
Vers une filière structurée du béton recyclé au Luxembourg
Face aux défis environnementaux et à la nécessité de préserver les ressources naturelles, le secteur de la construction au Luxembourg adopte de plus en plus des pratiques durables. Dans cette perspective, prolonger la durée de vie des bâtiments grâce à la rénovation et à la réutilisation des matériaux apparaît comme une priorité.
En complément, le développement du béton recyclé contribue à réduire la dépendance aux granulats naturels et à structurer une filière circulaire plus efficiente.
Une étude, commanditée par le ministère de l’Économie et le ministère de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité et financée à travers le Fonds Climat Énergie, a permis d’évaluer le potentiel de la filière du béton recyclé, en identifiant à la fois ses opportunités et les défis à relever pour son développement. Luxinnovation GIE a assuré la consultation des parties prenantes et la préparation du dossier d’appel d’offres, tandis que l’étude a été menée par Schroeder & Associés en collaboration avec l’Université du Luxembourg. Sa supervision a été assurée par un comité de pilotage rassemblant des experts du ministère de l’Économie, du ministère de l’Environnement, du Climat et de la Biodiversité, de l’Administration des bâtiments publics, de l’Administration de l’environnement, ainsi que des représentants de Luxinnovation et de Neobuild GIE. De nombreux acteurs de la filière, notamment des producteurs de béton et de ciment, des entreprises de déconstruction et des gestionnaires de plateformes de recyclage, ont également contribué à cette étude à travers des entretiens et des analyses de terrain.
Un contexte propice mais des ressources limitées
Actuellement, une grande partie des granulats issus de la déconstruction est réutilisée dans une approche de downcycling (fait de réutiliser ces matériaux dans des applications de moindre qualité ou performance que leur usage d’origine), notamment pour la réalisation de remblais routiers et de sous-couches. Bien que cette approche permette de valoriser une partie des déchets de construction et de déconstruction, elle reste insuffisante au regard des objectifs de l’économie circulaire. Elle permet toutefois de substituer, au moins partiellement, l’usage de granulats primaires qui auraient autrement nécessité une extraction ou une importation pour la construction routière. En effet, cette utilisation à faible valeur ajoutée limite l’autonomie du Luxembourg en matériaux de construction et engendre un impact environnemental conséquent, lié à la forte dépendance aux granulats primaires importés.
L’étude souligne que les déchets de construction et de déconstruction constituent une ressource sous-exploitée. Malgré un volume significatif, avec un gisement estimé de béton recyclable situé entre 252 000 et 300 000 tonnes par an (hors quantités non déclarées ou recyclées directement sur site), l’intégration de ces matériaux dans la production de béton recyclé reste aujourd’hui très marginale.
L’étude souligne que le taux de valorisation (produits résiduels construction/déconstruction), fixé à 70 % en 2020 par la réglementation nationale et européenne (en poids de déchets non contaminés), ne reflète pas pleinement la réalité du secteur luxembourgeois. Bien que ces éléments soient souvent réutilisés dans des applications sous-valorisées comme les remblais et les sous-couches routières, le taux de recyclage global atteint environ 90 % (hors terres d’excavation) selon l’Administration de l’environnement. Ce pourcentage regroupe les déchets de construction et de déconstruction, incluant les matériaux minéraux, les déchets métalliques, le verre, les plastiques et le bois en comprenant les opérations de remblayage utilisant des déchets en substitution à d’autres matériaux.
L’enjeu est donc de favoriser le « recyclage plus noble » en intégrant ces matériaux dans la fabrication de béton (structurel ou non, préfabriqué ou non), afin de maximiser leur valeur ajoutée et de réduire l’extraction de granulats primaires.
Pour y parvenir, il est nécessaire de renforcer la traçabilité des matériaux, d’adapter le cadre réglementaire pour favoriser l’usage de granulats recyclés et de développer des incitations économiques encourageant les acteurs de la construction à adopter ces solutions. Seule une approche globale associant réglementation, infrastructures et accompagnement des professionnels permettra de lever les freins liés au sourcing et d’accélérer la transition vers une filière du béton recyclé performante au Luxembourg.
Bases légales et normatives : des avancées nécessaires
Le cadre réglementaire européen, notamment la directive-cadre sur les déchets et la taxonomie verte, encourage une transition vers une économie circulaire.
La norme FprEN1992-1-1 n’étant pas encore en vigueur, la référence actuelle au Luxembourg reste le document national d’application, dénommé ILNAS EN206:2013+A2:2021/prDNA-LU:2022, qui représente le complément national à la norme européenne EN206 pour dans le domaine du le béton. Y sont distingués trois types de granulats récupérés : lavés, concassés et grossiers recyclés. Seuls les granulats grossiers (≥ 4 mm) sont pris en compte, sans recommandation pour les sables recyclés. Selon la classe d’exposition, jusqu’à 30 % des granulats peuvent être remplacés par des granulats recyclés de type A (origine connue). Les granulats de type B sont limités aux classes X0 à X2 et aux bétons jusqu’à classe de résistance C30/37.
