
Entre aménagements publics et territoires ruraux
Le syndicat intercommunal Distribution d’Eau des Ardennes livre sa vision sur les enjeux liés à la gestion de l’eau dans les projets d’aménagement public au Luxembourg.
Interview de Sophie Hellinghausen, chargée d’études, et Marc Schroeder, ingénieur et directeur de la DEA.
Pourriez-vous nous présenter la Distribution d’Eau des Ardennes ?
Marc Schroeder : La DEA regroupe 28 communes. Son réseau couvre un tiers de la surface du pays. Il est constitué de plus de 460 km de conduites, 13 stations de pompage, 22 réservoirs régionaux, 6 sources et 3 forages. Il alimente 75 000 personnes vivant entre la commune de Calmus et la localité de Huldange, au Nord du pays.
Quels sont les enjeux liés à la gestion de l’eau potable dans les projets d’aménagement et de travaux publics ?
Sophie Hellinghausen : Nos conduites doivent être posées à travers un terrain complexe, souvent composé de formations rocheuses, avec un important dénivelé à franchir. L’enjeu est de définir le tracé optimal : techniquement réalisable, sécurisé pendant la construction, garantissant une exploitation sûre à long terme et restant dans le budget prévu.
Trouver de nouveaux tracés est de plus en plus difficile. Les conduites autrefois posées dans des champs longeant les routes nationales et communales doivent souvent être déplacées pour faire place à de nouvelles constructions, avec l’extension des plans d’aménagement. Elles interfèrent également régulièrement avec les projets de l’Administration des ponts & chaussées - notamment l’élargissement des routes nationales - auquel cas nous collaborons ensemble pour déterminer si et comment elles peuvent être déplacées.
Pour éviter ce type d’opérations, nous recherchons désormais des tracés en dehors des zones urbaines. Cependant, cela entraîne d’autres contraintes. D’abord, les réglementations en matière d’environnement et de biodiversité nous obligent à éviter certaines zones écologiquement sensibles. Il est toutefois possible de les traverser, mais cela implique des études d’impact préalables longues et coûteuses. De plus, ces traversées sont strictement encadrées, notamment en ce qui concerne les méthodes de travail autorisées et, surtout, les périodes pendant lesquelles les travaux peuvent être réalisés. Et puis, il y a la nécessité d’obtenir des accords fonciers lorsqu’un tracé passe sur des terrains privés. Il s’agit d’une étape administrative souvent longue et fastidieuse, qui exige beaucoup de diplomatie.
Qu’est-ce qui vous permettrait de contourner ces problèmes ?
MS : Une solution serait d’établir des corridors réservés aux infrastructures d’intérêt public, comme les réseaux d’eau potable.
Par ailleurs, nous souhaitons une mise en œuvre rapide de la simplification administrative, dont on parle si souvent au niveau politique.
Comment la DEA s’intègre-t-elle dans les projets d’aménagement du territoire et d’infrastructures ?
MS : Nous collaborons étroitement avec les communes membres, tant au niveau politique que technique. Nous sommes toujours à leur écoute pour émettre des avis techniques sur la distribution d’eau potable dans leurs réseaux locaux.
Au niveau national, nous échangeons régulièrement avec les ponts & chaussées et, au niveau régional, avec d’autres syndicats intercommunaux comme le SIDEN ou le SIDERO, ainsi qu’avec de nombreux acteurs comme POST ou Creos pour trouver des synergies et réaliser des projets communs. Par exemple, nous avons récemment signé des conventions pour échanger des câbles pour la mise en place de réseaux fibres optiques.
Quels sont les projets en cours ?
SH : Nous sommes en train d’assainir nos sources d’eau. En juin 2025, a été remise en service notre source la plus importante en termes de débit (1 000 m3/jour, en moyenne) - le Kaschbur, à Ehner - qui a été captée en 1926. À ce stade, 3 de nos 6 sources ont été assainies. La phase d’exécution pour la prochaine – la source Béik, à Calmes - est prévue pour 2026.
