
Réemploi et technologies : vers une construction circulaire et performante
Parmi les leviers majeurs de la décarbonation du secteur du bâtiment, le réemploi des matériaux se distingue par son potentiel immédiat et concret. Longtemps considéré comme une pratique artisanale ou expérimentale, le réemploi entre désormais dans une nouvelle ère.
Une ère portée entre autres par des avancées technologiques qui permettent de répondre aux exigences de massification, de qualité et de compétitivité. Un changement de paradigme est en marche : il s’appuie sur l’alliance entre expertise technique et innovations numériques.
Réemploi : d’une logique expérimentale à une ambition industrielle
Au Luxembourg, le recours à des matériaux de seconde vie reste encore limité à quelques projets pilotes. Mais les exemples inspirants ne manquent pas dans les pays voisins. La filière s’organise, se professionnalise, et surtout, s’industrialise. Quelques exemples :
- En France, Resya a développé une machine mobile pour le nettoyage et la remise en état de briques, facilitant leur réintégration rapide dans de nouveaux projets tout en réduisant l’empreinte carbone en amont.
- En Suisse, l’EPFL a développé un processus de réemploi de dalles et voiles en béton armé à travers des projets pilotes. Une mise en pratique du réemploi du béton sur une échelle plus grande pourrait prochainement voir le jour au Luxembourg.
- Au Royaume-Uni, le réemploi de profilés métalliques est désormais une pratique courante, soutenue par une logistique et une traçabilité structurée, vu l’existence d’un cadre normative européen concernant le réemploi d’acier structurel.
- En Belgique, la plupart des matériaux de second œuvre de réemploi sont désormais disponibles en seconde main, avec des quantités suffisantes pour imposer des clauses concernant le réemploi dans plusieurs marchés publics.
Le Luxembourg, bien que moins avancé, n’est pas en reste. L’imposition concernant l’inventaire des matériaux, s’il est mené dans le but de les proposer au réemploi permet une démarche circulaire et constitue donc une avancée notable. Ces inventaires, assortis d’informations techniques précises, facilitent la mise en marché et l’usage de ces matériaux dans des projets neufs ou en réhabilitation. Il n’existe cependant pas encore d’incitant vers ces inventaires orientés réemploi.
Réhabiliter plutôt que reconstruire : priorité à la sobriété structurelle
L’un des gestes les plus efficaces pour limiter l’impact environnemental d’un projet reste la réhabilitation, dès lors qu’elle permet de conserver les éléments de gros œuvre. Ce principe, bien intégré par les gestionnaires d’infrastructures (ponts, tunnels, viaducs), s’appuie sur des campagnes de monitoring structurel pour guider les décisions.
Ces campagnes, fondées sur l’observation dans le temps, s’enrichissent de technologies innovantes :
- suivi de la corrosion des aciers ou des déformations différées des bétons,
- mesures à distance par lidar,
- suivi en temps réel à l’aide de capteurs connectés haute précision.
La montée en puissance de ces dispositifs permet des diagnostics structurels précis, conditionnant des choix de réhabilitation fiables, durables et moins émissifs en carbone. Les premiers projets de réhabilitation de bâtiments fondés sur ce type d’observations sont en cours au Luxembourg, préfigurant une évolution majeure des pratiques.
L’intelligence artificielle : nouveau levier pour la filière du réemploi
Si les outils numériques optimisent déjà la conception et la gestion de chantier, l’intelligence artificielle (IA) ouvre également de nouvelles perspectives pour les filières de réemploi.
Des start-ups comme par exemple SwissInspect proposent désormais :
- des diagnostics automatisés de pathologies structurelles (fissures, éclats, affaissements) à l’aide de drones couplés à de l’analyse d’image,
- des outils de reconnaissance de matériaux et d’évaluation de leur potentiel de réutilisation,
- des plateformes d’aide à la décision pour les inspecteurs, grâce au traitement automatisé de données complexes.
Ces outils rendent plus efficace l’identification, la caractérisation et la traçabilité des matériaux récupérables, en particulier sur des sites étendus ou en environnement contraint. Ce croisement entre low-tech (matériau réemployé) et high-tech (analyse IA, capteurs, drones) ouvre la voie à un changement d’échelle nécessaire.
La transition vers une économie circulaire dans la construction ne pourra réussir sans une transformation de nos outils, de nos processus, et de nos mentalités. L’intégration des technologies dans les pratiques de réemploi, mais aussi dans les stratégies de réhabilitation, offre une voie concrète pour atteindre les objectifs de neutralité carbone tout en garantissant performance technique, traçabilité et fiabilité.
L’avenir du secteur se dessine à l’intersection du pragmatisme constructif et de l’innovation. Le réemploi, allié à l’intelligence technologique, devient alors un vecteur de progrès, autant pour l’environnement que pour la compétitivité de la filière.
Patrick de Cartier d’Yves, Senior Project Engineer chez SECO
Article paru dans Neomag #71 - juin 2025