
Les entreprises de la filière bois face au défi du recrutement
En juin 2025, Ligne Bois a réuni 120 pros du secteur pour échanger sur un enjeu clé : attirer et fidéliser les talents dans un monde du travail en mutation.
Une génération qui bouscule les codes
Baby-boomers, millennials, génération Z : plusieurs générations cohabitent désormais en entreprise, avec des attentes et des repères parfois fort différents. Mais c’est surtout l’arrivée de la génération Z sur le marché du travail qui bouleverse en profondeur les codes établis au sein des entreprises. Nés entre 1995 et 2010, ces jeunes ultra-connectés et avides de sens bousculent en effet les schémas traditionnels et poussent les entreprises à repenser leurs pratiques. La question est loin d’être anodine sachant que cette génération représentera un tiers des actifs dans le monde en 2030.
Pour y répondre, Ligne Bois – le centre d’information belge sur la construction bois, avait convié des intervenantes de premier plan, spécialisées dans le recrutement et la fidélisation des jeunes talents : Elisabeth Soulié, anthropologue, coach en entreprise et autrice de « La génération Z aux rayons X », Florence Loumaye, cofondatrice de Student, une communauté réunissant plus de 500 000 étudiants et jeunes professionnels en Belgique et Margot Wuillaume, cofondatrice et CEO de eBloom et autrice du livre « Leader NextGen ».
Une nouvelle relation au travail
« Les jeunes ne veulent plus travailler ! » : une phrase souvent entendue, reflet d’une incompréhension de la part des employeurs face aux difficultés de recrutement, notamment auprès des jeunes. Pourtant, tous les experts en conviennent : les jeunes ne sont pas moins travailleurs que leurs aînés. En revanche, ils refusent la dimension « sacrificielle » parfois associée au travail. Ayant grandi dans un contexte de crises multiples – sanitaire, climatique, économique, sécuritaire – et parfois témoins de licenciements brutaux dans leur entourage, le rapport au travail de cette génération s’en trouve profondément modifié.
La Gen Z se distingue nettement par son désintérêt pour la sécurité de l’emploi, auquel elle ne croit plus, et son besoin d’intégrer harmonieusement vie professionnelle et vie privée.
Une mutation anthropologique
« Le mot carrière a disparu de leur vocabulaire », note Elisabeth Soulié. La Gen Z ne se projette plus sur le temps long et ne met plus le contrat de travail au centre de sa vie, mais cherche à développer son potentiel global, dans le respect de son équilibre personnel. « Attachée à sa vie privée, attentive à sa santé mentale, désireuse d’un travail porteur de sens et en phase avec ses valeurs, elle remet en cause les modèles hiérarchiques et attend des retours fréquents et personnalisés. Si on attend l’entretien de mi-année pour faire un feedback, on les perd ! », prévient-elle.
Repenser la communication et le recrutement
Adapter les pratiques managériales ne suffit pas. Il faut aussi repenser la manière d’atteindre ces jeunes. Pour Florence Loumaye, cela commence par les bons canaux ; « Si on cherche de jeunes profils, il faut aller les chercher là où ils se trouvent aujourd’hui » : sur TikTok, Instagram, Snapchat. Mais certainement pas Facebook, et encore moins LinkedIn. Il faut également adapter le ton et le format, par exemple en privilégiant des vidéos courtes assorties de témoignages de collaborateurs. « Et plutôt que la traditionnelle Job description, axer le discours sur les valeurs de l’entreprise, les formations proposées et les opportunités de développement,… ». Ce que les professionnels RH appellent la « Proposition de Valeur Employeur » (PVE) : montrer concrètement ce que l’entreprise peut offrir, au-delà du poste en lui-même. Si la Gen Z partage certaines priorités avec ses aînés - package salarial, ambiance de travail – « elle se distingue nettement par son désintérêt pour la sécurité de l’emploi, auquel elle ne croit plus, et son besoin d’intégrer harmonieusement vie professionnelle et vie privée. Ce désir d’équilibre est non seulement plus fort, mais aussi davantage revendiqué ».
Vers un management plus humain et authentique
À 28 ans, Margot Wuillaume parle à la fois comme experte en RH et comme représentante de sa génération. Son constat est clair : « 80 % des entreprises belges rencontrent des difficultés de recrutement et seuls 11 % des salariés se disent engagés ». Pour elle, les jeunes attendent un leadership authentique et bienveillant. « L’enjeu n’est plus uniquement de motiver, mais de créer un environnement où les jeunes se sentent écoutés, soutenus et responsabilisés. Certaines études indiquent même que cette qualité de management justifie une baisse salariale consentie à hauteur de 11 % chez les jeunes talents ! ». Margot Wuillaume alerte aussi sur le coût du désengagement : « Chez les moins de 25 ans, les démissions ont augmenté de 40 % en trois ans. Et dans un tiers des cas, c’est le manque d’attention et d’écoute du management qui pousse à partir ». Pour aider les employeurs dans leur transition managériale, e-Bloom a développé une application qui permet de mesurer, suivre et améliorer le bien-être des collaborateurs grâce à des sondages anonymes, des analyses en temps réel et des actions concrètes. Elle vise à renforcer l’engagement et la performance des équipes.
Une prise de conscience collective
Aurore Leblanc, coordinatrice de Ligne Bois, se félicite de l’événement : « Beaucoup d’entrepreneurs sont venus avec des doutes quant au choix de cette thématique qui sort clairement de notre champ d’action habituel. Au vu des enjeux du secteur face au recrutement, il nous semblait pourtant essentiel d’aborder ce sujet. Ce n’était pas gagné mais on a été heureux de constater que les professionnels présents en sont sortis très satisfaits, repartant avec des pistes de réflexion concrètes, parfois déroutantes mais surtout très inspirantes ». La construction est un secteur historiquement assez marqué par la tradition. Il n’est pas toujours évident de comprendre une génération qui revendique du sens et un équilibre. « Pourtant c’est justement cela, le défi : apprendre à se comprendre, à évoluer ensemble, et à construire des environnements de travail où chaque génération peut trouver sa place ».
Ligne Bois est un organisme d’information, de promotion et d’animation de la filière bois wallonne, qui a pour mission de valoriser l’usage du bois dans la construction. Ligne Bois représente également un groupement professionnel qui recense 140 membres, tous spécialisés dans la construction : bureaux d’architecture, bureaux d’études, bureaux de conseil, constructeurs bois, fabricants, entreprises de produits connexes, ...
Admon Wajnblum et Aurore Leblanc, Ligne Bois asbl.
Article paru dans Neomag #72 - juillet 2025