
« Investir dans l’humain, c’est capital ! »
Face à la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, le secteur de la construction se mobilise pour rendre ses métiers plus attractifs, former aux compétences de demain et fidéliser ses collaborateurs. L’ensemble des acteurs partagent une même conviction : l’avenir du secteur passe par un engagement fort en faveur du capital humain.

Caroline Gontier
Responsable du service management de la durabilité à l’IFSB
« La construction fait face à une pénurie de main-d’œuvre qualifiée. Attirer et fidéliser les jeunes est essentiel pour relever ce défi, et c’est justement l’objectif du projet Resilient Generation, mené par l’IFSB avec le soutien du FSE et du ministère de l’Éducation nationale.
Un des leviers de ce projet est la revalorisation de l’image du secteur. Grâce à de nombreuses activités, nous démontrons aux jeunes que la construction est aussi un terrain d’innovation, de technologies avancées et qui mise sur la durabilité. En effet - nous le constatons régulièrement -, les jeunes sont de plus en plus sensibles aux impacts positifs qu’ils peuvent avoir sur les plans environnemental et sociétal. S’initier, à travers des ateliers pratiques, à la construction d’un bâtiment passif ou à l’utilisation de matériaux durables, réfléchir à l’usage du bâtiment dès qu’on le dessine, est très motivant pour eux.
Les outils digitaux sont un autre levier. Quand ils découvrent la réalité augmentée / virtuelle adaptée au secteur, un simulateur d’engins ou encore un exosquelette appliqué au chantier, ils sont très intéressés et, avant tout, surpris ! Ils comprennent qu’ils peuvent évoluer dans un environnement technique, intelligent, où il y a de vraies perspectives de métiers et de formations, et les idées reçues qu’ils pouvaient avoir jusqu’alors disparaissent.
C’est à nous, acteurs du secteur, de faire le premier pas vers eux en les sensibilisant et en innovant constamment pour les attirer ! »

Gilles Walers
Chef du service Affaires juridiques, sociales & Emploi, Affaires européennes & Grande Région à la Chambre des Métiers
« Dans l’artisanat, et particulièrement dans la construction, la formation joue un rôle crucial pour attirer et fidéliser les collaborateurs, mais aussi pour continuer à offrir un niveau de services et de produits de la plus haute qualité. Au regard des défis actuels, il sera difficile pour les entreprises de rester compétitives et attractives sans une main-d’œuvre dûment qualifiée.
La formation initiale sert de porte d’entrée dans le secteur : les diplômes DAP, CCP et DT permettent aux jeunes (et moins jeunes) d’acquérir les connaissances de base pour une carrière intéressante et diversifiée. Le Brevet de Maîtrise permet ensuite de former les futurs entrepreneurs en construction dans la gestion d’entreprise et d’équipe, afin d’assurer la pérennité du secteur. Troisième pièce du puzzle, la formation continue est essentielle dans l’évolution des compétences, l’adaptation au changement et la fidélisation des employés.
Plus particulièrement, la formation permet aux entreprises de travailler sur la montée en compétences, l’évolution de carrière, l’adaptabilité et l’innovation (rester à jour avec les nouvelles technologies et méthodes, notamment), la fidélisation des employés, l’amélioration de la qualité de vie au travail et l’épanouissement professionnel des employés en leur permettant de se projeter et de donner du sens à leur travail ».

Thierry Flies
Administrateur délégué de Schroeder & Associés
« Aujourd’hui, les talents ne recherchent pas seulement un emploi, mais une mission qui a du sens. Ils veulent savoir pourquoi ils se lèvent le matin, et surtout, à quoi ils contribuent. Chez Schroeder & Associés, nous plaçons cette quête de sens au cœur de notre culture. Participer à des projets durables, utiles à la société, comme ceux liés à la transition énergétique, est un puissant moteur d’engagement.
Le bien-être au travail joue également un rôle central. Il ne s’agit plus uniquement de confort matériel, mais d’un environnement où l’écoute, la reconnaissance et la confiance sont réelles. Fidéliser, c’est donc offrir un équilibre entre ambition professionnelle et qualité de vie. Nous ne prétendons pas être parfaits, mais nous avançons avec conviction en ce sens. Nous nous attachons à créer un cadre de travail sain, exigeant mais respectueux autour d’un management durable et nous renforçons notre politique salariale pour mieux répondre aux attentes en termes de flexibilité : télétravail, horaires aménagés, formations ciblées… L’idée est simple : reconnaître l’engagement de chacun tout en respectant son rythme de vie.
Attirer et fidéliser les collaborateurs, c’est donc pour nous conjuguer performance et liberté. Il ne s’agit plus de « retenir » les talents, mais bien de leur donner envie de rester ».

Julien Bossu
Directeur des ressources humaines, membre du comité de direction de CDCL
« Je reste convaincu que la construction est un secteur d’avenir, parce que c’est l’un des rares où, avec de la bonne volonté et l’envie de bien faire, on peut encore démarrer de rien et avoir une évolution intéressante. Ce que nos chefs d’équipe attendent avant tout, c’est une chose simple : de la motivation.
Évidemment, les chantiers restent des environnements exigeants : les intempéries, le bruit, la poussière font partie du quotidien. Et si les générations précédentes sont fières de ce qu’elles ont bâti, elles ne souhaitent pas pour autant que leurs enfants aient le même parcours.
Je dis souvent que nous n’avons pas le métier le plus sexy du monde, mais les choses évoluent. Nous avons investi dans le système préfabriqué bois-béton CREE, et nous observons l’arrivée des exosquelettes ou de l’intelligence artificielle. Ce sont des aides précieuses, notamment pour alléger la pénibilité ou améliorer la sécurité, mais elles ne remplaceront pas l’humain. Il faudra toujours des bras et des compétences pour assembler, ajuster, décider sur place.
D’autant plus qu’il y a très peu de répétition dans nos métiers - chaque chantier est un prototype -, donc impossible de tout automatiser. Et c’est ce qui, justement, rend ce métier vivant et stimulant ! ».

