
Évaluer les bénéfices des solutions basées sur la nature en ville
Le LIST a développé NBenefit$, un outil web innovant destiné à anticiper dès la phase de conception les coûts et bénéfices environnementaux, économiques, et sociaux de différents scénarios de réintroduction de la nature en milieu urbain.
Rencontre avec Claudio Petucco, Lead R&T Scientist SUSTAIN Unit et LCSA Group, au LIST - Luxembourg Institute of Science and Technology
Le point de départ du projet
L’augmentation constante de la population, en particulier dans les villes, soulève de nombreuses problématiques : il faut gérer les îlots de chaleur qui rendent les rues suffocantes, intégrer des espaces verts pour l’activité physique et les loisirs afin de préserver le bien-être et la santé des habitants, mais aussi mitiger les impacts de l’urbanisation sur la biodiversité. « Lorsque l’urbanisation de terrains naturels devient inévitable pour loger dignement les habitants, il est de notre responsabilité de réduire ces impacts au minimum et d’intégrer la nature à chaque étape : planification, conception et gestion à long terme », souligne Claudio Petucco, du LIST.
Des solutions fondées sur la nature
Des solutions existent, et elles sont inspirées par la nature : « Il s’agit de planter des arbres dans les rues, de créer des parcs, des toitures vertes, des façades végétalisées… », énumère-t-il. Mais avant de faire cela, et pour le faire de manière judicieuse, il fallait quantifier les services écosystémiques, c’est-à-dire les multiples contributions de la nature à la société : stocker le carbone, purifier l’air, favoriser l’infiltration de l’eau donc éviter le ruissellement, réguler la température et l’humidité, fournir des habitats aux insectes et aux oiseaux, sans compter l’apport esthétique et en termes de bien-être. C’était l’objet des projets Values et Estimum, tous deux menés il y a une dizaine d’années et financés par le Fonds National de la Recherche (FNR).
Un modèle mathématique pour simuler l’évolution de l’arbre
La deuxième étape consistait dans le développement d’un prototype d’application web, reposant sur des archétypes de différents arbres, permettant d’accompagner la planification et le design des zones vertes urbaines ; une étape réalisée dans le cadre du projet Nature4Cities (Horizon 2020). La méthodologie utilisée combine différentes disciplines, dont la modélisation dynamique qui permet de simuler l’évolution d’un arbre dans le temps : sa croissance, son diamètre, sa hauteur, sa couronne, à quelle période de l’année il a des feuilles, sa réaction en cas de canicule et sa potentielle mortalité, le tout en prenant en considération les conditions climatiques et contextuelles. « Nous avions besoin de comprendre comment un arbre que nous plantons en ville va évoluer dans les décennies à venir, car les décisions prises aujourd’hui impacteront les générations futures », précise Claudio Petucco.
Prendre en considération les impacts humains et les coûts financiers
Une fois ces données scientifiques projectives acquises, les inputs humains ont été observés. « Le fait d’implémenter une solution fondée sur la nature en ville a aussi un impact », explique-t-il, « car un arbre a besoin d’être planté, entretenu, remplacé s’il meurt... Et tout cela, forcément, génère des activités humaines qui nécessitent des machines, des ressources, ce qui doit être pris en compte pour ne pas surestimer les services écosystémiques. Autrement dit, l’arbre séquestre du carbone mais, dans le même temps, la gestion de cet arbre génère des émissions. Cette part d’émissions doit être retranchée pour obtenir les bénéfices nets d’un point de vue biophysique ».
Toutes ces opérations sont également chiffrées selon une approche de cycle de vie, de la mise en œuvre à l’entretien puis à la fin de vie, pour éviter que « une administration publique qui prévoit d’aménager un espace vert jette son argent par les fenêtres en sélectionnant des essences qui ne sont pas adaptées au site et risquent de mourir d’ici cinq ou dix ans ».
Des tests grandeur nature
L’outil a ensuite été testé dans le parc Valdebebas à Madrid, toujours dans le cadre du projet Nature4Cities. Plusieurs scénarios ont été simulé dans NBenefit$ : un type d’aménagement prévoyait quatre essences d’arbres différentes, sans pavés, un autre, seulement deux essences, avec des surfaces pavées, par exemple. Pour chaque configuration, les bénéfices générés ont été évalués, à la fois du point de vue biophysique (captation de carbone, ombrage, etc.) et économique. « Ce qui est intéressant, c’est que nous avons pu identifier des projets qui, sur le papier, semblaient peu coûteux à mettre en œuvre parce qu’ils nécessitaient peu d’interventions : tout était pavé, donc pas besoin de ramener de la terre ou de préparer les sols, et un seul type d’arbre avait été choisi. Mais au final, nous avons constaté une forte mortalité des plantes, un besoin important d’irrigation, et des risques élevés de chocs thermiques à cause de la mauvaise infiltration de l’eau. Résultat : même si les coûts d’installation étaient faibles au départ, les coûts globaux à long terme devenaient bien plus élevés que dans d’autres scénarios a priori plus qualitatifs », raconte Claudio Petucco.
« Un autre cas d’étude est actuellement mené dans le quartier Giambellino-Lorenteggio à Milan, dans le cadre du projet Horizon Europe REGEN encore en cours. Ce projet a pour ambition de décarboner et revitaliser quelque 210 logements et leur environnement en combinant rénovation du bâti, mobilité durable, participation citoyenne et création d’espaces publics plus verts. Dans ce contexte, nous mettons à disposition l’outil NBenefit$, composante de la REGEN Toolbox, pour comparer différents scénarios de solutions fondées sur la nature et orienter la conception des nouvelles zones vertes du quartier. L’intérêt pour la municipalité est double : d’une part, elle peut évaluer l’impact des différents designs sur les coûts à court et long terme et d’autre part, elle peut aussi à comprendre les retombées sociales de ce type d’investissement ».
Un outil précieux pour les villes, mais aussi pour les aménageurs
Actuellement, le LIST travaille à valoriser l’outil et à le porter sur le marché grâce au financement du programme JUMP du FNR. Concrètement, NBenefit$ offre aux urbanistes, architectes, collectivités et gestionnaires d’espaces publics un support d’aide à la décision, qui leur permet de prioriser les bons choix végétaux et de bâtir des villes plus durables.
« Nous avons, par exemple, testé l’outil auprès d’un bureau d’étude italien, dans le cadre d’un projet dans la ville de Turin. Le client final était la municipalité. Le bureau d’études a projeté plusieurs designs de solutions basées sur la nature dans notre outil, et a ensuite présenté différentes options à la ville afin qu’elle puisse décider de la meilleure implémentation à mettre en place ».
Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #72 - juillet 2025