur une population issue de l’immigration portugaise. Aujourd’hui, les enfants ou petits-enfants de ces salariés de production sont nés ici, ont fait leurs études ici… et n’ont plus forcément d’attrait pour les métiers de la construction. Les sources traditionnelles se tarissent, et celles que l’on tente d’explorer - notamment les pays de l’Est - ne sont pas pérennes : le coût de l’immobilier est tellement élevé au Luxembourg qu’il ne permet pas à ces travailleurs de s’y établir. Ils viennent quelques mois, puis repartent.
À cela s’ajoute le fait que nos métiers sont physiquement exigeants et que les conditions de travail restent difficiles : on ne peut pas encore construire un bâtiment au chaud, au propre, et au calme ! Et les jeunes qui commencent un apprentissage dans le secteur ne vont pas toujours jusqu’au bout, parce qu’un apprentissage dans la construction est bien plus dur que dans de nombreuses autres industries.
Et en ce qui concerne les salariés en place ?
Nous avons une pyramide des âges vieillissante, en particulier chez les salariés de production. Beaucoup sont entrés chez nous il y a 30 ou 35 ans, souvent issus de cette première vague migratoire. Ils sont très fidèles et fiers de ce qu’ils font, mais ils ne souhaitent pas forcément que leur descendance exerce ces métiers, même à des postes d’encadrement.
Concernant ces postes d’encadrement, nous avons beaucoup de stagiaires très intéressés par notre entreprise, attirés par nos valeurs, notre histoire luxembourgeoise. Mais après un ou deux ans de formation chez nous, beaucoup rejoignent la fonction publique, qui propose des conditions contre lesquelles nous ne pouvons pas rivaliser.
Comment gérez-vous le vieillissement de vos équipes ?
Certains salariés n’ont plus la condition physique pour suivre le rythme, ils sont techniquement bons, mais sont fatigués. C’est là qu’intervient le rôle social de l’entreprise et des ressources humaines. Nous mettons en place des solutions : temps partiel, aménagement du poste de travail, et quand cela ne suffit plus, plutôt que de les pousser vers la sortie, nous avons créé une cellule d’intervention où une douzaine de personnes effectuent des tâches plus légères comme le nettoyage de bungalows ou la mise en sécurité de chantiers… C’est une solution gagnant-gagnant : l’entreprise conserve leur expertise, et eux gardent un emploi adapté à leur situation. Encore faut-il que le salarié accepte cette transition, notamment vis-à-vis du regard de ses collègues, et ce n’est pas toujours évident, c’est pourquoi nous l’accompagnons. Nous privilégions les solutions internes et, quand ce n’est plus possible, nous faisons du reclassement externe avec l’ADEM.
Comment parvenez-vous malgré tout à trouver de la main-d’œuvre ?
Comme on peut ! En multipliant les solutions. Nous travaillons avec des intérimaires, même si leur niveau a globalement baissé. Certains apprécient cette flexibilité que ne permet pas le CDI. Nous avons aussi recours à la sous-traitance, notamment avec des entreprises étrangères qui envoient leurs équipes pour des missions temporaires.
Quels arguments le secteur de la construction a-t-il pour attirer des candidats ?
Le sentiment de fierté. Travailler dans la construction, c’est participer à la création de quelque chose d’unique et de concret. Chaque chantier est un prototype : on travaille avec de nouveaux architectes, de nouveaux ingénieurs, de nouveaux collègues. On construit un bâtiment emblématique comme Hamilius, Skypark ou encore le siège administratif des CFL et, au final, on peut dire à ses enfants : « Tu vois ce bâtiment ? J’ai participé à sa construction ». Même en travaillant à la comptabilité ou à la qualité, on participe au projet. Ça, c’est encore une vraie force de notre secteur.
Et puis, le secteur de la construction est l’un des rares où l’on peut encore progresser avec de la bonne volonté et l’envie de bien faire. J’ai vu des jeunes en rupture, des décrocheurs scolaires qui, chez nous, ont saisi une deuxième chance. Nous avons également intégré à nos équipes des personnes migrantes, pour qui ce métier a représenté un véritable tremplin vers une nouvelle vie : une perspective d’avenir, une stabilité retrouvée, et surtout un vrai levier d’intégration sociale, linguistique et professionnelle. Une expérience hautement valorisante, tant pour eux, que pour nous.
Quel package proposez-vous pour attirer et fidéliser vos talents ?
Nous nous donnons les moyens d’attirer les meilleurs talents. Mais, dans la production, les marges de manœuvre sont limitées : tout est fixé par la convention collective. On essaie donc d’innover ailleurs en offrant des primes de fidélité, des chèques-cadeaux, ou encore en organisant des événements divers pour les collaborateurs et leurs familles. Aussi, pour marquer les étapes importantes de la vie professionnelle, nous remettons une montre de valeur aux collaborateurs qui célèbrent 20 ans d’ancienneté, un geste fort de reconnaissance et de respect pour leur engagement.
Pour les salariés administratifs et les encadrants, nous allons au-delà de l’aspect financier. Nous proposons des formations, une salle de sport, des horaires flexibles et surtout un service RH à l’écoute qui comprend l’importance de l’équilibre vie professionnelle / vie privée et qui accompagne les salariés dans leurs souhaits d’évolution. Cette souplesse est dans l’ADN de CDCL, avec un actionnariat familial qui porte des valeurs humaines. C’est ce qui fait la différence parce qu’on peut toujours imaginer retenir les salariés à coup d’augmentations ou de voitures de fonction mais, finalement, cela ne règle pas les problèmes de fond.
Que faudrait-il, selon vous, pour améliorer l’attractivité du secteur à plus grande échelle ?
On pourrait, par exemple, repenser les conditions d’accueil. À une époque, nous avions des maisons pour loger nos salariés de production. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Mais si nous pouvions proposer, en complément du contrat de travail, un logement digne à loyer modéré, ce serait un vrai plus.
L’ADEM fait déjà beaucoup, notamment via des formations en partenariat avec l’IFSB. C’est un vrai levier pour requalifier des personnes éloignées de l’emploi.
L’innovation parviendra-t-elle à faciliter la vie sur les chantiers ?
Nous avons investi dans des méthodes de construction innovantes, comme la structure hybride bois-béton CREE, qui fait largement appel à la préfabrication et transforme en profondeur notre manière de travailler. Mais bien qu’elle permette de gagner en précision, en qualité et en temps, tout en réduisant certaines pénibilités, il faudra malgré tout toujours des personnes pour manipuler, assembler, ajuster, décider. Un chantier restera toujours un lieu vivant, jamais totalement propre ni silencieux, où la main de l’homme reste indispensable.
Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #72 - juillet 2025