
Approches sur le cycle de vie des bâtiments et leviers de décarbonation
L’empreinte carbone du cycle de vie d’un bâtiment correspond à la quantité totale de gaz à effet de serre (GES) émise tout au long de la vie du bâtiment, depuis sa construction jusqu’à sa démolition.
Elle comprend premièrement une phase de construction - extraction des matériaux, fabrication, transport, mise en œuvre, deuxièmement une phase d’exploitation correspondant à l’utilisation du bâtiment (consommations d’énergie), sa maintenance et le remplacement de certains matériaux et troisièmement, une phase de fin de vie comprenant la démolition/le démantèlement, le gestion des déchets, le recyclage ou la mise en décharge.

Elle est généralement évaluée sur une période de 50 ans et s’exprime en équivalent CO₂ (kg ou tonnes CO₂e), et permet d’évaluer l’impact environnemental global du bâtiment. L’approche sur le cycle de vie des bâtiments met en évidence les émissions dites incorporées, liées aux matériaux de construction. Ces émissions représentent la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre d’un bâtiment sur son cycle de vie.
Pourquoi l’approche sur le cycle de vie ? La part des matériaux dans les émissions sur le cycle de vie
Au cours des vingt dernières années, des avancées significatives ont été réalisées en matière de réduction de la consommation énergétique des bâtiments, en particulier dans le secteur du neuf. Cette dynamique a été largement impulsée par la directive européenne 2002/91/CE sur la performance énergétique des bâtiments, puis renforcée par les directives 2010/31/UE et 2018/844. Leur transposition dans les législations nationales a progressivement imposé des exigences plus strictes en matière de performance thermique, de récupération de chaleur, d’efficacité des systèmes techniques et d’intégration des énergies renouvelables. Ces évolutions réglementaires ont permis une réduction substantielle des consommations d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre associées aux usages opérationnels des bâtiments (chauffage, climatisation, ventilation, éclairage, production d’eau chaude sanitaire).
En revanche, en l’absence de cadre réglementaire contraignant, les émissions liées aux matériaux de construction sont restées globalement stables sur la même période ; or, ces émissions incorporées représentent aujourd’hui entre un tiers et deux tiers du total des émissions d’un bâtiment sur l’ensemble de son cycle de vie. Ce levier reste largement sous-exploité dans les projets standards, bien qu’il constitue l’un des gisements de réduction de l’empreinte carbone les plus importants et les plus accessibles à court terme.
Les émissions incorporées dans un bâtiment peuvent être classées en grandes catégories, correspondant aux différents éléments de construction et équipements techniques. En première position d’un bâtiment construit traditionnellement, c’est le gros-œuvre qui représente la part la plus significative des émissions, variant entre 25 et 50 % selon la proportion de volume bâti en sous-sol par rapport à celui hors-sol. Ensuite les équipements techniques comprenant des matériaux à forte intensité carbone comme le cuivre, l’acier ou l’aluminium présents dans les réseaux (tuyaux, gaines, chemins de câble, etc.), qui représentent le second poste d’émissions le plus important. En troisième position, les parachèvements intérieurs qui, en raison de leur renouvellement plus fréquent - par exemple tous les 10 ans pour les moquettes, génèrent également une part importante des émissions. Enfin les façades occupant la quatrième place, avec des éléments tels que les menuiseries, les protections solaires ou les bardages. Aucune « catégorie » ne peut donc être négligée dans la recherche d’une réduction de l’empreinte carbone des bâtiments.

Empreinte « carbone incorporé » pour différents types de bâtiments
Les émissions incorporées dans les matériaux de construction varient en fonction du type de construction (traditionnelle en béton, en bois, mixte) et du volume bâti en sous-sol. Elles sont également influencées, dans une moindre mesure, par l’affectation du bâtiment. La figure 3 présente les émissions incorporées de différents types de bâtiments, exprimées en kg de CO2 par m2 de surface utile, sur un cycle de vie de 50 ans. Parmi les tendances identifiables, il ressort notamment que les bâtiments à structure en matériaux biosourcés présentent des émissions incorporées inférieures à celles des bâtiments à structure traditionnelle ; qui plus est, l’impact négatif corrélé à la présence de sous-sols est également clairement visible.

Réduction des émissions incorporées, l’impact de la conception architecturale
Lors de la planification d’un bâtiment, la réduction de son empreinte carbone repose sur deux approches complémentaires : la conception bas carbone et la réduction de l’intensité carbone des matériaux. La première, qui permet la réduction la plus significative, doit être initiée le plus tôt possible dans le processus de conception. La conception bas carbone repose sur une approche rationnelle, choisissant les matériaux les plus adaptés à chaque fonction et exploitant leurs caractéristiques propres : le choix du bon matériau au bon endroit. Les matériaux à forte intensité carbone, tels que le béton ou l’acier, trouvent également leur place dans cette conception, car ils possèdent des propriétés intrinsèques, comme la résistance mécanique et la sécurité incendie, difficilement atteignables par des matériaux biosourcés. Cette démarche peut notamment être appliquée à la conception des façades. Celles-ci se composent d’éléments transparents, souvent dotés de protections solaires, faits de matériaux comme le verre et l’aluminium, qui sont relativement intenses en carbone. À côté, les éléments opaques peuvent varier considérablement en termes de composition et d’intensité carbone.
La figure 4 illustre le fait que les émissions incorporées d’un bâtiment augmentent de manière linéaire avec le ratio vitré. La pente de cette relation entre empreinte carbone et ratio vitré est d’autant plus prononcée que l’intensité carbone des éléments opaques est faible. En ce qui concerne les matériaux, un parallèle avec les principes d’une alimentation saine peut être établi : un matériau à faible intensité carbone est souvent local, naturel et peu transformé.

Les leviers de décarbonation et leur impact
Les leviers de décarbonation peuvent être abordés suivant trois approches : améliorer, substituer et repenser. La première approche consiste à utiliser les méthodes traditionnelles en les améliorant, la deuxième repose sur le remplacement des moyens traditionnels par des moyens innovants et la troisième suppose un changement fondamental de vision.
Par exemple, l’usage d’un béton « bas carbone » entre dans la première catégorie, le remplacement du béton par du bois dans la deuxième, quand un levier de la troisième catégorie consisterait plutôt à réfléchir à la nécessité de construire ou non un nouveau bâtiment et à chercher une solution alternative. Les leviers de décarbonation peuvent ainsi être classés suivant leur niveau d’impact sur le processus de planification et de construction, ainsi que par rapport à leur potentiel de réduction.
Les mesures comme la réduction des impacts en chantier ou celles concernant des matériaux présents en moindre quantité dans le bâtiment sont généralement simples à mettre en œuvre et ont un impact limité mais sensible sur le bilan (gestes simples). Le choix de matériaux traditionnels moins carbonés permet de réduire facilement l’empreinte carbone du bâtiment sans impacter le reste du processus. Le choix d’un mode de construction en bois ou d’une architecture adaptée à la conception bas carbone entrainent des réductions plus importantes mais doivent être prises en compte dès le début (valeurs sûres). La rénovation, la réduction des places de stationnement ou l’adaptation de la programmation sont quant à elles des mesures fortes qui seront à envisager dans le cadre d’une réduction drastique des émissions (innovations majeures). Enfin, les solutions émergentes sont les mesures à moindre impact qui reposent sur des choix plus engagés de la part des concepteurs et occupants.
Textes et illustrations : Julien L’Hoest, administrateur chez Energie et Environnement
Article paru dans Neomag #71 - juin 2025