Nous mettons actuellement en place une stratégie de sécurisation de notre réseau de distribution en implantant de plus grandes réserves d’eau moyennant l’extension de nos réservoirs et l’interconnexion de ces réserves. Dans ce contexte, nous avons inauguré, en juin 2025, un nouveau réservoir d’eau potable de 2 000 m3 à Huldange, le triple des capacités de l’ancien réservoir régional en place depuis 1959. Le site choisi, Buergplaz, est stratégique : situé au point culminant du pays à 559 mètres d’altitude, il est alimenté par deux adductions distinctes - l’une depuis Marnach, l’autre depuis Troisvierges - ce qui permet d’assurer une alimentation de secours en cas de perturbation sur l’un des tronçons.
Les travaux de terrassement pour un autre réservoir de 600 m3 au lieu-dit Bëlzknapp, à Clervaux, viennent de commencer et sa mise en service est prévue pour mi-2027.
D´autres réservoirs régionaux à Marnach, Useldange, Roullingen et Eschdorf sont en phase d’étude. Ce dernier sera le plus grand réservoir d’eau potable en acier inoxydable au Luxembourg avec 3 cuves de 3 000 m3, détrônant celui de Derenbach - lui aussi construit et exploité par la DEA - qui regroupe 2 cuves de 2 000 m3.
Nous visons aussi la construction d’environ 8 km de conduites d’eau chaque année, soit pour remplacer les conduites existantes trop petites ou abimées, soit pour élargir notre réseau. La pose des conduites d’adduction et de distribution du nouveau réservoir au lieu-dit Bëlzknapp entrera bientôt en phase d’exécution.
Un autre projet en phase d’exécution est la pose, entre Wincrange et Troisvierges, de nouvelles conduites d’un diamètre plus important et avec un revêtement supplémentaire en mortier de ciment les rendant plus robustes et durables. Les 8 premiers km seront mis en service fin 2025. Ce tronçon est en lien direct avec le nouveau réservoir d’Huldange et avec notre stratégie de résilience permettant de garantir, en cas de perturbation sur l’un des tronçons, une alimentation temporaire via le second.
Comment intégrez-vous les notions de durabilité et de résilience dans votre approche ?
MS : Notre objectif est d’optimiser et de moderniser la distribution en eau potable.
Ainsi, nous remplaçons de manière ciblée les réseaux vétustes ou de diamètre insuffisant exclusivement par des conduites en fonte ductile avec un revêtement supplémentaire en mortier de ciment (ZMU-Beschichtung) les rendant plus robustes et durables – portant leur durée de vie à une centaine d’années, contre 50 à 80 ans pour les anciens tuyaux.
Nous sommes très attentifs à la détection des fuites. C’est pourquoi nous surveillons les consommations quotidiennes et proposons gratuitement aux communes membres notre service de localisation des fuites sur site. Une IA est actuellement en phase de test pour nous aider à détecter les irrégularités dans la consommation.
La construction de nouveaux réservoirs permet d’augmenter considérablement nos capacités de stockage. Les nouvelles cuves ne sont plus en béton armé, mais en acier inoxydable, un matériau plus résistant à la corrosion même en milieu humide, qui garantit une meilleure hygiène, un entretien réduit, un montage plus rapide et une réduction des pertes.
Depuis plusieurs années, nous mettons en place un système de supervision intelligente en temps réel, qui permet d’optimiser la gestion de la distribution en fonction des données collectées en continu. Nos réservoirs et ceux des communes membres sont en train d’être interconnectés pour optimiser leurs niveaux de remplissage selon les besoins réels de sorte à gérer la ressource eau le plus efficacement possible.
Pour atteindre cet objectif, il faut des réseaux de télécommunication performants et redondants. Nous déployons donc notre propre réseau de fibre optique afin de créer une redondance, voire de fonctionner de manière indépendante des prestataires externes.
Les technologies actuelles de surveillance et le fonctionnement des pompes nous rendent très dépendants de l’électricité. C’est pourquoi nous avons introduit des procédures pour garantir l’approvisionnement en eau potable en cas de crise : plusieurs groupes électrogènes de secours ont été acquis et nos bâtiments seront progressivement équipés de panneaux photovoltaïques et de batteries.
Données
- 28 communes
- 1/3 de la surface du pays
- 460 km de conduites
- 13 stations de pompage
- 22 réservoirs régionaux
- 6 sources
- 3 forages
- 75 000 personnes alimentées en eau potable
Mélanie Trélat
Article paru dans Neomag #73 - septembre 2025