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Construire plus simplement et plus rapidement

Construire plus simplement et plus rapidement

Le CRTI-B élabore des procédures standardisées, adoptées dans le consensus, au service de l’intérêt commun. Ses missions s’adaptent aujourd’hui aux mutations profondes qui touchent le secteur.

Interview de Gilles Christnach, directeur du CRTI-B.

Quelle est la vocation du CRTI-B ? Pourquoi a-t-il été créé ? Et quelles sont ses missions aujourd’hui ?

Le CRTI-B a été créée il y a 35 ans au sein du Centre de Recherche Public Henri Tudor. Son statut a évolué et il est devenu GIE, un groupement d’intérêt économique, il y a 10 ans, le 1er avril 2015 exactement.

Sa mission de départ était très claire, et elle est toujours la même aujourd’hui : rassembler les trois acteurs majeurs de la construction - à savoir les maîtres d’ouvrage, les concepteurs et les entreprises exécutantes - pour parvenir à un consensus qui vise à standardiser, simplifier et accélérer les procédures, assurer la qualité de la construction, augmenter la productivité, la compétitivité et la performance du secteur et améliorer la communication entre les différents acteurs. Ceux-ci sont respectivement représentés et financés par le ministère des Travaux publics via les Administrations des ponts et chaussées et des bâtiments publics pour les maîtres d’ouvrage, l’OAI pour les concepteurs, et la Chambre des Métiers, la Fédération des Artisans et le groupement des entrepreneurs pour les entreprises exécutantes. La notion de consensus est primordiale : aucune décision n’est prise sans avoir été validée par les trois parties.

Qu’est-ce que ce consensus apporte ?

L’idée, c’est que les documents que le CRTI-B publie et les procédures qu’il met en place répondent aux besoins de toutes les parties, et pas seulement à ceux de l’une au détriment des autres. Trouver un consensus peut prendre beaucoup de temps – parfois même des années – mais une fois qu’on est tous d’accord, personne ne remet en cause ce qui a été adopté, puisque cela a été fait dans l’intérêt commun.

Ce leitmotiv est plus que jamais d’actualité…

Tout ce qui a été mis en place jusqu’ici a déjà permis de clarifier beaucoup de choses et de faire avancer les projets. Mais avec les bouleversements qu’on vit aujourd’hui – pénurie de logements, tension sur les ressources, hausse des prix des matériaux – il reste encore énormément à faire. Dans ce contexte, harmoniser les procédures est encore plus essentiel : cela évite aux différents acteurs d’un projet de perdre du temps, de l’énergie et de l’argent à discuter - que ce soit en phase de soumission ou sur un chantier - d’une solution qui a déjà fait ses preuves ailleurs.

Est-ce que ça implique une évolution des missions du CRTI-B ?

Construire est un besoin qui existe depuis la nuit des temps, et la finalité reste la même : offrir à chacun un toit pour vivre ensemble, en sécurité et en bonne santé. Mais la manière de construire, elle, évolue, et les contraintes changent. On voit arriver de nouveaux matériaux, de nouvelles méthodes de construction… Il est évident que nos procédures doivent suivre et que l’on doit s’adapter à ces évolutions.

De quelles nouvelles contraintes parle-t-on, par exemple ?

Comme mentionné, nous tous, maîtres d’ouvrage, concepteurs et constructeurs, prenons conscience que les ressources ne sont pas infinies et qu’on doit réutiliser les matériaux. La construction doit devenir plus flexible, anticipative, pour pouvoir adapter les bâtiments aux besoins, et rester ouverte aux nouvelles méthodes, aux fonctionnalités, aux concepts structurels ou techniques innovants. La standardisation permet de garantir la qualité, mais elle ne doit pas freiner la créativité, l’innovation. Et c’est peut-être là le plus grand virage que doit prendre le CRTI-B avec ses partenaires : intégrer très rapidement ces nouvelles approches dans les procédures ou dans les documents pour les rendre accessibles au plus grand nombre, qu’elles soient dupliquées, et pérenniser ainsi l’innovation.

Pour ça, il faut être à l’écoute des nouvelles opportunités et les mettre à disposition d’un maximum d’acteurs du secteur, mais de manière structurée et coordonnée, pour assurer la fiabilité de ce qu’on met en œuvre. Notre mission, au fond, reste la même qu’il y a 35 ans, mais elle doit s’adapter à un marché en pleine mutation. Cette évolution, on l’a amorcée il y a déjà quelques années, quand le CRTI-B a pris le statut de GIE pour être plus réactif. Les crises récentes ont accéléré le mouvement dans le secteur… et le CRTI-B est prêt à accélérer aussi.

Comment le CRTI-B encourage-t-il l’innovation justement ?

La chaîne de valeur de l’innovation est claire. Des acteurs comme le LIST, Neobuild et Luxinnovation accompagnent les projets innovants, pilotes ou de recherche. Quand la viabilité est validée par rapport aux spécificités du marché luxembourgeois, on peut enclencher le processus de standardisation. L’idée est de mettre à disposition des acteurs de la construction des recommandations qu’ils pourront intégrer directement : des détails-types, avec une description technique permettant son application dans un projet spécifique. Et ces recommandations, rappelons-le, sont validées par tous les membres du CRTI-B. Elles ne sont pas obligatoires – pour ne pas brider la créativité et figer l’innovation – mais elles constituent un socle, une base standardisée et adaptable. Cela permet d’accélérer l’accès à de nouveaux produits et de nouvelles méthodes, tout en évitant de tout réinventer à chaque fois, et avec la garantie que le projet sera validé.

