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Jumeau numérique : élément essentiel du cycle de vie d'un bâtiment ?

Jumeau numérique : élément essentiel du cycle de vie d’un bâtiment ?

Le jumeau numérique joue un rôle clé dans le cycle de vie d’un bâtiment en permettant une meilleure conception, gestion et optimisation des performances. Cette technologie, qui consiste à créer une réplique virtuelle d’un bâtiment physique, offre des avantages significatifs en termes de simulation, de maintenance et de prise de décision.

Une révolution indiscutable pour le secteur du bâtiment

Bien que l’application du BIM reste encore timide au Luxembourg, cette méthodologie représente un levier majeur de transformation pour le secteur, offrant un potentiel considérable en matière de collaboration, de qualité de conception et d’optimisation du cycle de vie des bâtiments. La modélisation intégrée au jumeau numérique facilite la collaboration entre les différents acteurs du projet, notamment les architectes, les bureaux d’études, les maîtres d’ouvrage et les entreprises de construction. Vous êtes-vous déjà interrogés sur « l’après-construction », et sur la manière dont il sera possible d’ajuster de façon précise les usages et le fonctionnement des systèmes techniques afin d’optimiser durablement les performances énergétiques du bâtiment en OPEX ?

De la conception à l’exploitation : un outil transversal

Dès la phase de conception, le jumeau numérique offre une vision systémique du projet. En s’appuyant sur des données correctement structurées et des applications logicielles dédiées, il permet par exemple d’évaluer l’impact quant aux choix des matériaux, quant à la performance énergétique ou encore d’anticiper les besoins en termes de maintenance tout au long du cycle de vie du bâtiment. Lors de la phase de construction, il facilite le suivi du chantier en permettant une comparaison constante via la « réalité augmentée ». Une mise à jour continue des données permet de garantir un contrôle précis des avancements et des conformités. En phase d’exploitation, le jumeau numérique devient un outil essentiel pour la maintenance prédictive. Il permet de détecter des anomalies, d’anticiper les défaillances éventuelles et d’optimiser la consommation énergétique en ajustant automatiquement certains paramètres - besoins en chauffage, en ventilation, en éclairage, etc., en tenant compte d’un deep learning appliqué.

Un outil de simulation et d’aide à la décision… même en OPEX

Le jumeau numérique se distingue par sa capacité à simuler, mais surtout à documenter les divers scénarios avant leur mise en œuvre réelle. Cette approche réduit les risques d’erreurs et permet une prise de décision éclairée. Prenons l’exemple d’une intervention de rénovation légère ou de dépannage : qui n’a jamais été confronté à la difficulté de localiser une vanne en se basant sur un plan as-built obsolète ou incomplet ? Un digital twin peut aider à identifier, localiser et objectiver les améliorations les plus pertinentes en termes d’économie d’énergie et de confort des usagers. Dans les bâtiments intelligents, le jumeau numérique peut être utilisé pour optimiser la gestion des flux (personnes, énergies, air, eau) et réduire ainsi les dépenses inutiles. Il contribue également à une meilleure expérience utilisateur en adaptant les espaces aux besoins des occupants.

Le jumeau numérique, pilier d’une maintenance intelligente et prédictive

Au-delà de la conception et de l’exploitation, le jumeau numérique devient une brique essentielle d’une nouvelle approche de maintenance : la maintenance orientée données (Data Driven Maintenance ou DDM). Grâce à l’intégration de capteurs, d’outils d’analyse et de l’intelligence artificielle, il permet d’anticiper les défaillances, d’optimiser les interventions et de prolonger la durée de vie des équipements. Contrairement aux méthodes traditionnelles (maintenance préventive rigide ou corrective réactive), le jumeau numérique permet une maintenance conditionnelle et intelligente, déclenchée par l’analyse en temps réel du comportement des systèmes. Ce changement de paradigme offre plusieurs avantages : réduction des coûts d’entretien, diminution des interruptions de service, amélioration du confort des usagers et potentiel allongement du cycle de vie des installations techniques via un ajustement réel des paramètres. Un des exemples concrets est l’utilisation de plateformes comme PEAK, qui s’appuient sur le jumeau numérique pour détecter automatiquement les anomalies via des algorithmes de diagnostic avancés (AFDD). Les alertes sont contextualisées, documentées, et peuvent être immédiatement assignées à des équipes d’intervention. Cela réduit drastiquement les temps de réponse et renforce la responsabilisation des prestataires et les lourdes interactions avec la GMAO.

