
Garantir la quantité, la qualité et la durabilité de l’approvisionnement
Assurer un approvisionnement fiable en matières premières et en combustibles, en privilégiant des alternatives durables, est au cœur de la mission de la responsable des achats stratégiques, un rôle-clé dans la transition vers un ciment décarboné.
Interview de Catherine Martinet, en charge des achats stratégiques chez CIMALUX.
Pourriez-vous décrire votre parcours professionnel et ce qui vous a amenée à ce poste ?
J’ai débuté ma carrière dans les achats de matières annexes et de packaging dans l’industrie agroalimentaire. Par la suite, j’ai passé plus de 25 ans au sein d’une entreprise internationale de production et de vente de polyester industriel. J’ai d’abord géré les achats à l’échelle nationale, puis européenne, avant de m’expatrier deux ans aux États-Unis où j’ai assumé le rôle de directrice des achats et des matières premières polyester. De retour en Europe, j’ai poursuivi mon parcours dans la même entreprise, pour me focaliser sur les matières premières et les produits chimiques de la division Fibres du groupe. J’ai occupé ce poste jusqu’à ce que CIMALUX me contacte, il y a un peu plus d’un an, pour me proposer d’accompagner l’entreprise dans son projet de décarbonation, sur une mission d’achat stratégique. J’ai tout de suite été séduite par l’intérêt du sujet dans le contexte industriel et sociétal actuel.
Qu’entend-on par achats stratégiques dans l’industrie cimentière ?
Chez CIMALUX, les achats stratégiques concernent principalement les matières et les combustibles, ainsi que leurs substituts respectifs, de même que l’énergie. Les matières jouent un rôle crucial dans la transition vers un ciment moins carboné. Je pense notamment à la fabrication du clinker, un composant essentiel du ciment, dans laquelle utiliser des alternatives permet de réduire significativement les émissions de CO₂. L’objectif est d’assurer la sécurisation de l’approvisionnement à moyen et long terme.
Quels sont les défis liés à cette mission ?
Les défis sont de garantir la disponibilité des matières de substitution en quantité suffisante, car l’industrie cimentière requiert des volumes considérables, ainsi que la qualité de ces matières. Il est également essentiel d’anticiper la disparition de certaines de ces ressources et d’identifier des alternatives capables d’assurer les mêmes performances afin de pouvoir poursuivre la réduction de notre empreinte carbone.
Comment intégrez-vous les principes de la RSE dans votre stratégie d’achats ?
Le sujet est encore relativement récent. C’est pourquoi il faut l’intégrer dès le début des discussions, afin d’instaurer un véritable partenariat avec nos fournisseurs pour favoriser cette transition. Prendre en compte les critères RSE dans le choix de nos fournisseurs est essentiel, mais peut s’avérer complexe. En effet, lorsque nous posons des questions sur leur engagement environnemental, leur conformité aux normes anticorruption ou encore les droits humains, les réponses sont souvent positives, mais la plupart des entreprises ne sont pas encore en mesure de documenter ces engagements.
Notre rôle, au sein des achats, est donc aussi de promouvoir une culture RSE et de sensibiliser nos fournisseurs à son importance, non seulement pour répondre aux exigences réglementaires, mais aussi pour contribuer à une transformation durable de la société.
Comment voyez-vous l’évolution de la mission de responsable des achats stratégiques ?
C’est une fonction en pleine mutation. Il y a 25 ans, le rôle de l’acheteur se résumait à négocier un bon rapport qualité-prix. Aujourd’hui, les attentes sont bien plus larges : il s’agit aussi de s’assurer que les fournisseurs répondent à certaines exigences en matière de conformité et de responsabilité sociétale. Cette mutation renforce la notion de partenariat et impose un changement de culture. L’objectif est d’instaurer une dynamique où les entreprises progressent ensemble, pour un résultat gagnant-gagnant, non seulement pour elles, mais aussi pour la société dans son ensemble. Cela donne d’autant plus de sens et d’intérêt à la fonction achat.
Quelles sont les compétences essentielles pour réussir dans ce poste ?
Il faut aimer le dialogue et être sans cesse à la recherche du compromis. Au fil de ma carrière, j’ai rencontré de nombreux acheteurs, et ceux qui ont réussi sont ceux qui savent écouter, échanger et trouver un terrain d’entente au bon moment. La clé réside dans une communication honnête, une éthique irréprochable et une capacité à prendre en compte l’intérêt collectif. Il s’agit d’avoir une vision intégrant les enjeux sociétaux, ce qui est d’autant plus pertinent pour une industrie lourde comme la nôtre dans un contexte où les pays s’engagent à réduire leur empreinte carbone.
Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un souhaitant se lancer dans ce métier ?
Je lui dirais d’être honnête avec lui-même avant de l’être avec ses partenaires. L’éthique, l’équité et le respect mutuel sont essentiels. Il faut respecter chaque entreprise et chaque personne, car on ne réussit jamais seul. Le succès se construit ensemble, avec ses partenaires.
Le mot de Christian Rech, fondé de pouvoir chez CIMALUX, sur la place des achats stratégiques dans le bilan carbone de l’industrie cimentière
« Bien que les émissions liées à la fabrication du ciment restent prédominantes dans notre industrie, les matières achetées - des centaines de milliers de tonnes par an - et leur transport ont également un impact significatif.
Les achats stratégiques jouent un double rôle : assurer un approvisionnement stable sur le long terme et servir de levier de décarbonation. L’intégration de matières premières de substitution décarbonées permet en effet de réduire à la fois la consommation d’énergie et les émissions de CO₂. Jusqu’à présent, nous avons pu maintenir de bonnes performances grâce à l’accès à certaines de ces matières, mais celles-ci sont limitées et finiront par s’épuiser. C’est le cas, par exemple, du laitier de haut fourneau, un composant clé du ciment dont l’évolution de l’industrie sidérurgique tend à réduire la disponibilité. Il est donc essentiel de sécuriser d’autres sources d’approvisionnement, tout en intégrant de nouveaux critères environnementaux.
La CSRD et la taxonomie européenne imposent désormais une transparence accrue sur les impacts des entreprises sur l’environnement et la société. Si les grands groupes disposent des moyens pour documenter leur impact extra-financier, de nombreux fournisseurs – notamment les PME – ont encore des difficultés à le faire. Il faudrait donc définir des standards homogènes et intégrer ces critères dans les appels d’offres ».
Mélanie Trélat
Article tiré de Neomag #69 - mars 2025