Quelle est la place de la digitalisation dans cette évolution ?

La numérisation est souvent associée au fameux mot-clé « BIM ». C’est vrai que c’est un outil intéressant et puissant : il permet de construire plus vite, avec moins de mauvaises surprises sur le chantier. Mais ce n’est qu’une partie de la digitalisation.

La réalité, c’est que la plupart des entreprises du secteur sont de petites structures, parfois avec moins de cinq salariés, qui font un travail de qualité remarquable… mais qui sont souvent peu digitalisées. Leur parler de maquette numérique ou de cas d’usage BIM génère plus de frustration que d’adhésion.

Pour embarquer tout le monde, il faut y aller étape par étape. C’est pour ça qu’on met en place une stratégie par échelons, avec une transition progressive. La première étape, c’est une plateforme simple, avec les fonctionnalités essentielles, où tous les documents importants d’un projet de construction sont accessibles à tous : non seulement les documents du projet, mais aussi les normes, les règlements, les avis… tout ce qui fait partie intégrante d’un chantier, depuis la conception jusqu’au démontage, en passant par l’autorisation, la construction et l’exploitation. L’idée, c’est que chacun ait, à tout moment, accès à la bonne information. L’intelligence artificielle pourra certainement nous aider à échanger plus vite et à trouver les informations demandées.

Une fois qu’on aura ce langage commun, on pourra passer à la vitesse supérieure : d’abord le partage de documents et de commentaires dans les plans 2D, puis dans la maquette 3D, et enfin, seulement à ce moment-là, parler de cas d’usage BIM. Cette approche « douce » de la digitalisation, qui va s’étaler sur plusieurs années, vise à soutenir tous les acteurs dans cette transition.

En parallèle, on ne veut pas freiner ceux qui sont déjà plus avancés. Les équipes du CRTI-B continuent donc à développer des outils comme l’automatisation du contrôle de conformité des permis de construire, la création automatique du passeport matériaux à partir d’une maquette numérique, ou encore les calculs assistés de bilan carbone pour accélérer l’utilisation de matériaux renouvelables.

Comment travaillez-vous avec les autres acteurs, ceux qui ne font pas partie de la « tripartite » du CRTI-B ?

En ce moment, on travaille main dans la main avec Luxinnovation pour cartographier tous les acteurs de la construction. Ils sont très nombreux à se confronter aux mêmes problèmes et à avoir développé des solutions pour y répondre. Le souci, c’est que ces bonnes idées ne sont pas toujours connues, donc elles ne peuvent pas être reproduites. Pourtant, si on les mettait en commun, on gagnerait en temps et en efficacité.

Par exemple, aujourd’hui, un acteur privé et un acteur public développent chacun de leur côté une plateforme de réutilisation des matériaux. C’est une excellente initiative dans les deux cas, mais ils ont sans doute des approches différentes, avec leurs avantages et leurs inconvénients. En combinant ces deux visions dans une ressource commune, on pourrait tirer le meilleur des deux.
Outre la collaboration étroite au niveau de l’innovation avec LIST et Neobuild que nous avons déjà mentionnés, nous collaborons également avec Uni.lu, la House of Training et l’IFSB pour les formations.

L’application des documents CRTI-B est imposée dans les marchés publics par la loi sur les marchés publics. Qu’en est-il du privé ?

Je fais juste une petite parenthèse : les communes sont, en nombre de projets, le plus grand maître d’ouvrage public. Elles sont légalement tenues d’utiliser les documents du CRTI-B, mais elles n’en font pas partie et n’ont donc pas participé à leur rédaction. Il nous paraît naturel d’envisager, à terme, une représentation de ces parties prenantes au sein du CRTI-B - sous une forme à définir ensemble - afin qu’elles puissent pleinement faire entendre leurs besoins et contribuer activement aux réflexions collectives.

Dans le privé, on ne veut rien imposer. On part du principe que si nos documents sont bien conçus, utiles et pratiques, les acteurs privés les adopteront d’eux-mêmes. Notre objectif est de créer des outils qui servent, qui simplifient les procédures, qui les rendent plus rapides, sans discussions inutiles, ni risques de litiges. Nous sommes convaincus qu’imposer, c’est surtout créer de la frustration. Et ça se vérifie : il y a quelques jours, un petit promoteur privé m’a appelé pour me demander s’il pouvait utiliser nos documents, parce qu’il trouvait ça « génial ». On ne peut qu’encourager ce genre d’initiative, car les textes du CRTI-B sont issus d’un consensus trouvé par rapport à des besoins du secteur.

Comment garantir que ceux qui assument les risques en cas de problème soient aussi alignés dès le départ avec les décisions prises par le CRTI-B ?

Très bonne question : Les organismes agréés, bureaux de contrôle et experts d’un côté, et les assurances de l’autre, reviennent toujours sur le devant de la scène, surtout en cas de litige. Ce sont eux qui doivent faire le décompte financier et de responsabilité quand quelque chose a dysfonctionné dans la chaîne de valeur. L’idée est donc de les intégrer directement dans le processus de validation. On s’assure ainsi qu’un détail standard de base - pour une façade en paille, par exemple - a bien été vu et validé à la fois par l’organisme agréé et par l’assurance. Leurs retours, intégrés dès la conception, peuvent clairement améliorer la qualité de ce qu’on met en place. Donc on les accueillera à bras ouverts.

Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025

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Publié le vendredi 26 septembre 2025
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