De plus, l’approche orientée données favorise une gestion dynamique des contrats de maintenance. Au lieu de calendriers figés, les prestataires sont évalués sur des indicateurs de performance objectifs (KPI), liés à la réduction des pannes, à l’efficacité énergétique ou encore à la satisfaction des occupants. L’optimisation des ressources humaines et techniques devient alors un processus continu, piloté par des données/indicateurs comme des KPI. Les rapports d’état gagnent en objectivité, permettant d’évaluer plus précisément la performance d’un prestataire ou de structurer une démarche d’amélioration continue en interne. En synthèse, le jumeau numérique - couplé à une stratégie de maintenance orientée « données », transforme la gestion des bâtiments en un processus proactif, agile et durable. Il ne s’agit plus seulement de réparer, mais d’anticiper, d’optimiser et de valoriser les actifs immobiliers sur toute leur durée de vie.

Les précautions à prendre

Malgré ses nombreux avantages, l’utilisation du jumeau numérique présente certains défis. Parmi eux, l’interopérabilité des systèmes et des données est essentielle pour garantir une utilisation fluide et efficace. La cybersécurité est également un enjeu majeur, car la centralisation des données dans un modèle unique peut constituer une vulnérabilité. Il est donc primordial de définir en amont des standards et des protocoles de sécurité pour assurer une intégration harmonieuse du jumeau numérique ; en outre, une formation adaptée des acteurs du projet est nécessaire pour exploiter pleinement son potentiel.

L’apport du BIM et de BIMids

Le Building Information Modeling (BIM) constitue une base essentielle pour le développement du jumeau numérique. En modélisant les différents éléments du bâtiment, le BIM permet de structurer les informations nécessaires à la création du jumeau numérique. Cependant, en pratique, l’utilisation du BIM peut rencontrer des difficultés, notamment en raison de la diversité des conventions adoptées par chacun des partenaires. C’est ici qu’intervient BIMids, une plateforme qui aide à définir le niveau d’information attendu dans les modèles BIM.

BIMids offre une référence commune pour tous les acteurs, permettant une meilleure collaboration et un partage efficace des données. Parmi ses avantages, citons la définition claire des exigences par élément de construction, l’implémentation facilitée via des fichiers de configuration ou encore le contrôle automatisé de la qualité des modèles IFC. Cette approche simplifie l’usage du BIM et facilite la transition vers une exploitation efficace du jumeau numérique.

En conclusion

Le jumeau numérique s’impose comme un outil incontournable pour le bâtiment durable et intelligent. En offrant une vision globale du cycle de vie du bâtiment, il améliore la prise de décision, optimise les performances énergétiques et réduit les coûts d’exploitation. Son succès repose sur une mise en œuvre rigoureuse et une collaboration efficace entre les différents acteurs du projet. En centralisant les données issues du BIM, des capteurs et des systèmes techniques, le digital twin appliqué permet non seulement de mieux concevoir, mais surtout de mieux exploiter, mieux entretenir et mieux décider. Il répond ainsi à des enjeux concrets : efficacité énergétique, confort des usagers, réduction des coûts, anticipation des pannes, ou encore amélioration continue des processus internes et des prestations externes.

Outil transversal, il s’impose comme un solution future incontournable à toutes les étapes du cycle de vie d’un bâtiment : de la conception à l’exploitation, en passant par la maintenance. Il ne s’agit plus uniquement de visualiser ou de modéliser, mais bien de piloter activement et intelligemment les performances techniques, énergétiques et fonctionnelles des actifs immobiliers. Dans un contexte où le secteur du bâtiment est responsable de 39 % des émissions mondiales de carbone liées à l’énergie - dont 28 % liées à l’exploitation et 11 % à la construction, cet outil devient un levier stratégique majeur. En intégrant finement les données d’OPEX, le jumeau numérique permet de mesurer objectivement les coûts d’exploitation, d’identifier les gisements d’économies et de quantifier le poids carbone associé à chaque usage ou système technique, apportant ainsi une réponse concrète aux exigences de la décarbonation et du pilotage bas carbone. Son intégration progressive dans les pratiques du secteur, bien qu’encore limitée ouvre la voie à une véritable révolution opérationnelle. Il est temps de considérer le jumeau numérique non plus comme une innovation en marge, mais comme un investissement structurant au service d’un immobilier plus résilient, responsable et rentable.

Les pouvoirs publics renforcent leur stratégie dédiée à l’intelligence artificielle, notamment avec le lancement du supercalculateur MeluXina-AI (112 M€) et prévoient une stratégie nationale dédiée en 2025 afin de stimuler l’innovation et la compétitivité des entreprises, n’est-ce donc pas le moment de s’y intéresser ? Au-delà de l’aspect purement technologique, le succès du jumeau numérique repose sur l’alignement des acteurs, la standardisation des pratiques, et l’adoption progressive d’outils métiers pour fiabiliser les modèles. Il implique également une montée en compétences et une vigilance accrue sur les aspects d’interopérabilité et de cybersécurité.

Luc Meyer – Ingénieur Technique, directeur de Neobuild GIE
Article paru dans Neomag #70 - avril 2025