Marc Lebrun
Président de FEDIL Employment Services (FES), vice-président du Fonds de formation Sectoriel pour l’Intérim (FSI) et Managing Director de Randstad à Luxembourg
« Le BTP représente un peu moins de 40 % de notre activité : c’est donc un secteur-clé pour les sociétés d’intérim au Luxembourg.
Depuis près de deux ans, nous accompagnons le secteur dans la crise qu’il traverse. Il faut rappeler que les sociétés d’intérim, contrairement aux entreprises du BTP, ne bénéficient pas du chômage partiel, ce qui crée un réel déséquilibre.
Les entreprises du bâtiment ont recours à l’intérim pour plusieurs raisons : tout d’abord pour répondre aux variations saisonnières de la demande en personnel opérationnel - particulièrement entre mars et octobre, ensuite pour renforcer leur personnel pour faire face aux pics d’activité, et enfin pour pallier le taux d’absentéisme. C’est aussi un véritable tremplin pour le recrutement : beaucoup d’intérimaires sont embauchés en cours ou en fin de mission.
Les exigences ont toutefois évolué. Si certains postes restent accessibles à des manœuvres, les demandes portent surtout sur du personnel qualifié, par exemple des maçons ou coffreurs B2 ou B3. Et, aujourd’hui, les entreprises veulent des profils immédiatement opérationnels. Pour répondre à ces attentes, le secteur de l’intérim investit dans la formation. Nous travaillons régulièrement avec des centres agréés comme l’IFSB pour mettre à jour ou renforcer les compétences de nos intérimaires, notamment sur les normes de sécurité, les nouvelles procédures ou les aspects techniques ».

Laurent Peusch
Chef du service employeurs à l’ADEM
« Dans un contexte où le secteur de la construction manque de main-d’œuvre qualifiée, la formation est devenue un levier central pour aider les employeurs à trouver du personnel. L’ADEM collabore étroitement avec tous les centres de formation compétents, notamment l’IFSB, avec lequel nous avons développé des formations ciblées, à l’attention des demandeurs d’emploi. Ces programmes sont orientés sur les métiers « verts » liés à la décarbonation, le photovoltaïque, les techniques de construction innovantes. D’une durée de quelques semaines à quelques mois, ils sont conçus en fonction des besoins réels des employeurs. L’objectif n’est pas de former pour former, mais bien de remettre les gens en emploi de manière pérenne. Même si un diplôme n’est pas indispensable dans certains métiers, l’ADEM reconnaît l’importance de la formation en proposant des parcours qualifiants. Avec une certification de l’IFSB, un candidat peut prouver sa maîtrise d’un métier.
Au total, 296 demandeurs d’emploi du secteur de la construction ont été formés depuis 2022. Parmi eux, 35 ont suivi une formation en BIM, 21 ont bénéficié de la formation bas carbone - bâtiment dans le cadre du programme Skillsbridges du CNFPC en 2024) et 147 ont été formés entre 2022 et 2023 dans le cadre du programme Build your future coordonné par l’IFSB, le CDEC et l’ADEM.
Les entreprises ont aussi un rôle clé à jouer. Beaucoup ne communiquent pas encore assez sur les mutations que vit le secteur. Or, la digitalisation, la montée en compétences techniques, les innovations liées à la durabilité transforment profondément les métiers. Faire connaître ces changements est essentiel pour attirer de nouveaux talents, notamment les jeunes.
La construction a de belles carrières à offrir. En misant sur la formation continue et sur la communication, nous ferons évoluer l’image du secteur ».

David Determe
Fondateur de pairtopair
« Capital humain, la thématique de ce numéro… Un intitulé fort... mais un peu piégeux. Car dès qu’on entend capital, on pense rendement, retour sur investissement, performance. Et c’est là que le malentendu commence. Parce que non, l’humain ne se gère pas comme un actif comptable. Plus on traite les personnes comme des chiffres, plus la motivation s’effondre. Plus on pilote par les marges, plus l’engagement se rétracte. C’est un fait qu’on observe souvent, même dans les organisations les mieux intentionnées. À l’inverse, quand l’humain est réellement au cœur des décisions, alors tout change. L’énergie circule, les idées fusent, les résultats suivent. Et ces résultats permettent de réinvestir : dans la formation, dans les outils, dans l’envie de faire mieux ensemble. Mais voilà, dans beaucoup d’entreprises, la finance prend le dessus. Subtilement pour certains, brutalement pour d’autres. Les tableaux remplacent les visages. Les indicateurs, le bon sens. Le capital humain, ce n’est pas un levier économique. C’est un choix. Un pari. Un engagement. Et c’est celui qui, sur le long terme, rapporte vraiment. Alors, si j’avais un seul conseil à donner : continuez à investir dans l’humain. C’est capital ! ».
Propos recueillis par Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #72 - juillet 2025