L’étude souligne également l’importance d’un contrôle qualité rigoureux des granulats recyclés pour garantir des performances équivalentes au béton traditionnel. L’enjeu est d’établir des standards précis adaptés aux besoins nationaux, tout en harmonisant les pratiques avec les réglementations européennes.
Un gisement exploitable mais sous-évalué
L’évaluation du gisement de béton recyclable repose sur des analyses géospatiales et des projections démographiques. L’étude estime que les bâtiments en fin de vie au Luxembourg pourraient générer plusieurs centaines de milliers de tonnes de béton recyclé chaque année, offrant une opportunité significative pour le secteur.
Cependant, l’absence de cartographie détaillée de ces stocks de béton et des flux de démolition freine une planification efficace. Une meilleure identification des sources potentielles de granulats recyclés permettrait d’optimiser la gestion des matériaux et d’anticiper leur intégration dans la chaîne de valeur.
Les acteurs de la filière et leur rôle clé
La mise en place d’une filière du béton recyclé implique une coordination entre plusieurs acteurs :
- producteurs de béton et cimentiers : ils doivent adapter leurs procédés pour intégrer une part croissante de granulats recyclés tout en assurant la conformité aux normes de résistance et de durabilité ;
- entreprises de déconstruction et gestionnaires de plateformes de recyclage : un tri plus poussé et efficient des matériaux dès la déconstruction est essentiel pour garantir une qualité optimale des granulats ;
- administrations et maîtres d’ouvrage : le secteur public peut jouer un rôle moteur en intégrant des critères de circularité dans les marchés publics et en favorisant l’utilisation de béton recyclé dans les infrastructures.
L’étude propose également de développer un réseau de plateformes locales de recyclage, afin de limiter les coûts et l’impact du transport des matériaux.
Freins et leviers pour une filière durable
Malgré un contexte favorable, plusieurs freins entravent encore le développement du béton recyclé :
- coût et compétitivité : l’impact économique du béton recyclé sur le long terme reste à ce jour incertain. En Suisse, son coût de production est similaire à celui du béton traditionnel, mais les disparités économiques entre 2 pays limitent la pertinence d’une comparaison généralisée.
- manque de confiance des acteurs : certains professionnels restent sceptiques quant aux performances du béton recyclé, notamment pour des applications structurelles notamment vis-à-vis de la qualité et de la durabilité des granulats recyclés, limitant leur acceptation sur les chantiers ;
- l’absence de filière organisée et structurée pour la récupération et le traitement des granulats recyclés, empêchant une mise à disposition régulière et en quantité suffisante des matériaux mais aussi un manque de coordination entre les parties prenantes freine le déploiement d’un modèle économique viable ;
- un déficit d’infrastructures de tri et de transformation dédiées, rendant la séparation des fractions réutilisables plus complexe et coûteuse ;
- un manque de visibilité sur les gisements disponibles, lié à l’absence d’une cartographie précise des matériaux issus des bâtiments en fin de vie.
Pour lever ces obstacles, l’étude recommande plusieurs actions stratégiques :
- mettre en place une certification nationale garantissant la qualité du béton et des granulats recyclés en instaurant un cadre normatif clair ;
- inciter financièrement les acteurs via des subventions éventuelles pour encourager l’utilisation de granulats recyclés ;
- renforcer la sensibilisation et la formation des professionnels afin d’intégrer progressivement le béton recyclé dans les pratiques courantes ;
- développer des marchés de débouchés en intégrant le béton recyclé dans les cahiers des charges des grands projets d’infrastructure.
Perspectives et prochaines étapes
L’étude conclut sur l’importance de développer une stratégie nationale baptisée « R-Béton Lux », visant à structurer une filière performante du béton recyclé. Cette initiative pourrait inclure la création d’un label qualité, l’optimisation des circuits de collecte et la mise en réseau des acteurs.
Enfin, dans le cadre du Green Deal européen, le Luxembourg a une opportunité unique d’être précurseur en matière d’économie circulaire appliquée au béton. Un engagement concerté des autorités, des industriels et des maîtres d’ouvrage permettra d’accélérer cette transition vers une construction plus durable et résiliente.
Schroeder & Associés : Elise Mathien, Fabio Proietti et Marc Feider, avec l’appui de l’équipe communication
University of Luxembourg, Department of Engineering : Prof. Dr.-Ing Markus Schäfer et Dr. Jeff Mangers
Neobuild GIE : Régis Bigot et Luc Meyer
Article paru dans Neomag #71 - juin 2025