
Au-delà d’une rénovation conventionnelle, la valorisation du patrimoine existant
Point de départ d’un nouveau quartier en pleine mutation, l’ancienne manufacture de tabac Landewyck, un bâtiment industriel datant de 1937 de style Bauhaus, a été réhabilité par le bureau Belvedere Architecture. Le projet a obtenu un BauHärePräis dans la catégorie « bâtiment à vocation administrative/lieu de travail/santé ».
Rencontre avec Patrick Meyer et Lorenz Reiter, architectes chez Belvedere Architecture
Un monument emblématique classé
« Ce bâtiment fait partie de ceux que j’ai en tête depuis que je suis gosse, comme le Palais grand-ducal ou le Pont Rouge. Tout petit déjà, alors que je ne savais pas encore que je deviendrai architecte, il m’intriguait, il avait une présence particulière », raconte Patrick Meyer, architecte chez Belvedere. « Quand nous l’avons visité il y a quelques années, c’est devenu un intérieur, rempli de fonctions : la tête du bâtiment, avec ses arrondis, abritait des bureaux, et la longue partie qui s’étend derrière, avec ses grands bandeaux de fenêtres, était consacrée à la fabrique, à l’exception du dernier étage, où était installée la cantine. Les architectes qui ont dessiné le bâtiment, Georges Traus et Michel Wolff, ont fait une proposition extrêmement moderne pour l’époque que ce soit dans l’esthétique, la composition, les volumes, les ouvertures ou tout ce langage de façade, ainsi que dans la fonctionnalité, qui est socialement très progressive puisqu’elle mêle les cols blancs et les cols bleus ».
Le fait que le bâtiment soit aujourd’hui classé Monument National par l’INPA - l’Institut National du Patrimoine Architectural - a « ramené un joueur de plus dans l’équipe de projet ». Aucune autorisation de bâtir ne pouvait être obtenue sans l’accord de son expert.
Il a fallu, avant toute chose, réaliser un travail de recherche approfondi pour comprendre la volonté initiale des architectes. « Une analyse complète du bâtiment a été réalisée pour retrouver les matériaux et coloris originaux sous les diverses transformations effectuées au fil des années, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’équipe s’est appuyée pour cela sur des prélèvements réalisés sur les murs, mais aussi sur des photos historiques », explique Lorenz Reiter, architecte. » Dans ce contexte, la division patrimoine de Ville de Luxembourg a été un allié précieux car elle a pu fournir de nombreux documents d’époque tels que des copies des plans d’autorisation de bâtir qui ont, notamment, dévoilé l’ossature métallique enrobée de béton.
Une analyse complète du bâtiment a été réalisée pour retrouver les matériaux et coloris originaux sous les diverses transformations effectuées au fil des années, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. L’équipe s’est appuyée pour cela sur des prélèvements réalisés sur les murs, mais aussi sur des photos historiques.
Préserver l’authenticité du lieu
Le challenge était de trouver le juste équilibre entre la préservation du patrimoine existant et les normes, usages et contraintes techniques actuels. « L’expert de l’INPA, Monsieur John Voncken, nous a aidé sur de nombreux points, par exemple sur l’isolation thermique. Comme dans tout projet de rénovation, la problématique d’une isolation thermique insuffisante devait être traitée afin d’éviter la formation de points de rosée sur les parois extérieures, pouvant entraîner des dégradations. Il était toutefois hors de question d’appliquer la solution simple consistant à ajouter une isolation par l’extérieur, car cela aurait modifié l’ensemble des proportions des façades. Nous avons donc longuement discuté des différentes solutions pour intégrer, à l’intérieur, une isolation thermique ciblée, limitée aux besoins, accompagnée de fils chauffants placés avec précision sur certains éléments ».
Avec l’accord du maître d’ouvrage, Landimmo Real Estate représenté par Monsieur Jürgen Primm, les anciens ateliers de la manufacture ont été laissés aussi bruts que possible. Certains éléments ont été maintenus, comme les revêtements de sol. « Suivant la logique industrielle de l’époque, lorsqu’un carrelage était cassé ou dégradé dans l’atelier, il était remplacé sans aucun souci d’uniformité. Nous avons pris le parti de respecter ces irrégularités et de laisser apparent ce qui pourrait être vu comme des « défauts » avec les standards actuels qui visent des finitions parfaitement lisses, mais qui sont en fait les témoins du vécu du bâtiment. Un bris de carrelage probablement causé par l’installation d’une machine ou certains trous de fixation sont ici totalement assumés », indique Patrick Meyer.
Dans la partie administrative, le parquet d’origine a été mis au jour et rénové pour redonner aux bureaux leur aspect épuré et minimaliste, inspiré des années 30-40. Le majestueux escalier d’origine a dû être adapté pour répondre aux règles de sécurité. « Après étude avec les autorités compétentes, nous avons ajouté un garde-corps réversible, vissé de manière à pouvoir être retiré et permettant ainsi la lecture de l’original ».
Dans l’ancienne partie de la fabrique, la technique a été volontairement laissée apparente, mise en valeur comme élément de l’esthétique industrielle du lieu. En revanche, dans l’ancienne partie administrative, la technique a été dissimulée dans un faux plafond ou plafond, afin de préserver l’aspect originel des espaces.
Autre élément symbolique : l’entrée principale du bâtiment, donnant sur la rue de Hollerich et restée condamnée pendant 50 ans, a été remise en service pour le locataire du rez-de-chaussée. Sa porte d’origine a été restaurée et l’escalier d’accès, qui avait été couvert d’une dalle en béton, a été réintégré.
Une distinction claire entre ancien et nouveau
Une nouvelle annexe en « tour » a été construite à l’opposé de l’ancienne aile administrative. Elle contraste volontairement avec les parties historiques par son esthétique contemporaine. « Ses façades métalliques permettent d’identifier le bâtiment d’origine couvert de crépi », précise Lorenz Reiter. Comme un clin d’œil à l’activité qu’occupait autrefois le bâtiment, des motifs arrondis inspirés des anciennes machines de fabrication de cigarettes ont été repris sur les nouveaux bardages pour établir le lien entre passé et présent.
Une autre adaptation majeure a été la création, au cœur de la partie fabrique, d’un nouvel escalier accompagné de deux ascenseurs. Ce noyau de circulation a permis d’aménager la nouvelle entrée principale côté parc, au niveau du rez-de-jardin - autrefois un simple sous-sol dédié au stockage et aux caves - tout en scindant l’étage en deux. Une partie des surfaces de cave, en lien direct avec l’annexe, a été requalifiée en surfaces administratives, valorisant ainsi des volumes jusqu’alors sous-exploités. Cette intervention offre une plus grande flexibilité d’usage et facilite la mise en location, avec des espaces ouverts ou modulables selon les besoins.
« Un tel projet est le fruit de l’implication et du dévouement du propriétaire et du maître d’ouvrage, ainsi que de l’engagement d’une équipe pluridisciplinaire - architectes, ingénieurs, entreprises et artisans. Leur travail a été rendu possible grâce à une collaboration fluide avec les différentes administrations, permettant de concilier respect du bâti existant, exigences techniques et cadre réglementaire », conclut Patrick Meyer.
Mélanie Trélat