
Ingénierie et décarbonation : « La transition se construit aujourd’hui »
Réduire l’impact environnemental du bâti n’est plus une option. Pour Schroeder & Associés, bureau d’ingénieurs-conseils luxembourgeois, c’est un moteur de transformation. Avec sa stratégie Schroeder 2030, l’entreprise a fait de la décarbonation non pas une contrainte, mais une opportunité d’innovation et de performance durable.
Rencontre avec Martine Schummer, administrateur et responsable du volet durabilité chez Schroeder & Associés
« Notre responsabilité, c’est d’aider à construire autrement »
« La construction est l’un des secteurs les plus émetteurs de gaz à effet de serre. En tant qu’ingénieurs-conseils, nous avons l’opportunité de jouer un rôle central : chaque décision de conception influence l’empreinte carbone du projet. Chez Schroeder & Associés, nous avons compris que notre responsabilité ne s’arrêtait pas à l’exécution technique d’une mission de structures ou d’infrastructures. Elle commence dès la réflexion sur l’impact global de ce que nous concevons. Cette conviction s’est structurée dans notre stratégie RSE, articulée autour de trois piliers environnementaux : décarbonation, économie circulaire et préservation des habitats naturels. Depuis 2024, chaque projet de structure et d’infrastructure que nous étudions fait l’objet d’un calcul d’impact carbone remis au client. Cela change tout : les émissions deviennent un critère mesurable de conception au même titre que la performance structurelle ou le coût, permettant ainsi d’intégrer pleinement la durabilité dans la prise de décision ».
Une approche intégrée, de l’ingénierie au conseil stratégique
Pour Martine Schummer, la force de Schroeder & Associés tient à son approche holistique. « La décarbonation n’est pas un projet isolé, c’est un fil conducteur. Nous travaillons sur le cycle de vie complet des ouvrages, en croisant les expertises : structure, mobilité, urbanisme, techniques spéciales, énergie, biodiversité. Cette transversalité est notre marque de fabrique ». En interne, la gouvernance est structurée : un Comité RSE et un Comité Développement Durable suivent les indicateurs et orientent la stratégie, en lien étroit avec le Comité QSE. « Cette organisation nous permet d’intégrer la durabilité dans nos processus et dans nos métiers. Ce n’est pas une case à cocher : c’est un vrai métier de conseil que nous développons ». Mais l’engagement commence par l’exemplarité. « Entre 2021 et 2023, nous avons réduit nos émissions internes de 3 594 à 2 079 tonnes de CO₂, soit – 42 %. Cela tient à une meilleure collecte des données, notamment sur les déplacements de nos collaborateurs, mais aussi à des choix concrets : mobilité douce, gestion responsable de nos achats, consommation énergétique ».
La durabilité n’est pas une option : c’est la condition d’une ingénierie tournée vers l’avenir.
Des projets concrets pour transformer les pratiques
« Chaque projet est pour nous la preuve concrète de nos engagements », souligne Martine Schummer. À Kockelscheuer, le siège de Schroeder & Associés illustre cette ambition : bâtiment certifié DGNB Gold, à énergie quasi nulle, façade modulaire en bois isolée à la cellulose, chaufferie à pellets et panneaux photovoltaïques, réduisant significativement son impact environnemental tout en offrant un espace dynamique pour les équipes.
La société mise également sur la déconstruction sélective et le réemploi des matériaux. De plus en plus de projets intègrent cette approche, valorisant les ressources locales issues de bâtiments existants. Dans le projet « Wunne mat der Wooltz » à Wiltz, une plateforme a été créée pour gérer jusqu’à 20 000 m³ de terres excavées, dont 8 000 m³ ont déjà été réutilisés pour constituer un remblai derrière un ouvrage de soutènement, tandis qu’à Bascharage, près de 150 éléments de second-œuvre et de mobilier ont trouvé une seconde vie au lieu d’être évacués comme déchets dans le cadre de la déconstruction de l’ancienne mairie. « C’est l’économie circulaire appliquée au génie civil : limiter l’impact environnemental tout en maximisant la revalorisation des ressources déjà existantes », résume Martine Schummer.
Schroeder & Associés explore également de nouvelles pistes pour réduire les émissions des bâtiments et des ressources. Sur le plan structurel, le Centre de Conférences à Mersch illustre cette approche : la superstructure, composée de plusieurs systèmes en bois (un matériau à empreinte carbone négative), reposera sur un sous-sol construit en béton recyclé et en béton à faible teneur en CO₂, intégrant un ciment spécialement choisi pour limiter les émissions. « En remplaçant une partie des granulats par des matériaux recyclés et en optimisant le type de ciment, nous réduisons significativement l’impact carbone tout en conservant la performance structurelle nécessaire, et ce sans surcoût », souligne Martine Schummer.
Le projet BELЯ, situé à Luxembourg, illustre également l’approche durable du bureau. « Il s’agissait ici de reconvertir l’ancien siège de la Banque Edmond de Rothschild en 46 logements de haut standing, en conservant la structure existante et en optimisant l’éclairage, la façade et la performance énergétique. Cette transformation de bureaux en résidentiel réduit fortement l’impact environnemental par rapport à une construction neuve, valorise les matériaux existants et montre qu’on peut allier réemploi, qualité de vie et performance environnementale », ajoute-t-elle.
Former, impliquer, convaincre
La réussite de cette stratégie passe par l’humain. « La décarbonation n’est pas un département, c’est une culture d’entreprise partagée. Au sein du bureau, deux unités dédiées à la durabilité et aux ressources durables en sont le catalyseur : elles forment, outillent et accompagnent l’ensemble des métiers pour intégrer le calcul carbone et la circularité au quotidien ». Chaque ingénieur, chaque chef de projet doit se sentir acteur de la transition ». Les défis restent nombreux : inertie des habitudes, collecte de données incomplète, coûts techniques… « Mais nous avançons. La clé, c’est la pédagogie et la démonstration. Quand on montre que le bas carbone améliore la qualité du projet et sa performance économique, les mentalités changent ».
Pour Martine Schummer, la transition bas carbone n’est pas un horizon lointain : elle se joue ici et maintenant. « Notre objectif, d’ici 2030, est d’être la référence en ingénierie-conseil intégrée au Luxembourg : une ingénierie créatrice de valeur durable, qui aligne performance, innovation et responsabilité. La transition bas carbone n’est pas un supplément d’âme : c’est la condition d’une ingénierie tournée vers l’avenir. Elle demande de l’exigence, de la coopération et une bonne dose de conviction. Mais elle ouvre aussi des perspectives passionnantes pour nos métiers. C’est une transformation collective - et elle se construit aujourd’hui ».
Article paru dans Neomag #75 - décembre 2025

