
Accompagner la transformation numérique du génie technique et du parachèvement
Entre IA, cybersécurité et industrialisation des chantiers, les Centres de Compétences préparent les entreprises du génie technique et du parachèvement à un avenir numérique, en leur transmettant des savoir-faire et compétences concrets.
Interview de Tom Girardin, directeur des Centres de Compétences Génie technique du Bâtiment et Parachèvement
Pouvez-vous nous rappeler ce que sont les Centres de Compétences GTB/PAR ?
Il s’agit d’un centre de formation sectoriel, créé il y a dix ans par les fédérations professionnelles du génie technique du bâtiment et du parachèvement et les syndicats OGBL et LCGB. Il fonctionne grâce au versement d’une cotisation de 0,5 % de la masse salariale des entreprises artisanales ; cette cotisation permet de financer par mutualisation les frais de formation et de gestion des centres.
Pourquoi mutualiser la formation ?
Pour regrouper les achats et l’organisation, mais aussi pour des raisons de qualité, car une formation implique tout un dispositif : un concept pédagogique, l’analyse et la définition des compétences nécessaires, la sélection de formateurs adaptés, la mise à disposition d’infrastructures… ce qu’une société, seule, aurait du mal à mettre en place.
Où en est-on en termes de digitalisation dans les entreprises du génie technique et du parachèvement ?
En plein dedans ! Certaines sociétés s’emparent du sujet, proactivement, et d’autres, à l’inverse, procrastinent. Dans ce contexte, nous nous positionnons comme un acteur qui peut apporter sa pierre à l’édifice en offrant des formations accessibles à celles qui ont un niveau de base comme à celles qui sont déjà plus expertes sur le sujet. Mais, seuls, nous ne sommes qu’une pièce du puzzle : nous mettons un outil à disposition des sociétés qui souhaitent s’engager dans une démarche de digitalisation, développer leurs compétences et aller plus loin. Autour de cela, il existe tout un écosystème – consultants, aides étatiques – qui soutient cette transition.
Quels sont les freins qui empêchent certaines entreprises de se lancer ?
La digitalisation peut aller de l’administratif à la technique en passant par de multiples autres niveaux, et beaucoup de sociétés – notamment les plus petites – ont des difficultés à prioriser ce qu’il est pertinent pour elles de digitaliser. Elles manquent de moyens humains, de temps et de compétences pour dresser une feuille de route en amont. Elles manquent aussi parfois de moyens financiers : une machine à contrôle numérique n’a pas le même prix qu’une machine manuelle, et l’artisan qui choisit d’investir dans une technologie innovante doit s’assurer un retour sur investissement. Il ne s’agit donc pas seulement de compétences à acquérir.
Est-ce qu’il existe des synergies avec les autres acteurs de cet écosystème dont vous parliez plus tôt ?
Nous cherchons à approfondir les collaborations car il me semble nécessaire de développer une offre intégrée, une sorte de one-stop-shop, dédié en particulier aux petites sociétés, qui créerait un fil conducteur entre la consultance, les compétences et l’offre de services des sociétés qui commercialisent des solutions digitales.
Qu’est-ce que la digitalisation peut apporter aux entreprises ?
Les solutions digitales permettent de gagner en productivité, en réactivité et en qualité. Le BIM, par exemple, parce qu’il offre une bonne intégration du devis vers les commandes de matériel, des plans de détail et d’exécution vers le suivi du chantier et le planning des équipes, peut aider les sociétés à être concurrentielles. Mais pour que cela porte ses fruits, un certain niveau d’intégration est nécessaire. Bien sûr, cela représente un investissement matériel, en temps et en ressources humaines, donc c’est une stratégie qui doit s’inscrire dans la durée.
Combien de temps cela peut-il prendre de mettre en place une stratégie de digitalisation ?
C’est un processus en constante évolution, une cible qui se déplace à mesure qu’on avance. Le développement est très rapide et l’intelligence artificielle fait sans cesse émerger de nouvelles perspectives. Cela se ressent aussi dans le domaine de la formation : des formations considérées comme innovantes il y a peu sont déjà presque obsolètes. Par exemple, il est aujourd’hui possible de générer automatiquement les bases d’un plan technique à partir de scans, et même de planifier l’implantation des conduites grâce à une IA capable d’anticiper les conflits et de respecter les normes en vigueur.
