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La réforme de l'impôt foncier : un remaniement substantiel du projet de loi

La réforme de l’impôt foncier : un remaniement substantiel du projet de loi

Au Luxembourg, la perception de l’impôt foncier est régie par des mécanismes issus du droit allemand introduits pendant la période d’occupation. La définition des valeurs unitaires remonte à l’année 1941. Dans la pratique, au Luxembourg, l’impôt foncier est si bas qu’il est presque négligeable.

En 2018, le Bundesverfassungsgericht, la Cour constitutionnelle allemande avait décidé que le régime de l’impôt foncier, alors applicable en Allemagne, était inconstitutionnel. Les juges ont estimé que l’absence de mise à jour des valeurs unitaires mène à des distorsions de valeur incompatibles avec le principe d’égalité.

Au Luxembourg, le projet de loi 8082 déposé en 2022 visait dans un même ordre d’idées à réformer l’impôt foncier (IFON), mais allait plus loin en y adjoignant deux nouveaux impôts : l’impôt à la mobilisation des terrains (IMOB) et l’impôt sur la non-occupation de logements (INOL).

C’est face à la crise du logement que l’objectif était non seulement de moderniser l’évaluation foncière, mais aussi de pousser les propriétaires vers la mise en valeur des terrains constructibles et de lutter contre l’inoccupation des logements.

Cependant, le Conseil d’État a formulé 22 oppositions formelles contre le projet, qui peinait à avancer.

Décision de scinder le projet de loi

Début juillet 2025, les députés ont décidé de scinder le projet de loi 8082 en deux volets distincts :

  • Projet de loi 8082A, réformant l’impôt foncier et introduisant l’impôt à la mobilisation des terrains (IMOB).
  • Projet de loi 8082B, introduisant l’impôt sur la non-occupation de logements (INOL).

Cette scission vise à permettre une adoption plus rapide des mesures fiscales liées à l’impôt foncier et à la mobilisation des terrains, sans attendre la finalisation du projet de loi 8086 relatif aux registres national et communal des bâtiments et logements (RNPP), indispensables pour le volet INOL mais nécessitant la mise en œuvre de moyens considérables au niveau des communes et de l’État, ce qui risque de prendre beaucoup de temps.

Suivant l’annonce du Gouvernement, les mesures prévues par le projet de loi 8082A devraient entrer en vigueur en 2028. Elles n’auront un impact réel qu’en 2030, premier exercice d’imposition, après une année de test en 2029. S’il est vrai que cela signifie un retard de trois années sur le planning initial, ce calendrier semble répondre à la réalité sur le terrain. Ainsi, un premier bulletin devrait être envoyé aux propriétaires en 2030, le taux - qui se voudrait progressif dans la durée - s’appliquerait pour la première fois au bout de cinq ans.

Les amendements et les implications pour les professionnels de l’immobilier et collectivités territoriales

Le 17 juillet 2025, le Gouvernement a présenté en commission parlementaire 66 amendements au projet de loi 8082A relatif à l’impôt foncier et à la mobilisation des terrains. L’objectif clairement affirmé est d’agir contre la spéculation immobilière plus rapidement en donnant un coup d’accélérateur aux dispositions portant sur l’IMOB et l’IFON.

Il est apparent que le gouvernement a dans une large mesure tenu compte des réserves émises par le Conseil d’État.

Comme la présentation détaillée de l’intégralité des amendements dépasserait le cadre du présent article, une revue sommaire des principaux amendements sera présentée ici, les 273 pages du projet d’amendements gouvernementaux pouvant être consultés en ligne. https://wdocs-pub.chd.lu/docs/Dossiers_parlementaires/8082A/20250715_AmendementGouvernemental.pdf

1. Pas pour tout de suite pour l’INOL

Le volet relatif à la non-occupation des logements nécessite encore les RNPP, objet du projet de loi 8086, retardant son adoption. Les collectivités doivent donc se préparer à une mise en œuvre différée, qui aura des implications plus spécifiques concernant la gestion des logements vides et les échanges entre bourgmestres et l’administration fiscale.

2. Respect de l’autonomie communale

Le caractère de l’IFON comme impôt communal a été rétabli, mais l’administration de l’État a été associée à son traitement informatique tout en désignant l’administration des contributions directes comme point de contact unique avec les débiteurs d’impôt pour l’établissement du bulletin de la valeur de base et du bulletin IMOB.

La fourchette d’imposition obligatoire comprise entre 9 et 11 % prévue par le projet initial a été supprimée. Les communes peuvent ainsi fixer librement le taux d’imposition foncière, ou « Hebesatz », applicable pour le territoire communal.

3. Application plus ciblée de l’IMOB, essentiellement à des terrains situés en zone de plan d’aménagement « nouveau quartier ».

4. Nouveau modèle d’évaluation foncière

Le projet apporte un modèle d’imposition reposant sur la valeur réelle des terrains (la valeur de base des parcelles devrait être calculée selon le principe élaboré en 2022 qui se compose du potentiel constructible selon le plan d’aménagement général, de la distance par rapport à la Ville de Luxembourg, de la surface de la parcelle et des services présents dans la localité) qui se veut plus juste, automatisé et transparent. Les professionnels de l’immobilier et les communes doivent se préparer à des outils de valorisation plus fins et à des systèmes de bulletins d’impôts automatisés tant en ce qui concerne l’IFON et l’IMOB.

5. Alternatives pour les collectivités

Les collectivités territoriales auront la faculté d’élargir leur palette de réponses face à la spéculation et l’occupation du foncier, en fonction des besoins spécifiques de leur territoire.

6. Introduction de certaines exemptions en faveur du secteur agricole et vinicole

7. Élargissement des conditions d’abattement sur l’IMOB

L’âge des enfants donnant droit à l’application d’un abattement sur l’IMOB a été porté de 25 ans à 35 ans en vue de permettre (dans une certaine mesure) la transmission de terrains constructibles aux enfants.

8. En matière d’IMOB, pas d’exemptions pour les fonds d’investissement et les promoteurs publics

9. Une digitalisation de la procédure de réclamation contre les bulletins IFON et IMOB

Conclusion

La scission du projet de loi 8082 en projets 8082A (impôt foncier + mobilisation des terrains) et 8082B (non-occupation des logements) vise à accélérer la réforme fiscale de l’IFON et l’introduction de l’IMOB, tout en confirmant que le volet INOL devra attendre la finalisation du RNPP.

Pour les professionnels de l’immobilier et les collectivités territoriales, cette reconfiguration implique une adaptation proactive à un nouveau cadre juridique du foncier - tout en se préparant à l’avenir, vers une régulation de l’occupation du parc résidentiel.

Me Mario Di Stefano, Managing Partner – Avocat à la Cour chez DSM Avocats à la Cour
Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025