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Dalles de plancher en bois et terre comprimée, deux solutions décarbonées

Dalles de plancher en bois et terre comprimée, deux solutions décarbonées

Outre leur fonction de séparation et de franchissement, de support de charges ou d’intégration de techniques diverses, les dalles ou planchers exercent un rôle considérable dans le confort thermique et acoustique des constructions.

Le béton représente souvent une solution de choix, largement plébiscitée au Luxembourg et qui agrège beaucoup d’avantages ; mais lorsque l’on souhaite mettre en place une solution décarbonée, c’est le bois qui s’impose le plus souvent, avec cependant des griefs récurrents : le manque de masse, avec des implications comme une faible d’inertie thermique et, souvent, une complexité à résoudre les aspects phoniques et à respecter les considérations relatives au feu. Nous n’aborderons pas ici les systèmes en acier, en terre cuite ou autres planchers hybrides.

Sous les pieds, (de) la terre

Quant à l’usage de terre crue en dalle, disons simplement qu’au Luxembourg, il est probablement absent (nous ne parlons pas de chapes de remplissage en terre ou de revêtements de sol du type terrazzo de terre). Il existait jadis (et il existe encore dans certaines régions, notamment en France) la technique du plancher « à quenouilles » : sur une structure porteuse en bois faite de poutres/solives, sont disposées des quenouilles qui prennent la forme de cylindres de 10 à 15 centimètres de diamètre environ, et qui se comportent comme des mini-hourdis (claveaux) sur une petite portée ; on les fabrique en enroulant autour d’un bâton de châtaignier, de hêtre ou de chêne (refendu en section triangulaire) une barbotine d’argile mélangée à des fibres (souvent du foin). Les quenouilles encore humides sont disposées et serrées côte à côte sur les solives, avant une éventuelle chape supérieure de répartition, assez fine, et le revêtement de sol. La finition de la sous-face consiste souvent à lisser la barbotine ou à l’enduire avec une fine couche d’argile ou de chaux. Solution très économe et durable principalement utilisée en restauration du patrimoine ou en éco(auto)construction, elle est évidemment difficilement compatible avec les standards de nos chantiers contemporains : d’une part parce que les contraintes mécaniques sont évidemment plus élevées, d’autre part parce qu’il paraîtrait illusoire de pouvoir produire à coût maîtrisé des surfaces importantes.

D’autres systèmes existent bien entendu : songeons aux voussettes maçonnées en briques de terre crue s’appuyant sur poutrains ou solives de natures diverses, ou encore aux diverses variantes de planchers mixtes en bois (bambou ou autre) et terre damée - éventuellement renforcée à l’aide de roseaux ou autres fibres végétales ; ces exemples restent exceptionnels sous nos latitudes et appartiennent au registre d’approches plus « exotiques ».

Le système Terradek de l’entreprise Terrabloc

Pour sa solution de planchers en bois et terre crue, Terrabloc – en collaboration avec B+S Ingénieurs, BATJ et le LEMS de l’HEPIA (Haute école du paysage, d’ingénierie et d’architecture de Genève), a choisi de développer un système à poutrains et hourdis/claveaux, en s’appuyant sur le principe statique de l’arc, ou plutôt de la voûte. Les poutrains/solives préfabriqué(e)s en bois lamellé-collé sont espacé(e)s à entraxes réguliers de 900 mm ; ils possèdent un profil spécifique, permettant aux claveaux de réaliser le transfert des forces et une portée entre poutrains de 700 mm. Les claveaux, de dimensions 895x200x150 mm, sont réalisés en terre comprimée (déchets terreux d’excavation), stabilisée à raison de 4 % de ciment CEM II dans une première version ou 2 % de liant Oxabrick Loko (mélange de sels minéraux, voir https://oxara.earth/) en variante, selon un profil en arc, chaque claveau pesant 33 kg. Au centre du claveau, l’épaisseur s’affine pour atteindre 110 mm. Les claveaux sont disposés côte à côte et un panneau en bois de 10 mm d’épaisseur achève de recouvrir et de protéger l’ensemble, agissant comme diaphragme et reprenant les actions horizontales (vent ou séismes).

Le poids propre du système est d’environ 300 kg/m2. Cette masse de terre permet de mieux répondre aux problématiques évoquées auparavant (performances thermique et acoustique) et y ajoute le confort d’une régulation hygrométrique et sanitaire naturelle bien connue de la matière « terre ». L’ingénieur Marcio Bichsel du bureau B+S Ingénieurs souligne l’importance d’une jonction précise entre le bois et la terre afin que le transfert des forces s’effectue correctement et que la terre travaille en compression pure. Afin de valider la résistance au feu, un prototype complet de 2,7 x 4,5 mètres est parti en laboratoire, sanctionnant le système constructif d’un classement REI90’. La production industrielle dans l’usine de l’entreprise Cornaz à Allaman permet déjà de fabriquer 6 900 m2 de planchers par semaine de production, de quoi alimenter sans problème les chantiers de grande ampleur.

Le système de l’entreprise Rematter AG

Découverte au salon Bau Munich cette année, l’autre initiative suisse a pour sa part choisi la voie de la dalle de plancher bois-terre entièrement préfabriquée ; ces dernières sont construites à partir d’un cadre composé de poutres en bois massif, les vides étant remplis d’un matériau terreux compressé. Un panneau trois-plis supérieur participe à la rigidité et au bon comportement mécanique de l’ensemble. Toutes les connexions sont assemblées à sec ou vissées, sans colle, permettant en fin de vie un démontage et une réutilisation de tous les composants. Les dalles de plancher sont exécutées à l’aide de robots, dans un environnement contrôlé. Ce processus d’automatisation garantit des prix compétitifs et une qualité élevée et constante et les éléments préfabriqués ne nécessitent pas de temps de séchage, permettant un montage immédiat. Les avantages et performances liés à l’usage du bois et de la terre sont évidemment similaires au système de Terrabloc.

En termes de performances, Rematter annonce des planchers acceptant une charge utile jusqu’à 5 kN/m2, une résistance au feu REI60’ et un indice d’affaiblissement acoustique (plancher brut uniquement) de Rw = 50 dB.

En conclusion

Les deux systèmes décrits permettent dorénavant de concevoir des planchers structurels préfabriqués en matériaux bio et géosourcés issus de filières locales, recyclables et/ou réemployables. Le tout avec un bilan environnemental exceptionnel, sans concéder aux exigences de confort et dans le respect des normes et aspects réglementaires. Nonobstant les considérations budgétaires, le choix de l’une ou de l’autre solution dépendra des conditions d’exécution du chantier/projet, des portées à franchir, des charges d’exploitation qui devront être respectées et de la préférence esthétique de la maîtrise d’œuvre.

Régis Bigot, Architecte & Innovation Project Manager Neobuild GIE
Article paru dans Neomag #71 - juin 2025


Illustration : ©Leo Fabrizio