Comment vous organisez-vous pour suivre cette évolution rapide des métiers ?
Notre équipe de gestionnaires de formation ne cesse de grandir. Nous faisons une veille technologique en participant aux conférences ou en visitant les foires de la Grande Région. Nous sommes également en lien constant avec les fédérations, qui nous transmettent les besoins du terrain. Nous pouvons ainsi proposer une offre adaptée à tous les niveaux de maturité : des formations initiales pour les entreprises qui entament leur digitalisation et des formations avancées pour celles déjà engagées dans le processus.
Pour enrichir notre offre, nous faisons appel à des partenaires, comme le Digital Learning Hub, afin d’éviter toute redondance. Dans certains domaines transversaux, comme la cybersécurité, nous privilégions les programmes déjà disponibles.
En revanche, pour des thématiques plus techniques comme les calculs, la création de plans, l’élaboration d’offres ou des outils spécifiques, nous cherchons à travailler avec des acteurs déjà bien implantés sur le marché pour développer des formations liées aux solutions concrètes utilisées par les entreprises.
Quelles sont les formations incontournables en ce moment ?
Elles s’articulent autour de trois grands axes : le premier, qui n’est pas propre au secteur, est la cybersécurité ; le deuxième concerne l’optimisation de la gestion administrative et financière en vue de libérer des compétences pour pouvoir se concentrer sur les chantiers ; le troisième est le support au calcul technique : dessin 3D, transfert des plans digitaux vers les machines à contrôle numérique, intégration du flux documentaire vers le montage, la déconstruction, la réutilisation. Ce sont des choses qui sont nouvelles sur le marché luxembourgeois et, au-delà de l’identification des besoins, trouver les experts qui pourront être multiplicateurs reste un challenge.
Qui sont vos formateurs justement ?
Nos formateurs peuvent être du personnel mis à disposition par les entreprises, des vacataires également actifs dans des universités ou d’autres centres de formation, ou encore des technico-commerciaux et des formateurs internes chez certains fournisseurs.
Nous travaillons avec les fournisseurs ou constructeurs dès la phase d’innovation, afin de former nos propres multiplicateurs : lorsque nous identifions un expert métier, nous l’aidons à acquérir les compétences pédagogiques nécessaires pour transmettre ses connaissances. C’est le rôle d’un département interne dédié, qui intervient dans la conception des cours et dans le développement de compétences pédagogiques.
Quelles évolutions anticipez-vous pour les prochaines années ?
On se dirige vers une industrialisation du secteur. Les bâtiments sont de plus en plus construits à partir d’éléments préfabriqués, car cette solution est plus rapide que la construction traditionnelle « brique par brique ». Cette préproduction en atelier entraîne une évolution des métiers : calculateurs et techniciens consacreront davantage de temps à la conception, aux plans et aux relevés, afin de pouvoir commander des éléments quasiment finis, prêts à être assemblés sur chantier. Dans ce contexte, la digitalisation devient essentielle pour garantir la précision et éviter toute perte d’informations entre les différentes étapes.
Nous observons aussi une tendance à confier la gestion globale des chantiers à une société unique, qui sous-traite ensuite les différents travaux. Cela génère la nécessité d’intégrer les plateformes de communication et de standardiser les protocoles d’échanges entre entreprises, notamment en ce qui concerne le transfert de documents numériques, plans, dessins d’exécution ou rapports.
Avec l’IA, certaines tâches seront sans doute automatisées, mais toujours sous contrôle humain. Elle nous permettra de gagner en efficacité et en temps en effectuant des pré-checks, par exemple. Dans le domaine de la formation, nous utilisons déjà l’IA pour traduire des cours, collecter des informations, faire une veille technologique ou développer un support digital. Cela nous permet de développer notre offre plus rapidement et de manière plus efficace. Nous explorons également la visualisation 3D et la réalité virtuelle pour les formations pratiques. Les lunettes 3D deviennent plus abordables et permettent de créer des scénarios concrets, de compléter les ateliers physiques et de répéter certains gestes en sécurité.
Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #74 - novembre 2025
Le catalogue de formations est disponible sur cdc-formations.lu
